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Altérités de la poésie: éléments pour une critique poétique contemporaine au Brésil1 1 Este artigo resulta de pesquisa apoiada pelo Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq) com bolsa de Produtividade em Pesquisa.

Alteridades da poesia: elementos para uma crítica poética contemporânea no Brasil

Otherness of poetry: elements for a contemporary poetic criticism in Brazil

Résumé

Cet article propose l’étude de quelques éléments apportés par des chercheurs actifs dans des universités brésiliennes pour l’élaboration d’une pensée critique contemporaine sur la poésie. Des perspectives telles que l’adresse du poème, ses multiples voix et gestes (choralité, théâtralité), son rapport à l’altérité, dont le “féminin” constitue l’une des figures-clé, seront ainsi révisitées ici afin d’exploiter une pensivité paradoxale, présente dans des pratiques poétiques ou “post-poétiques” de la poésie brésilienne qui nous interpellent aujourd’hui et qui font dériver la poésie vers une tension productive avec ses autres: d’autres langages artistiques et d’autres instances de production et de réception qui seront convoqués dans le processus. L’étude concerne quelques textes critiques sur la poésie publiés au Brésil entre les années 2015 et 2022, lus dans la diversité de leurs propres références théoriques, éventuellement accompagnées par quelques propositions alliant une pensée de la poésie à une pensée de la pensée, comme celles de Michel Deguy et de Jacques Derrida.

Mots-clés
poésie; contemporanéité; critique; altérité; Brésil

Resumo

Este artigo propõe o estudo de alguns elementos trazidos por pesquisadores atuantes nas universidades brasileiras para o desenvolvimento de um pensamento crítico contemporâneo sobre a poesia. Perspectivas como a endereçamento do poema, as suas múltiplas vozes e gestos (coralidade, teatralidade), a sua relação com a alteridade, da qual o “feminino” constitui uma das figuras-chave, serão aqui revisitadas de forma a explorar uma pensatividade paradoxal, presente nas práticas poéticas ou “pós-poéticas” da poesia brasileira que nos desafiam hoje e que fazem a poesia derivar para uma tensão produtiva com os seus outros: outras linguagens artísticas e outras instâncias de produção e recepção que serão convocadas no processo. O estudo aborda alguns textos críticos sobre a poesia publicados no Brasil entre os anos de 2015 e 2022, lidos a partir da diversidade de suas próprias referências teóricas, eventualmente acompanhadas por algumas propostas que unem um pensamento sobre a poesia a um pensamento sobre o pensamento, como as de Michel Deguy e de Jacques Derrida.

Palavras-chave
poesia; crítica; contemporaneidade; alteridade; Brasil

Abstract

This article proposes a study of some elements brought by active researchers from Brazilian universities for the development of contemporary critical thinking on poetry. Perspectives such as the address of the poem, its multiple voices and gestures (chorality, theatricality), its relationship to otherness, of which the “feminine” constitutes one of the key figures, will thus be revisited here in order to exploit a paradoxical pensiveness, present in poetic or “post-poetic” practices of Brazilian poetry which challenge us today and which cause poetry to drift towards a productive tension with its others: other artistic languages and other instances of production and reception which will be summoned in the process. The study involves some critical works on poetry published in Brazil between the years 2015 and 2022, read in the diversity of their own theoretical references, accompanied by some propositions which join a thought on poetry and a thought on thought itself, as those of Michel Deguy and Jacques Derrida.

Keywords
poetry; contemporaneity; criticism; otherness; Brazil

Liminaire: quel terrain?

En ce qui concerne le terrain à partir duquel j’ai envisagé cette présentation de quelques constantes de la critique brésilienne contemporaine de poésie, il est important de rappeler que mon intérêt apporté sur les travaux universitaires n’implique pas la méconnaissance d’autres espaces et d’autres pratiques de circulation et de production de propositions à valeur critique. Quoiqu’ils ne fassent pas l’objet de cette brève réflexion, ils méritent, cependant, au moins d’être nommés au passage ici. Comme exemples de ces pratiques, on pourrait mentionner le travail de certains sites internet consacrés à la poésie (d’ailleurs souvent tenus par des agents proches de l’université), ainsi que des évènements de lectures poétiques (assez fréquents) et de débats publics autour de la poésie (plus rares). La raison pour laquelle j’ai voulu faire le point sur ces quelques idées qui reviennent dans les textes écrits par des universitaires pendant dernières années au Brésil se trouve dans ma conviction que ces travaux, appuyés sur les idées des théoriciens, sont capables d’intégrer les productions poétiques/post-poétiques analysées dans une réflexion philosophiquement plus vaste, plus douée pour les paradoxes qu’elles inaugurent à leur tour.

Il va sans dire que, en ce qui concerne la réception des théories étrangères, il s’agit d’un travail de créativité par lequel on dégage dans ces matériaux théoriques des éléments qui n’ont peut-être pas retenu l’attention dans d’autres contextes. Dans cette opération proche de la traduction linguistique et/ou culturelle, on propose également de nouvelles relations, parfois surprenantes, entre les catégories proposées par ces théories, y ajoutant des questions qui les relancent. Les chercheurs impliqués dans ce processus sont pour la plupart des enseignants (quelques-uns sont des post-doctorants), et d’ailleurs très souvent à la fois des poètes ou des traducteurs eux-mêmes, ce qui rend le circuit critique plus complexe et plus intéressant, un même agent pouvant ainsi changer de place dans le processus de production de sens. Je passe maintenant à l’examen des quelques points choisis pour ce bref parcours, que j’essaierai de relier entre eux pour mettre en évidence leur pertinence critique dans le contexte de cette réflexion. Il s’y agira notamment d’interroger ce qui se passe quand la poésie va vers ses autres, sous forme de langages artistiques ou d’instances de production et de réception traditionnellement considérés comme ne faisant pas partie du circuit poétique.

