Acessibilidade / Reportar erro

La forme de vie et le motif : comment penser la généalogie des tableaux ?

A forma de vida e o motivo: como pensar a genealogia das pinturas?

The form of life and the motif: How to think the genealogy of paintings?

RÉSUMÉ :

Dans cet article, nous nous demandons comment on peut associer une forme de vie, dûment théorisée (BASSO FOSSALI ; COLAS-BLAISE ; FONTANILLE ; WITTGENSTEIN), à une ou plusieurs images, en étudiant la forme de vie d’un tableau ainsi que la ou les formes de vie (« jeux culturels ») associées à un tableau. Il s’agit, plus particulièrement, d’approcher la question des filiations entre tableaux - de la généalogie de tableaux - sous l’angle des migrations et mutations du motif (figuratif, plastique, figural). L’objectif est non seulement de dégager des modes de constitution des formes de vie (par élargissements concentriques, par ressaisie paradigmatique…), mais encore de montrer que la forme de vie d’un tableau peut accueillir des formes picturales en devenir (genèse). Les hypothèses sont mises à l’épreuve de peintures choisies du peintre limougeaud Georges Laurent.

Mots-clefs :
forme de vie; Généalogie; Motif; Figure; Genèse

RESUMO:

Neste artigo, nos perguntamos como podemos associar uma forma de vida, devidamente teorizada (BASSO FOSSALI; COLAS-BLAISE; FONTANILLE; WITTGENSTEIN), a uma ou mais imagens, estudando a forma de vida de uma pintura, bem como a(s) forma(s) de vida ("jogos culturais") associada(s) a uma pintura. Mais especificamente, o objetivo é abordar a questão das filiações entre pinturas - a genealogia das pinturas - sob o ângulo das migrações e mutações do motivo (figurativo, plástico, figura l). O objetivo não é apenas identificar modos de constituição de formas de vida (por ampliações concêntricas, por retomada paradigmática...), mas também mostrar que a forma de vida de uma pintura pode acomodar formas pictóricas em formação (gênese). As hipóteses são colocadas à prova com pinturas selecionadas do pintor de Limousin Georges Laurent.

Palavras-chave:
forma de vida; Genealogia; Motivo; Figura; Gênesis

ABSTRACT:

In this article, we ask ourselves how one can associate a form of life, duly theorized (BASSO FOSSALI; COLAS-BLAISE; FONTANILLE; WITTGENSTEIN), to one or several images, by studying the form of life of a painting as well as the form(s) of life ("cultural games") associated to a painting. It is a question, more particularly, of approaching the filiations between paintings - the genealogy of paintings - under the angle of the migrations and mutations of the motif (figurative, plastic, figura l). The objective is not only to identify the modes of constitution of the forms of life (by concentric enlargements, by paradigmatic reseizure...), but also to show that the form of life of a painting can accommodate pictorial forms in becoming (genesis). The hypotheses are put to the test with selected paintings of the Limoges painter Georges Laurent.

Keywords:
life form; Genealogy; Motif; Figure; Genesis

Peut-on associer une « forme de vie » pourvue d’un ancrage culturel à une ou plusieurs images (BASSO FOSSALI, 2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.) et, plus particulièrement ici, à un ou plusieurs tableaux ? Parlera-t-on de la forme de vie d’un tableau entrant en résonance avec d’autres tableaux, s’inscrivant dans une « généalogie » et connaissant ainsi des variations de formes (œuvre « augmentée ») à travers le temps ? Mais également dégagera-t-on une ou des formes de vie associées à un tableau (à l’acte de (re)peindre et à l’acte de (ré)interpréter, donc à des pratiques socioculturelles) ? Le tableau et ses variantes émanent d’un environnement et ont prise sur lui, en renégociant des valeurs, des profils identitaires, des thématiques récurrentes.