Le contemporain

D’abord, avant de passer à la réflexion sur ces trois points principaux, l’adresse du poème, ses multiples voix et gestes (choralité, théâtralité) et son rapport à l’altérité et au féminin, il faudrait situer le contemporain, catégorie de toutes les catégories quand on pense à “l’aujourd’hui” en poésie. Mais qu’il faut cependant dégager du poids d’un certain “présentisme” qui apporterait le risque d’enfermement dans “un présent intransitif, sans dialogue avec le passé et l’avenir”2 2 Toutes les citations de textes écrits en portugais dans cet article ont été traduites par moi. (Cámara et al, 2018CÁMARA, Mário; KLINGER, Diana; PEDROSA, Celia; WOLFF, Jorge (orgs.). Indicionário do contemporâneo. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2018., p. 158). Prenons donc pour commencer l’article “Le contemporain” de l’Indictionnaire du contemporain3 3 Dans un compte-rendu de l’Indictionnaire du contemporain, Felipe Manzoni voit dans la composition de l’ouvrage une correspondance avec cette “émergence des formes chorales” de la poésie mentionnée par Flora Süssekind (2022); il s’agirait ici d’une “forme chorale” de la critique. Il explicite encore les deux sens que le titre comporte: la négation (in-dictionnaire) et la question indicielle, soit la direction (indic-tionnaire). Ainsi, en même temps, on nie le sens stable des définitions d’un dictionnaire traditionnel et on affirme le sens d’une recherche orientée vers ce qui commence à s’indiquer dans le présent. Les articles (indices, donc), qui renvoient les uns aux autres, sont: Archives; Communauté; Adresse; Le contemporain; Post autonomie; Pratiques non spécifiques; avec une postface, seul texte signé individuellement du livre, Espace-temps, par Raúl Antelo. proposé par un collectif de chercheurs brésiliens et argentins (Antonio Andrade, Antonio Carlos Santos, Ariadne Costa, Celia Pedrosa, Diana Klinger, Florencia Garramuño, Jorge Wolff, Luciana di Leone, Mario Cámara, Paloma Vidal, Rafael Gutiérrez, Raúl Antelo, Reinaldo Marques et Wander Melo Miranda), développé à partir d’une série de rencontres universitaires réalisées dès les années 2012-2013 et publié en 2018 (en 2021 dans l’édition argentine). Comme la publication en portugais a précédé de quelques années celle en espagnol, on peut, à mon avis, ranger cette entreprise dans le cadre de la critique brésilienne sans beaucoup d’incohérence. Dans cette étude, on part d’une esquisse d’historisation de la question du contemporain dans son rapport à la modernité, non pas pour en tracer l’évolution ininterrompue, mais pour y repérer une force en action. Celle-ci, depuis la fin du XIXe siècle, traverse la culture en vue de rapprocher art et vie et de dépasser les limites formelles et matérielles de l’art, en le faisant sortir de ses lieux de légitimation sociale: le musée, la bibliothèque, l’académie. Cependant, au long du XXe siècle, cette force transgressive subit une sorte de désaffectation, par l’ironique institutionnalisation des avant-gardes, par leur rangement dans ces hauts lieux mêmes qu’elles mettaient en question.

De ce fait, la discussion sur les frontières entre art et vie, art et non-art, pôle producteur et pôle récepteur, est remise à l’ordre du jour par le jeu anachronique de cette force de rupture qui revient “encore une fois” (l’article sur le contemporain insiste à deux reprises sur cette expression) réinvestir d’autres productions et poser la même exigence dans des termes nouveaux. Pour répondre à cette instance, on va penser, avec Jean-François Lyotard (Réécrire la modernite, 1988)LYOTARD, Jean-François. Réécrire la modernité. Lille: Les Cahiers de philosophie, 1988. et Georges Didi-Huberman (Devant le temps, 2000)DIDI-HUBERMAN, Georges. Devant le temps: histoire de l’art et anachronisme des images. Paris: Éditions de Minuit, 2000., une contemporanéité comme perlaboration de l’histoire de la modernité, dont “la valorisation de l’anachronisme […] est la pierre de touche” (Cámara et al, 2018CÁMARA, Mário; KLINGER, Diana; PEDROSA, Celia; WOLFF, Jorge (orgs.). Indicionário do contemporâneo. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2018., p. 134). Capable, selon ces critiques, d’“activer une vision périphérique qui neutralise les lumières de la rationalité du pouvoir — archontique, étatique et scientifique” (Ibidem, p. 135), le regard anachronique comme façon d’interroger les archives de l’art et de la culture met en évidence les projets de domination dont elles découlent, aussi bien que le caractère hétérogène des éléments qui les composent.

Sur ce dernier point, la notion de champ élargi «proposée par Rosalind Krauss (“La sculpture dans le champ élargi”, 1993)KRAUSS, Rosalind. La sculpture dans le champ élargi. In: L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes. Trad. Jean-Pierre Criqui. Paris: Macula, 1993, p. 111-127. dans le domaine de la sculpture” (Ibidem, p. 127) éclaire ici les recherches sur les pratiques artistiques du contemporain, fondamentalement hybrides, traversant plusieurs champs formels établis et mêlant différents regards, supports et langages, comme le texte écrit, le son, l’image et la performance, entre autres. Interroger la spécificité des domaines de l’art a aussi bien entendu l’effet de contester les visons du monde ayant présidé à la classification des objets artistiques et culturels et à l’établissement de leur valeur. L’anachronisme et l’hybridisme des procédés artistiques sont ainsi deux caractéristiques importantes de ce contemporain qui ne se confond pas avec un présentisme.

Il y en a une troisième. La perspective relationnelle (pensée par ces critiques notamment avec la réflexion de Nicolas Bourriaud dans Esthétique relationnelle, 2003) est invoquée comme un moyen de réaliser une circulation artistique hors des circuits traditionnels, dans le sens d’une “postproduction” douée d’un intense caractère politique, qui peut transformer, par exemple, un lieu public quelconque en lieu d’art et un passant quelconque en co-auteur d’un travail non conclus avec lequel il interagit (Cámara et al, 2018CÁMARA, Mário; KLINGER, Diana; PEDROSA, Celia; WOLFF, Jorge (orgs.). Indicionário do contemporâneo. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2018., p. 129). Parmi les artistes brésiliens, on peut trouver des exemples pionniers de cette valorisation de la participation du spectateur: Lygia Clark avec son travail “Bave anthropophagique” de 1973 (Ibidem, p. 108-109) et Hélio Oiticica avec son installation “Tropicália”, de 1967 (Ibidem, p. 110-111). Cette nouvelle perception privilégiant la dimension collective de la production de l’art, qui a été longtemps vue comme idéalement individuelle, convoque aussitôt l’autre, la façon de s’adresser à lui, dont la poésie4 4 Pour me référer à la poésie ou à la post-poésie, il m’arrivera parfois dans ce texte d’employer le mot le plus court (poésie), sans qu’évidemment ce mot prenne le sens de la haute poésie inspirée, car mon souci dans ces réflexions n’est pas à proprement parler celui de distinguer l’une de l’autre (ce que fait d’ailleurs avec beaucoup d’intelligence la poète argentine Tamara Kamenszain (2022), qui oppose cette poésie des “grands poètes”, les “vates”, éminemment masculine, à la poésie qui se féminise, se fait petite, “se achica”). Je vise ici plutôt à prendre “poésie” et “post-poésie” dans un rapport commun à la critique et au contemporain. Il va sans dire que la poésie faite aujourd’hui ne peut plus ressembler à celle de l’âge des “grands poètes” si elle veut dialoguer avec le contemporain. Se convertit-elle alors forcément en “post-poésie”, même sans coïncider avec les traits d’une post-poésie à la française, par exemple? C’est une question qui reste ouverte. de la contemporanéité ne peut évidemment pas faire l’économie.

L’adresse du poème, sa “destination”

L’adresse du poème à son destinataire, ce jeu de rapports proprement textuels et poétiques, mais aussi bien sociologiques et imaginaires du poème avec ce qu’il compte être son lecteur, demeure l’une des discussions les plus importantes pour la poésie aujourd’hui — en particulier dans un contexte d’inégalité sociale et culturelle accentuée comme le brésilien, pourrait-on ajouter. Cette question, qui part pour la critique contemporaine brésilienne de la figure élémentaire de “la présence du pronom de deuxième personne dans la rhétorique de la correspondance et de la conversation” (Cámara et al, 2018CÁMARA, Mário; KLINGER, Diana; PEDROSA, Celia; WOLFF, Jorge (orgs.). Indicionário do contemporâneo. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2018., p. 98), a fait l’objet de recherches récentes, comme celles de Celia Pedrosa. Elle souligne “le caractère dramatique de la volonté de poésie depuis la modernité, dans la tension entre pari de singularité formelle et demande de valeur sociale” (Pedrosa, 2015PEDROSA, Celia. Poesia e crítica de poesia hoje: heterogeneidade, crise, expansão. Estudos Avançados (USP. Impresso), v. 84, p. 321-334, 2015., p. 324).

Cette tension a parfois été présentée dans la tradition critique brésilienne des années 1970-1980 comme une opposition entre poésie “facile”, celle qui inclut le lecteur, trop sommairement vue comme “rimbaldienne” à partir d’une vision simpliste du projet libertaire de ce poète et poésie “difficile”, celle qui rebute le lecteur, classée “mallarméenne” par son côté “formaliste”. Pedrosa renvoie à Silviano Santiago, écrivain et professeur, par ailleurs l’un des grands responsables de la diffusion des idées derridiennes au Brésil, pour reposer le débat sur des bases plus pertinentes, à partir de l’idée de crise, déjà manifeste dans la “crise de vers” mallarméenne tant de fois déclinée5 5 Il serait intéressant de noter ici l’éclosion, signalée aussi par Pedrosa (2015), d’une série de traductions de ce célèbre texte de Stéphane Mallarmé, bien proches dans le temps, vers la langue brésilienne/portugaise (en fait, on a assisté à des échanges entre Brésil et Portugal autour du contemporain poétique dans les dernières années). Au Brésil, en 2007, par Ana Maria Alencar; et en 2010, par Fernando Scheibe. Au Portugal, en 2012, par Rosa Martelo et Pedro Eiras. Les choix respectifs pour le titre montrent tantôt le singulier, défini ou indéfini (“Crise do verso” ou “Crise de verso”), tantôt le pluriel (“Crise de versos”). Ce qui met en évidence des différences d’interprétation: la crise du vers serait une crise historiquement localisée, la faillite d’un certain modèle poétique; la crise de vers (singulier ou pluriel) est vue comme crise constitutive du processus poétique. .

Santiago serait proche de Jacques Rancière (notamment de la réflexion développée dans Mallarmé. La politique de la sirène, 2006) en ce qui concerne le paradoxe entre difficulté et communauté dans la poésie (Pedrosa, 2015PEDROSA, Celia. Poesia e crítica de poesia hoje: heterogeneidade, crise, expansão. Estudos Avançados (USP. Impresso), v. 84, p. 321-334, 2015., p. 328), dont il voit une manifestation exemplaire dans l’œuvre de la poète née à Rio de Janeiro et disparue prématurément en 1983, Ana Cristina Cesar6 6 Elle a été traduite en français: CESAR, Ana Cristina. Gants de peau & autres poèmes. Trad. de Michel Riaudel. Paris: Chandeigne, 2005. Le traducteur est aussi l’auteur d’une thèse sur sa poésie: RIAUDEL, Michel. Intertextualités et transferts (Brésil, Etats-Unis, Europe): réécritures de la modernité poétique dans l’œuvre d’Ana Cristina Cesar (Rio de Janeiro, 1952-1983). Thèse de doctorat. 622 f. Paris X, Nanterre, 2007. , qui ne cesse de susciter l’intérêt de plusieurs générations de critiques depuis les années 1980. Elle a travaillé dans l’entre-deux, l’entre-lieu porté au rang de catégorie critique par Santiago (dans “O entre-lugar do discurso latino-americano”, 1978)SANTIAGO, Silviano. O entre-lugar do discurso latino-americano. In: Uma literatura nos trópicos. Ensaios sobre dependência cultural. São Paulo: Perspectiva, 1978, p. 11-28., pratiquant une poésie hétérogène, très cultivée et réflexive mais, simultanément tendue vers la prose — vers le prosaïsme aussi —, et surtout performative dans sa mise en scène de l’émission et de la destination du poème. Ainsi lirait-on dans son travail “une cohabitation expansive mais, toujours lacunaire entre le singulier et le commun que le critique nommera citoyenne” (Ibidem, p. 328).

Pour sa part, Marcos Siscar, poète et traducteur, professeur, dans sa théorisation sur la modernité entendue comme crise, travaille la question de l’adresse lyrique dans les termes d’une “destination”. Dans ce mot, on lit à la fois l’interpellation du lecteur par le poème et le caractère de “destinerrance” de celui-ci, en écho à la proposition de Jacques Derrida (1980)DERRIDA, Jacques. La Carte postale, de Socrate à Freud et au-delà. Paris: Flammarion, 1980. sur la carte postale et la possibilité pour tout envoi de ne pas arriver à son destinataire. Le critique brésilien propose un retour à Baudelaire pour étudier dans son œuvre les mécanismes de convocation et de provocation du lecteur qui font partie de l’adresse poétique.

Siscar met en cause des lectures comme celles de Jean Starobinski (Portrait de l’artiste en saltimbanque, 2004 [1970]STAROBINSKI, Jean. Portrait de l’artiste en saltimbanque. Paris: Gallimard, 2004 [1970].; “Sur quelques répondants allégoriques du poète”, 1967) et Walter BenjaminBENJAMIN, Walter. Charles Baudelaire: Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme. Trad. Jean Lacoste. Paris: Payot, 2002. (Charles Baudelaire: Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, 2002) sur le poète français qui soulignent la figure du bouffon et l’attitude burlesque récurrentes dans ses textes comme témoignages masqués d’une expérience biographique et historique. Il veut saisir dans la poésie de Baudelaire, plutôt qu’une production des masques de soi-même ou une attitude tragique par rapport à son époque, une capacité interprétative qui montre l’écriture poétique comme “un lieu de savoir”, malgré la difficulté de certains “discours humanistes sur la littérature” (Siscar, 2019SISCAR, Marcos. A dignidade e o ridículo da poesia: autoria, história e destinação em Le Spleen de Paris. Alea: Estudos Neolatinos, v. 21, n. 2, p. 30-52, 2019. Disponível em: https://www.scielo.br/j/alea/a/gTxyw5DK9bzH5yFyzrB9CsQ/?lang=pt. Acesso em: 10 mai. 2023.
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, p. 44) à le reconnaître. C’est cette pratique d’interprétation qui, en somme, constituerait l’auteur, dont l’image “est avant tout un point de vue sur la réalité, donné par un ensemble d’écrits” (Ibidem, p. 40).