Enfin, pour entrer encore davantage dans le vif de notre sujet, en quoi la forme de vie du tableau/associée au tableau gagne-t-elle à être approchée sous l’angle des motifs qui l’habitent ? La réflexion sur les motifs, qui assurent la médiation entre les tableaux, constitue-t-elle une entrée privilégiée, mettant l’accent à la fois sur la permanence, grâce à la répétition des motifs, et sur le renouvellement des formes, en raison de leurs migrations, éprouvant la frontière entre la singularité du geste de création et le « jeu culturel » collectif avec ses règles et ses contraintes ?

Le renouvellement de motifs (plastiques, figuratifs, figuraux…) sera considéré, ici, comme un révélateur privilégié de généalogies de tableaux et de formes de vie attachées aux « jeux culturels » en production et en réception. Les hypothèses seront mises à l’épreuve de réénonciations1 1 Pour la notion de réénonciation, cf. Colas-Blaise (2023) et Colas-Blaise et Tore (dirs, 2021). de motifs choisis, enjambant les siècles et se cristallisant, plus particulièrement, dans des toiles du peintre limougeaud Georges Laurent. Nous verrons que ces toiles, qu’elles forment des séries ou circulent dans des réseaux, tiennent dans l’interstice particulier où le encore (la permanence du motif) et le déjà (son renouvellement en cours) se touchent, ou encore à la lisière entre le ne plus (ce n’est plus du cubisme, de l’expressionnisme…) et le ne pas encore (projections en direction d’œuvres et d’esthétiques anticipées). Un des défis consistera à fournir à des tableaux le plus souvent non datés un ancrage culturel, fût-ce indirectement, à travers la réénonciation de tableaux et de mouvements artistiques/courants connus.

Afin de tracer un cadre théorique plus général, livrons-nous, d’entrée, à quelques précisions définitionnelles (première partie). La deuxième partie sera consacrée au motif figuratif et à ses pérégrinations. La troisième partie fera interagir le figuratif, le plastique et le figural.

Comment (re)penser la forme de vie ?

Si la notion de forme de vie a été étudiée, en sémiotique, par plusieurs chercheurs, dont Pierluigi Basso Fossali (2012aBASSO FOSSALI, Pierluigi. Possibilisation, disproportion, interpénétration : trois perspectives pour enquêter sur la productivité de la notion de forme de vie en sémiotique. Nouveaux Actes Sémiotiques, n. 115, 2012a. Disponible sur : http://epublications.unilim.fr/revues/as/2673 . Consulté le: 15 avr. 2023.
http://epublications.unilim.fr/revues/as...
; 2012bBASSO FOSSALI, Pierluigi. À nous la philologie. L’implémentation numérique du cinéma et l’identité filmique dans l’horizon théorique de Gérard Genette. Cinéma & Cie, v. XII, n. 18, p. 101-112, 2012b.; 2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.) et Jacques Fontanille (1993FONTANILLE, Jacques. Les formes de vie. RSSI, v. 13, n. 1-2, p. 5-12, 1993. ; 1994FONTANILLE, Jacques. Style et formes de vie. Dans: MAURAND, Georges (org.). Le style. Toulouse: Toulouse-le-Mirail, 1994. p. 67-83.; 2015FONTANILLE, Jacques. Formes de vie. Liège: Presses universitaires de Liège, 2015. ), son association avec un tableau et, a fortiori, avec un motif pictural, nous place d’emblée devant des défis à relever. D’une part, il s’agira (i) de creuser l’idée des modes d’insertion dans une filiation, dans une série de variations morphiques et (ii) de voir en quoi les formes de vie renvoient à des manières d’être en peignant et en interprétant, soutenues par des pratiques sociales, qui « font corps » avec les tableaux et sont responsables d’une pluralité d’« existences ». D’autre part, si ces variations sont fonction, notamment, des mutations de motifs ou accèdent à la manifestation à travers elles, on questionnera à nouveau l’acuité définitionnelle du motif en renvoyant, plus particulièrement, à Panofsky (1975PANOFSKY, Erwin. Die Perspektive als « Symbolische Form ». Vorträge der Bibliothek Warburg, 1924-1925, Leipzig, Berlin, p. 258-330, 1927. (La perspective comme forme symbolique. Paris: Minuit, 1975 [1967]). [1927]; 1969 [1955]) et à Courtés (1986COURTÉS, Joseph. Le conte populaire: poétique et mythologie. Paris: PUF, 1986.).