L’insincérité, que Siscar nomme souvent “imposture” (Ibidem, p. 36) d’après sa lecture de Baudelaire, marquée aussi par le travail de Derrida (1991)DERRIDA, Jacques. Donner le temps 1. La fausse monnaie. Paris: Galilée, 1991. sur “la fausse monnaie” du poème en prose baudelairien, figure ironique du contrat de crédit, de croyance, qui est à la base de la littérature, apparaît comme l’une des principales stratégies de destination du poème. Elle crée une désidentification qui vise à exposer l’écart entre la société et l’artiste, entre le poète et son public — et donc le désir d’un rapprochement, à condition qu’il soit sélectif, ce qui ne veut pas nécessairement dire élitiste. Siscar trouvera des ressemblances entre cette stratégie baudelairienne, qui exhibe aussi l’abîme entre le sujet lyrique et le sujet biographique et les procédés mis en œuvre par Ana Cristina Cesar (en effet, la poète a beaucoup traduit, y compris Baudelaire et l’écho de ce travail est présent dans sa propre écriture7 7 Voir, pour une étude de la traduction de “Le cygne” de Baudelaire faite par Cesar: Faleiros, Álvaro, 2022. ). Le nom de la poète revient souvent dans les travaux critiques contemporains brésiliens, que ce soit par rapport à l’adresse du poème, comme ici, ou encore à la théâtralité ou au “féminin”, comme on verra plus loin.

En ce qui concerne l’insincérité, il faut préciser qu’elle a une portée plus vaste que celle de la simple comédie ou du simulacre, incluant l’exhibition de l’intimité sur une scène où le sujet se voit dédoublé, reflété comme produit autant que producteur de l’écriture et de la lecture. La position subjective en est complexifiée, comme dans cette réflexion que Siscar fait à propos de l’un de ses propres travaux poétiques, Isto não é um documentário [Ceci n’est pas un documentaire] en le mettant en rapport avec un poème de Cesar:

Autre que la simple déclaration de faux-semblant, que la production de masques par un sujet, la perception c’est que ma vie s’écrit à mesure que je vis; que, quand j’écris, c’est la vie qui m’écrit; que, quand je lis, c’est comme si j’étais déjà en train d’être écrit, nourri par les “poètes pensés dans mon sein” (comme dit le poème “Pendant que je lis mes seins sont découverts”). Il y a une profonde complicité entre vie et écriture, écriture et lecture. Et m’en rendre compte c’est aussi une façon d’entendre en moi, de manière subliminale, les traversements du “vieux discours”, d’un autre discours qui met en échec ma souveraineté

(Siscar, 2022SISCAR, Marcos. Uma tela em movimento: poesia e tecnologia do arquivo. ELyra: Revista da Rede Internacional Lyracompoetics, v. 18, p. 339-347, 2022. Disponível em: https://elyra.org/index.php/elyra/article/view/423/458. Acesso em: 10 mai. 2023.
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, p. 346-347).

Cette perception rejoint ainsi “une nouvelle circonstance, liée à un pari performatique, où il ne s’agit plus d’un sujet représenté par un autre et pour un autre, mais des ‘je’ en transit” (Cámara et al, 2018CÁMARA, Mário; KLINGER, Diana; PEDROSA, Celia; WOLFF, Jorge (orgs.). Indicionário do contemporâneo. Belo Horizonte: Editora UFMG, 2018., p. 103). La rumeur des voix multiples de ces “je” relèverait en quelque sorte d’une choralité, pour laquelle la question de la “souveraineté” doit être repensée dans une dimension de résistance aux discours circulants.

Choralité, théâtralité: voix et gestes du poème

Avec Flora Süssekind, c’est l’idée de choralité qui vient occuper une place critique fondamentale pour interpréter la production poétique et artistique des années où l’on assiste, au Brésil, à “l’éclatement du pacte social formulé après la dictature militaire par la Constitution de 1988 […] parmi la croissance du sentiment antidémocratique et la sédimentation de groupes néo-fascistes” (Süssekind, 2022SÜSSEKIND, Flora. Coros, contrários, massa. Recife: Cepe, 2022., p. 24), processus notamment intensifié à partir de 2016. Les textes de cette critique, qui depuis au moins une décennie mène des recherches sur des choralités débordant le cadre de l’activité théâtrale8 8 Mais qui parfois s’y installent, comme dans l’activité de José Celso Martinez Corrêa, créateur du Teatro Oficina Uzyna Uzona à São Paulo, foyer de résistance artistique et politique, qui propose, en plein néo-libéralisme, le “travail immense” de “retrouver cette matière chorale initiale” (Süssekind, 2022, p. 250). et se présentant comme force artistique et politique dans la production de la période, publiés surtout dans des revues et dans des journaux, ont été réunis en volume en 2022.

Partant des réflexions de Martin Mégevand (“L’éternel retour du chœur”, 2003; “Chœur et choralité dans le théâtre de la décolonisation: les exemples de Kateb Yacine et d’Aimé Césaire”, 1994) et de Jean-Pierre Sarrazac sur le chœur et la choralité (“Choralité: note sur le postdramatique”, 2003SARRAZAC, Jean-Pierre. Choralité: note sur le postdramatique. “Choralités”, dossier organizado por Christophe Triau. Alternatives théâtrales, n. 76-77, p. 28-29, 2003.; Poétique du drame moderne, 2012) et convoquant la pensée de Jean-Luc Nancy (La Communauté désœuvrée, 1986NANCY, Jean-Luc. La Communauté désœuvrée. Paris: Christian Bourgois, 1986.; La Communauté désavouée, 2004NANCY, Jean-Luc. La Communauté désavouée. Paris: Galilée, 2014) ainsi que celle de Maurice Blanchot (La communauté inavouable, 1983) autour des questions du commun et du communautaire, Süssekind voit l’émergence des formes chorales dans la production artistique comme un effet de l’absence du chœur, une sorte de symptôme de la “conscience de son impossibilité de dire de façon pleine ce commun, ou ce radicalement hétérogène, que cependant il désire, invoque, avec la même intensité” (Süssekind, 2022SÜSSEKIND, Flora. Coros, contrários, massa. Recife: Cepe, 2022., p. 24). Elle fait appel aussi à la réflexion de Nicole Loraux dans La Voix endeuillée (1999)LORAUX, Nicole. La Voix endeuillée. Essai sur la tragédie grecque. Paris: Gallimard/NRF Essais, 1999. sur ce qui reste de l’expérience tragique grecque dans le contemporain, où des éléments de nature chorale tels que l’oratorio, le ton, la structure métrique, la distribution des segments lyriques et dialogués, viennent souligner la mémoire de la douleur et “redéfinir au-delà des encadrements civiques, dans l’exposition de sa matérialité même, la dimension politique du chœur” (Ibidem, p. 30).

La liste des artistes, écrivains, cinéastes, metteurs-en-scène, musiciens, commentés par la critique dans leurs rapports à la choralité est bien trop vaste pour que je puisse en rendre compte ici. Précisons néanmoins que ces choralités formellement très diverses, dont on peut bien entendu trouver des précurseurs à des moments divers de l’histoire culturelle brésilienne, parmi les écrivains modernistes (Oswald de Andrade) ou les auteurs tropicalistes, chez des poètes comme Joaquim de Sousândrade, Francisco Alvim, Augusto de Campos ou Carlito Azevedo (Ibidem, p. 251) sont étudiées par Süssekind dans une approche qui ne cherche pas à réduire leur complexité.

Car les formes chorales peuvent bifurquer, par exemple, entre “effort de figuration de dimension collective, présentée parfois de façon spectrale, en tant que ‘communauté absente’” (Ibidem, p. 261), et voix du lieu-commun, expression “d’une parcelle souvent conservatrice, autoritaire, pleine de préjugés, misogyne, de l’opinion publique, qui fonctionne comme une espèce un peu effrayante de figuration chorale de la majorité silencieuse” Ibidem, p. 258) dans des productions artistiques. Cette majorité silencieuse d’ailleurs, même avant l’innommable gouvernement du pays entre 2019 et 2022, est devenue parlante, multipliée dans des “chœurs téléguidés de masse” (Ibidem, p. 604), face auxquels la production artistique se pose donc aussi comme “contre-choralité” (Süssekind, 2022SÜSSEKIND, Flora. Coros, contrários, massa. Recife: Cepe, 2022., p. 604). Par leur ambivalence, ces formes chorales, qui apparaissent tantôt comme promesse (vues comme appel à une communauté à venir), tantôt comme menace (vues comme parole conservatrice de la communauté instituée), peuvent être pensées d’après la notion derridienne de spectralité. En effet, dans sa lecture de la survivance des idées de Karl Marx, le philosophe met le spectre en rapport avec l’idée de révolution comme attente de la justice, évoquant “l’urgence, l’imminence, mais, paradoxe irréductible, une attente sans horizon d’attente” (Derrida, 1993DERRIDA, Jacques. Spectres de Marx. Paris: Galilée, 1993., p. 267). C’est le paradoxe qu’incarnent ces formes chorales, dont l’intensification dans la période étudiée par Süssekind montre l’étroite imbrication entre art et politique, la “présence presque brute de l’heure historique” (Ibidem, p. 652) que “le hors-cadre, le facteur rue” (Ibidem, p. 646), la rumeur chorale du réel introduisant les dissonances du politique dans les travaux artistiques, vient rendre sensible.

Différemment de Süssekind, plutôt que de s’intéresser à la question des voix, André Goldfeder envisage dans ses recherches la théâtralité du poème pour trouver “au-delà du métaphorique, quelques fonctionnements poématiques qui peuvent opérer sur ce mode, ainsi que certains transits qui se projettent de la poésie au théâtre et vice-versa” (Goldfeder, 2021GOLDFEDER, André. Estrelas de letras. Teatralidades do poema no Brasil pós-1970. ELyra: Revista da Rede Internacional Lyracompoetics, n. 17, p. 199-223, 2021. Disponível em: http://dx.doi.org/10.21747/2182-8954/ely17a13. Acesso em: 01 mar. 2023.
http://dx.doi.org/10.21747/2182-8954/ely...
, p. 200). Ce n’est donc pas dans la sphère d’une métaphoricité critique — où “théâtre” figurerait une transposition imagée de “poésie” —, qu’il propose de considérer ce rapport, mais dans une approche qui, entre métaphorique et opérative, reflète le jeu matériel-immatériel impliqué dans sa conception de théâtralité projetée vers la poésie.

Ce jeu est aussi décrit par Goldfeder comme un “saut transmédial”, proche du geste tel qu’il est pensé par Giorgio Agamben (par exemple dans “Notes sur le geste”, 1995AGAMBEN, Giorgio. Notes sur le geste. In: Moyens sans fins: notes sur la politique. Trad. Danièle Valin. Paris: Payot & Rivages, 1995, p. 59-71.): exhibition de la pure médialité, qui ne peut pas s’écrire intégralement comme langage et qui ouvre la place pour l’éthique, “dans un lieu intervallaire entre ‘faire’ et ‘agir’” (Ibidem, p. 214). Le geste d’interruption qui marque la constitution de l’espace du poème, soulignant sa bipartition constitutive et conflictuelle entre lieu intérieur et lieu extérieur convoque aussitôt l’image d’un autre que le sujet producteur: “produire des ‘effets de théâtralité’ signifie agencer l’espace relationnel qui, antérieur à la scène, la rend possible comme moyen d’implication de l’autre” (Ibidem, p. 215). Par ce côté, nous rencontrons la question de l’adresse du poème, relancée en d’autres termes.

De même, dans le cadre d’une tendance moderne d’exploitation des interruptions et des décalages qui déstabilisent le rapport naturalisé entre corps et vérité sur la scène, Goldfeder privilégie les rapports entre visible et invisible. Il fait appel à la notion de “paratopie”, pensée à partir de Dominique Maingueneau (Le Discours littéraire, 2004)MAINGUENEAU, Dominique. Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation. Paris: Armand Colin, 2004. comme “le lieu ‘impossible’ ou intervallaire depuis lequel l’énonciation structure les liens entre l’intérieur de l’espace du texte et son extériorité” (Ibidem, p. 220). Il donne comme exemple de ces rapports les travaux de Paulo Leminski, Veronica Stigger et Ana Cristina Cesar qui, chacun à sa façon, parcourent la décomposition de la “réversibilité utopiquement totale des conditions matérielles” (Goldfeder, 2021GOLDFEDER, André. Estrelas de letras. Teatralidades do poema no Brasil pós-1970. ELyra: Revista da Rede Internacional Lyracompoetics, n. 17, p. 199-223, 2021. Disponível em: http://dx.doi.org/10.21747/2182-8954/ely17a13. Acesso em: 01 mar. 2023.
http://dx.doi.org/10.21747/2182-8954/ely...
, p. 219) dans la quête de nouveaux agencements entre art et vie.

L’exploitation des “coulisses” du poème dans “le ballet de l’opéra à rio” de Cesar met en avant la notion de théâtralité pour proposer une réflexion sur les rapports entre le poème et le corps qui l’écrit: elle “dédouble l’objectité du poème en théâtre paratopique de mises en perspective, espace d’incarnations partielles du poids impossible de la chair dans la légèreté paradoxale du poème” (Ibidem, p. 215).

des coulisses on perd l’illusion de latranse. mais aujourd’hui je voulais écrire parmi des feux que seul le public voie. je désirais une scène pure, pure perspective de public. je désiraisécrire avec violence pour te consoler: la violence avec laquelle (nous l’imaginons) les danseurs fétichisés se dressent en extase en transfiguration

(Ibidem, p. 211)

Dans ce poème, Viviana Bosi, chercheuse qui a aussi préparé une édition des inédits de Cesar (Antigos e soltos, 2008)CESAR, Ana Cristina; BOSI, Viviana (org.). Antigos e soltos – poemas da pasta rosa. São Paulo: Instituto Moreira Salles, 200٨. voit une hésitation entre “l’appel théâtralisé anxieux” et la dénotation de “manque et intangibilité”, qui l’installent sur le seuil de la réalisation “infaisable d’une volonté de présent et de présence” (citée par Goldfeder, 2021GOLDFEDER, André. Estrelas de letras. Teatralidades do poema no Brasil pós-1970. ELyra: Revista da Rede Internacional Lyracompoetics, n. 17, p. 199-223, 2021. Disponível em: http://dx.doi.org/10.21747/2182-8954/ely17a13. Acesso em: 01 mar. 2023.
http://dx.doi.org/10.21747/2182-8954/ely...
, p. 212). Cette réalisation impossible serait celle du “Tout texte désirerait ne pas être texte” (Cesar, 2016CESAR, Ana Cristina. Crítica e tradução. São Paulo: Companhia das Letras, 2016., p. 303), formulé par la poète en 1983 dans le cadre d’un séminaire de Beatriz Resende consacré à la “littérature de femmes au Brésil”, et souligné par des critiques comme Goldfeder et Siscar. La question du corps, autour de laquelle se noue cet infaisable, y est très prégnante comme d’habitude chez Cesar et ouvre la voie à la pensée d’un certain “féminin”, à laquelle elle a aussi contribué.