En première approximation, trois questions de base nous sont adressées avec une certaine insistance.

D’abord, en quoi le motif multistratifié (motif plastique, figuratif, figural…) permet-il de gérer et de contrôler l’établissement de filiations émergeant au gré des rencontres esthétiques qui impliquent des instances de (co)énonciation sensibles et perceptivo-cognitives et des objets de sens malléables, des corpus et des intertextes, des environnements ou milieux variés, des circuits de diffusion, des matières/matériaux et des supports, des formats génériques, des profils et des thèmes différents ? Mais aussi, en quoi le motif donne-t-il à voir ces filiations ?

Ensuite, des «jeux culturels» conféreraient-ils à la forme de vie du tableau un ancrage socioculturel, expliquant pourquoi le tableau, comme toute image, est à la fois « origine » et « destin » (BASSO FOSSALI, 2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.), à la fois production socioculturelle et rétroaction sur le social. Les motifs tâteraient les marges « écologiques » de la culture, entre adaptation et ajustement, confirmation et renouvellement.

Enfin, en quoi le motif ouvre-t-il sur une forme organisationnelle plus liminaire, par un effet d’attraction compositionnelle, sur une figuralité, voire sur un soubassement tensionnel, des modulations et une circulation fondamentale du sens entre des couches superposées, dans l’hypothèse d’une sémiogenèse ? Les transpositions, au sens où l’entendent les gestaltistes, supposent-elles « une invariance des organisations à travers leurs variations » (ROSENTHAL; VISETTI, 1999ROSENTHAL, Victor; VISETTI, Yves-Marie. Sens et temps de la Gestalt. Intellectica, n. 28, p. 147-227, 1999. , p. 169) ? Aussi y aurait-il, à la base des manières de peindre/d’interpréter, un style - une manière d’être en peignant/interprétant - « commun ». Ou du moins un fonds mouvant où quelque chose cherche à s’assembler, au gré de tentatives et d’expérimentations qui confèrent un mode d’existence (qui n’est pas que d’ordre sociétal ou culturel).

Au terme de ces investigations préliminaires, précisons nos cadres théoriques.

Les formes de vie vs la forme de vie : poser le problème de cette manière, c’est, d’entrée, se tourner vers les Recherches philosophiques de Wittgenstein (1953WITTGENSTEIN, Ludwig. Philosophical Investigations. Blackwell: Oxford, 1953. (Recherches philosophiques,trad. F. Dasturet al.. Paris: Gallimard, 2004;Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski. Paris: Gallimard, 1961).). La forme de vie y est mise en relation avec un langage : « Et se représenter un langage veut dire se représenter une forme de vie » (WITTGENSTEIN, 1953WITTGENSTEIN, Ludwig. Philosophical Investigations. Blackwell: Oxford, 1953. (Recherches philosophiques,trad. F. Dasturet al.. Paris: Gallimard, 2004;Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski. Paris: Gallimard, 1961)., p. 19). Ultérieurement, elle est associée à un jeu de langage (WITTGENSTEIN, 1953WITTGENSTEIN, Ludwig. Philosophical Investigations. Blackwell: Oxford, 1953. (Recherches philosophiques,trad. F. Dasturet al.. Paris: Gallimard, 2004;Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski. Paris: Gallimard, 1961)., p. 23), à l’instar de « donner des ordres et agir d’après des ordres », « solliciter, remercier, jurer, saluer, prier » (WITTGENSTEIN, 1953WITTGENSTEIN, Ludwig. Philosophical Investigations. Blackwell: Oxford, 1953. (Recherches philosophiques,trad. F. Dasturet al.. Paris: Gallimard, 2004;Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski. Paris: Gallimard, 1961)., p. 23). Plusieurs points retiennent notre attention.