Altérité, “féminin”

Quel autre avons-nous rencontré jusqu’ici? Un autre certes abstrait, renvoyant à la notion d’altérité qui aimante le travail poétique et critique du contemporain, que ce soit par le biais de l’adresse, ou par celui de la choralité/théâtralité. Mais cet “autre” indéfini et désincarné a l’avantage de tenir la place pour que des “autres” précis, réels, viennent s’introduire dans le cercle de la production artistique et y exercer ce qui aurait semblé impossible dans les générations précédentes. C’est le cas des poètes noirs et surtout des poètes noires brésiliennes, par exemple, dont le travail demande d’être pris par la critique dans une intersectionnalité où les catégories de race, classe, genre, entre autres, sont liées et se modèlent entre elles.

Ainsi, Thays Keylla Albuquerque évoque-t-elle les impasses de la critique traditionnelle devant cette production autre, qui met en scène “une voix poétique périphérique de femmes, Noirs, gays et pauvres” (Albuquerque, 2017ALBUQUERQUE, Thays Keylla. Poesia contemporânea: uma aproximação horizontal. Revista Encontros de vista, v. 1, p. 124-136, 2017. Disponível em: https://www.journals.ufrpe.br/index.php/encontrosdevista/article/view/4732. Acesso em: 10 abr. 2023.
https://www.journals.ufrpe.br/index.php/...
, p. 124) et propose une “approche horizontale” comme moyen de rendre justice à la différence qu’elles véhiculent. Selon la chercheuse, il faudrait enfin comprendre que la culture lettrée, la tradition “formaliste”, n’est pas la seule à avoir droit de cité dans ce qu’on appelle la poésie aujourd’hui. Elle fait appel dans ses réflexions à la notion d’une “écologie des savoirs” proposée par Boaventura de Souza Santos (“Para Além do Pensamento Abissal: Das Linhas Globais a uma Ecologia de Saberes”, 2007)SANTOS, Boaventura de Sousa. Para Além do Pensamento Abissal: Das Linhas Globais a uma Ecologia de Saberes. Revista Crítica de Ciências Sociais, n. 77, p. 237-280, 2007., ainsi qu’à celle d’un “savoir polilogique” lancée par Otmar Ette (WeltFraktale, 2017)ETTE, Ottmar. WeltFraktale: Wege durch die Literaturen der Welt. Sttutgard: J.B. Metzler, 2017..

En ce sens, une production comme celle de Conceição Evaristo, poète née à Minas Gerais dont l’activité a ouvert des voies dans ce champ, pose à la critique le défi d’apprendre à reconnaître la qualité littéraire à partir d’autres bases de jugement. Cette production thématise souvent la question de l’accès à la condition de producteur artistique et acquiert par là un statut critique. Évoquant le contexte de domesticité auquel les femmes noires étaient massivement vinculées comme la continuation par d’autres moyens de l’esclavage, un poème comme “Voix-femmes” d’Evaristo montre le parcours d’une lignée féminine de mères et filles et fait défiler pour le lecteur quelques siècles d’histoire et de résistance, ainsi que la récente ouverture de ce champ à la voix de la poète. Elle y refait ce jeu poétique déjà consacré qui consiste à agglutiner des mots pour en former d’autres; mais dans son cas, ce sont des mots liés aux questions de l’être-noir, qui deviennent des porteurs d’une expérience singulière de vie et de pensée.

La voix de mon arrière-grand-mère
a résonné enfant
dans les cales du navire.
A résonné des complaintes
d’une enfance perdue.
La voix de ma grand-mère
a résonné l’obéissance
aux Blancs-maîtres de tout.
La voix de ma mère
a résonné tout bas la révolte
au fond des cuisines d’autrui
sous les paquets
des habits sales des Blancs
sur le chemin poussiéreux
vers la favela
Ma voix encore
résonne des vers perplexes
aux rimes de sang
et
faim.
La voix de ma fille
recueille toutes nos voix
recueille en elle
les voix muettes tues
suffoquées dans les gorges.
La voix de ma fille
recueille en elle
la parole et l’acte.
L’hier — l’aujourd’hui — le maintenant.
Dans la voix de ma fille
se fera entendre la résonance
l’écho de la vie-liberté.
(Evaristo, 2008EVARISTO, Conceição. Poemas da recordação e outros movimentos. Belo Horizonte: Nandyala. 2008., p. 10-11)

Je tiens à signaler ici une autre proposition très intéressante par rapport à la question de l’altérité. Il s’agit de la “traduction-Exu” imaginée et pratiquée par les poètes, traducteurs et professeurs André Capilé et Guilherme Gontijo FloresFLORES, Guilherme Gontijo; CAPILE, André. Uma A Outra Tempestade. Prefácio de Paulo Henriques Britto. Belo Horizonte: Edições Relicário, 2022.. Ils ont forgé cette notion à partir de leur traduction d’Une tempête d’Aimé Césaire (Uma A Outra Tempestade, 2022) à son tour traduction ou plutôt réécriture post-coloniale et anticolonialiste de The Tempest de Wiliam Shakespeare. Exu est la divinité afro-brésilienne des carrefours et des communications, étant par cet aspect très susceptible d’identification à l’idée de traduction, du “trans”. Puisque le culte de ces divinités (notamment celui d’Exu, assimilé au diable en personne) a toujours été suspect aux yeux de la société blanche et a servi à la discrimination des personnes noires au Brésil, il s’agit d’une façon provocative de faire entrer cet univers d’altérité dans le milieu de la vie littéraire, comme ils proposent dans Tradução-Exu, également publié en 2022.

En ce qui concerne les transits poétiques du “féminin”, Masé Lemos, elle aussi poète, traductrice et professeur, a étudié les contradictions de cette catégorie critique qu’il faut garder mais qu’il faut redéfinir dans un sens non essentialiste, au-delà de la thématique du “corps” qui a semblé l’une des voies préférentielles du féminin dans la poésie. Lemos essaie donc de travailler dans l’articulation entre “les problèmes de genre (féminin, masculin) et les interrogations liées au genre lyrique” (Lemos, 2022LEMOS, Masé. Pistes du féminin chez Ana Cristina César, Adília Lopes et Nathalie Quintane. Revue des Sciences Humaines, v. 342, p. 171-188, 2022., p. 172). Elle montre une parenté entre les travaux de la française Nathalie Quintane, de la portugaise Adília Lopes et d’Ana Cristina Cesar, qui enrichissent le sujet lyrique “d’une marque spécifique féminine, […] loin des élans pudiques sublimant et de l’illusion cultivée de confessions sincères qui lui sont par tradition (masculine?) attachés” (Ibidem, p. 188).

C’est un rapport avec le féminin en tant que performance, pensé d’après les réflexions de Judith Butler (Trouble dans le genre, 2005)BUTLER, Judith. Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité. Trad. Cynthia Kraus. Paris: La Découverte, 2005., qui va l’intéresser dans son observation de la création poétique des espaces “qui renversent la loi du genre, qui y provoquent des troubles” (Ibidem, p. 175). Dans cette déconstruction d’une prétendue identité préalable à l’écriture, c’est par la création de “pistes fausses” (Ibidem, p. 183) qu’on réussit à inscrire cette nouvelle “identité féminine du sujet lyrique” (Ibidem, p. 181). De même, Lemos est très attentive à la perspective adoptée par Dominique Combe (“La référence dédoublée: le sujet lyrique entre fiction et autobiographie”, 1996)COMBE, Dominique. La référence dédoublée: le sujet lyrique entre fiction et autobiographie. In: COMBE, Dominique (org.). Figures du sujet lyrique. Paris: P.U.F., 1996, p. 39-63., selon laquelle le “sujet lyrique se crée dans et par le poème, qui a valeur performative” (cité par Lemos, 2022LEMOS, Masé. Pistes du féminin chez Ana Cristina César, Adília Lopes et Nathalie Quintane. Revue des Sciences Humaines, v. 342, p. 171-188, 2022., p. 181). Cette identité mobile va être figurée dans les travaux des trois auteures comme une prothèse: gant de peau chez Cesar, jeu gant-main chez Lopes, jeu pied-chaussure (Chaussure) ou épée-main dans (Jeanne d’Arc) chez Quintane. Tous ces jeux renvoient aussi en quelque sorte à la langue, entendue comme “prothèse d’origine” (Derrida, 1996DERRIDA, Jacques. Le Monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine. Paris: Galilée, 1996.), car c’est toujours dans la langue d’un autre, la langue des autres, qu’on peut former un projet de sens singulier.

Conclusion: une “pensivité poétique”

Comment pense le poème? C’est une question qui se veut en rapport avec la question proposée à Barbara Cassin par Patricia Lavelle dans un entretien: “Comment philosophe le poème?”. À travers ces catégories exploitées par la critique que j’ai réunies ici, se montre cette capacité de penser autrement que par système, de penser par paradoxes, mettant en valeur la langue elle-même comme matérialité sensible. Pour Cassin, sa perspective d’Homère “en philosophe” signifie “à la fois Homère comme force de propositions philosophiques et Homère lu avec les yeux de la philosophie” (Lavelle et Cassin, 2022, p. 20). Selon la philosophe, en lisant ce poète fondateur, “Je comprends ce que c’est qu’une métaphore, la contrainte et la liberté du vers, la souplesse de la langue, la plasticité des sons, la perméabilité du monde” (Ibidem, p. 20).

Pour Michel Deguy, poète, philosophe et professeur (Cassin a été son élève), qui a longuement réfléchi à cette “pensivité poétique” dans son travail, “Un sujet (logon échôn) ne s’exprime pas. Il pense en frayant, plus ou moins mal (mal vu, mal dit, salut Beckett!) un chemin, un réseau, de paroles. Il dit ce qu’il pense des choses et sa pensée de la pensée” (Deguy, 2006DEGUY, Michel. Du f.l.m., ou “français langue maternelle”. Po&sie, 115, p. 140-142, 2006. Disponível em: https://www.cairn.info/revue-poesie-2006-1-page-140.htm. Acesso em:10 jun. 2023.
https://www.cairn.info/revue-poesie-2006...
, p. 140). À partir de cette vision de la pensée et de la langue, Deguy propose dans ses travaux une activité hybride comme celle capable de tirer le meilleur parti des deux champs:

De même qu’Arendt intercale sa “théorie politique” entre la philosophie et la politique (ou réflexion sur la politique), ici se cherche à disposer et mettre en place une théorie du poétique: brièvement la poétique entre philosophie et poésie; cet ‘entre’ valant ambigument pour un espace pensif, théorique, qui n’est textuellement ni de la philosophie ni du poème

(Deguy, 2016DEGUY, Michel. La vie subite. Poèmes, biographèmes, théorèmes. Paris: Galilée, 2016., p. 148).

Dans le dépassement de la dichotomie entre langue et “pensée pure”, on entre en lieu intervallaire, lieu de la formation du sens, ce lieu proposé par Jean-Christophe Bailly et présenté au lecteur brésilien par Marcelo Jacques de Moraes, traducteur9 9 Il a d’ailleurs récemment traduit La Phrase urbaine, de Bailly: A frase urbana – ensaios sobre a cidade. Trad. André Cavendish e Marcelo Jacques de Moraes. Rio de Janeiro: Bazar do Tempo, 2021. et professeur: “Il s’agit en somme, de ‘déclore sans fin’, de réouvrir le monde sous le langage, de le ‘débaptiser’, de retrouver et de redisperser, à partir de cette opération, ses légendes10 10 Moraes reprend ces expressions de Bailly, respectivement, de ses ouvrages: Passer définir connecter infinir: dialogue avec Philippe Roux. Paris: Argol, 2024; L’Élargissement du poème. Paris: Christian Bourgois, 2015; Le Propre du langage: voyages au pays des noms communs. Paris: Seuil, 1997. ” (Moraes, 2017MORAES, Marcelo Jacques de. Jean-Christophe Bailly e a legenda(gem) dispersa do mundo: comparições, ricochetes, desarraigamentos. Aletria: Revista de Estudos de Literatura, 27(3), p. 97–111, 2017. Disponível em: https://periodicos.ufmg.br/index.php/aletria/article/view/18764. Acesso em: 01 jan. 2023.
https://periodicos.ufmg.br/index.php/ale...
, p. 98).

Je me suis limitée dans cet article à présenter quelques points importants des analyses faites par des critiques que j’ai eu la chance de rencontrer dans mes propres recherches autour de la poésie contemporaine. Les voix des auteurs rapportés ici entreraient en perspective chorale dans un ensemble plus vaste, parfois dissonant, de voix de critiques que je n’ai pas cités, faute de pouvoir examiner leurs propositions avec le soin qu’elles méritent. Avec cette présentation, cependant, j’estime que le lecteur pourra se faire une idée de la richesse de cette scène critique brésilienne contemporaine en ce qui concerne les études sur cette production poétique “élargie”.

De même, par rapport aux poètes, il y a des lacunes, car le but de l’article était de faire le tour de la critique, sans vraiment m’arrêter sur ce qui la motive, sur les travaux poétiques précis sur lesquels elle réfléchit. La seule figure poétique un peu plus présente dans l’article est celle, prégnante, d’Ana Cristina Cesar. Il n’est jamais trop de souligner son rôle dans la déconstruction d’une fausse dichotomie entre poésie élaborée et spontanée, formaliste et “marginale”, même si évidemment elle n’est pas la seule poète qui permette ce dépassement. Mais elle l’a fait sur plusieurs fronts à la fois, ce qui justifie son importance aux yeux de la critique que j’ai abordée ici.

  • 1
    Este artigo resulta de pesquisa apoiada pelo Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq) com bolsa de Produtividade em Pesquisa.
  • 2
    Toutes les citations de textes écrits en portugais dans cet article ont été traduites par moi.
  • 3
    Dans un compte-rendu de lIndictionnaire du contemporain, Felipe ManzoniMANZONI, Filipe. Alguns caminhos possíveis para ler o Indicionário do contemporâneo. Alea: Estudos Neolatinos, v. 21, n. 3, p. 241-245, 2019. Disponível em: https://www.scielo.br/j/alea/a/p8pBxhYPJCyYT96wYz9mn8b/?lang=pt. Acesso em: 01 jan. 2023.
    https://www.scielo.br/j/alea/a/p8pBxhYPJ...
    voit dans la composition de l’ouvrage une correspondance avec cette “émergence des formes chorales” de la poésie mentionnée par Flora Süssekind (2022)SÜSSEKIND, Flora. Coros, contrários, massa. Recife: Cepe, 2022.; il s’agirait ici d’une “forme chorale” de la critique. Il explicite encore les deux sens que le titre comporte: la négation (in-dictionnaire) et la question indicielle, soit la direction (indic-tionnaire). Ainsi, en même temps, on nie le sens stable des définitions d’un dictionnaire traditionnel et on affirme le sens d’une recherche orientée vers ce qui commence à s’indiquer dans le présent. Les articles (indices, donc), qui renvoient les uns aux autres, sont: Archives; Communauté; Adresse; Le contemporain; Post autonomie; Pratiques non spécifiques; avec une postface, seul texte signé individuellement du livre, Espace-temps, par Raúl Antelo.
  • 4
    Pour me référer à la poésie ou à la post-poésie, il m’arrivera parfois dans ce texte d’employer le mot le plus court (poésie), sans qu’évidemment ce mot prenne le sens de la haute poésie inspirée, car mon souci dans ces réflexions n’est pas à proprement parler celui de distinguer l’une de l’autre (ce que fait d’ailleurs avec beaucoup d’intelligence la poète argentine Tamara Kamenszain (2022)KAMENSZAIN, Tamara. Garotas em tempos suspensos. Trad. Paloma Vidal. São Paulo: Fósforo/Luna Parque, 2022., qui oppose cette poésie des “grands poètes”, les “vates”, éminemment masculine, à la poésie qui se féminise, se fait petite, “se achica”). Je vise ici plutôt à prendre “poésie” et “post-poésie” dans un rapport commun à la critique et au contemporain. Il va sans dire que la poésie faite aujourd’hui ne peut plus ressembler à celle de l’âge des “grands poètes” si elle veut dialoguer avec le contemporain. Se convertit-elle alors forcément en “post-poésie”, même sans coïncider avec les traits d’une post-poésie à la française, par exemple? C’est une question qui reste ouverte.
  • 5
    Il serait intéressant de noter ici l’éclosion, signalée aussi par Pedrosa (2015)PEDROSA, Celia. Poesia e crítica de poesia hoje: heterogeneidade, crise, expansão. Estudos Avançados (USP. Impresso), v. 84, p. 321-334, 2015., d’une série de traductions de ce célèbre texte de Stéphane Mallarmé, bien proches dans le temps, vers la langue brésilienne/portugaise (en fait, on a assisté à des échanges entre Brésil et Portugal autour du contemporain poétique dans les dernières années). Au Brésil, en 2007, par Ana Maria Alencar; et en 2010, par Fernando Scheibe. Au Portugal, en 2012, par Rosa Martelo et Pedro Eiras. Les choix respectifs pour le titre montrent tantôt le singulier, défini ou indéfini (“Crise do verso” ou “Crise de verso”), tantôt le pluriel (“Crise de versos”). Ce qui met en évidence des différences d’interprétation: la crise du vers serait une crise historiquement localisée, la faillite d’un certain modèle poétique; la crise de vers (singulier ou pluriel) est vue comme crise constitutive du processus poétique.
  • 6
    Elle a été traduite en français: CESAR, Ana Cristina. Gants de peau & autres poèmes. Trad. de Michel Riaudel. Paris: Chandeigne, 2005. Le traducteur est aussi l’auteur d’une thèse sur sa poésie: RIAUDEL, Michel. Intertextualités et transferts (Brésil, Etats-Unis, Europe): réécritures de la modernité poétique dans l’œuvre d’Ana Cristina Cesar (Rio de Janeiro, 1952-1983). Thèse de doctorat. 622 f. Paris X, Nanterre, 2007.
  • 7
    Voir, pour une étude de la traduction de “Le cygne” de Baudelaire faite par Cesar: Faleiros, Álvaro, 2022FALEIROS, Álvaro. Ana Cristina Cesar retradutora de Baudelaire. Remate de males, Campinas-SP, v. 42, n. 1, 2022, p. 87-107. Disponível em: https://periodicos.sbu.unicamp.br/ojs/index.php/remate/article/view/8667991. Acesso em: 10 jun. 2023.
    https://periodicos.sbu.unicamp.br/ojs/in...
    .
  • 8
    Mais qui parfois s’y installent, comme dans l’activité de José Celso Martinez Corrêa, créateur du Teatro Oficina Uzyna Uzona à São Paulo, foyer de résistance artistique et politique, qui propose, en plein néo-libéralisme, le “travail immense” de “retrouver cette matière chorale initiale” (Süssekind, 2022SÜSSEKIND, Flora. Coros, contrários, massa. Recife: Cepe, 2022., p. 250).
  • 9
    Il a d’ailleurs récemment traduit La Phrase urbaine, de Bailly: A frase urbana – ensaios sobre a cidade. Trad. André Cavendish e Marcelo Jacques de Moraes. Rio de Janeiro: Bazar do Tempo, 2021.
  • 10
    Moraes reprend ces expressions de Bailly, respectivement, de ses ouvrages: Passer définir connecter infinir: dialogue avec Philippe Roux. Paris: Argol, 2024; L’Élargissement du poème. Paris: Christian Bourgois, 2015; Le Propre du langage: voyages au pays des noms communs. Paris: Seuil, 1997.

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  • FALEIROS, Álvaro. Ana Cristina Cesar retradutora de Baudelaire. Remate de males, Campinas-SP, v. 42, n. 1, 2022, p. 87-107. Disponível em: https://periodicos.sbu.unicamp.br/ojs/index.php/remate/article/view/8667991 Acesso em: 10 jun. 2023.
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  • FLORES, Guilherme Gontijo; CAPILE, André. Tradução-Exu: ensaio de tempestades a caminho. Prefácio de Eduardo Jorge de Oliveira. Belo Horizonte: Edições Relicário, 2022.
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Publication Dates

  • Publication in this collection
    16 Sept 2024
  • Date of issue
    2024

History

  • Received
    08 May 2024
  • Accepted
    30 June 2024
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