Admettons donc, pour commencer, que peindre constitue un type de « jeu de langage », ou encore de « cultural game » (SEDMAK, 1999SEDMAK, Clemens. The cultural game of watching the games. Dans: LÜTTERFELDS, Wilhelm; ROSER, Andreas (org.). Der Konflikt der Lebensformen in Wittgensteins Philosophie der Sprache. Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1999. p. 171-189., p. 171-189), associé à une forme de vie : dira-t-on que les réénonciations de tableaux, conscientes ou inconscientes, non seulement entraînent des variations de « manières » de peindre, mais encore d’être dans le monde sociétal construit qui font faire en retour ?

D’une part, nous entendons par « jeu culturel » moins la reproduction d’un geste machinal, moins la répétition et l’adaptation d’un jeu de langage tel que la multiplication (exemple donné par Wittgenstein), en supposant un modèle ou un type à la base de réalisations occurrentielles multiples, que la prise de risque qui permet de déconstruire ce qui paraît figé et de reconstruire. Il s’agit alors de rompre avec les « façons de vivre » (Lebensformen) attendues (WITTGENSTEIN, 1992WITTGENSTEIN, Ludwig. Lectures and Conversations on Aesthetics, Psychology and Religious Belief. BARRETT, Cyril (org.). Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1966; Blackwell, 1967. (Lectures et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse. Dans Leçons et conversations, trad. J. Fauve. Paris: Folio, 1992). [1966], p. 32) et d’innover, au gré des entrées en résonance/dissonance des formes de vie, qui se croisent, se relayent, se superposent, toujours dans la confrontation2 2 L’entrée en résonance des formes de vie se distingue ainsi de l’incompatiblité entre les « régions limitées de signification » (finite provinces of meaning: p. ex. l’expérience religieuse, le monde de la scène, le monde pictural, le monde fictif, le monde ludique) qu’a en vue Alfred Schütz (1962). .

D’autre part, peindre, c’est faire signe, interpeller, faire (ré)agir, à travers la proposition d’un ou plusieurs « jeux culturels ». Il s’agit d’un acte performatif.

Enfin, si la forme de vie associée à un ou plusieurs tableaux comprend une dimension pratique (ici : la confection et l’interprétation du tableau comme œuvre d’art) et une dimension praxique gérant le renouvellement de formes existantes, elle correspond également à une manière (style expérientiel) pour une instance sensible de prendre position au monde, de s’inscrire dans le temps et dans l’espace, de se frotter à l’altérité (COLAS-BLAISE, 2012COLAS-BLAISE, Marion. Forme de vie et formes de vie. Actes sémiotiques, n. 115, 2012. Disponible sur: Disponible sur: https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/2631 . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/...
) ; une manière aussi de faire l’expérience de la rencontre esthétique impliquant une instance de (co)énonciation et une œuvre d’art toujours en gestation. Nous retrouvons alors la question de la forme de vie de base. Mais autrement, en supposant qu’elle ne se résume pas à un modèle - selon Wittgenstein, la forme de vie correspondrait d’abord à une manière d’agir et de faire agir partagée par les humains, par opposition aux animaux. La forme de vie telle que nous l’envisageons est sensible et elle comporte une dimension anthropologique, en deçà même de la distinction entre la nature et la culture.

C’est ce point que permet d’éclairer la sémiotique de la forme de vie élaborée par Fontanille (2015FONTANILLE, Jacques. Formes de vie. Liège: Presses universitaires de Liège, 2015. ). L’objectif est clairement défini : par le biais des formes de vie, on peut interroger le sens, c’est-à-dire les conditions de possibilité des transformations de nos sociétés et de nos cultures, les moyens mis en œuvre et les impacts produits. En ligne de mire, « la plénitude sémiotique de notre rapport au monde » (FONTANILLE, 2015FONTANILLE, Jacques. Formes de vie. Liège: Presses universitaires de Liège, 2015. , p. 130). Cela grâce, précisément, à la solidarisation d’un plan de l’expression - d’agencements syntagmatiques cohérents et reconnaissables projetés sur le cours de la vie - et d’un plan du contenu constitué de valeurs, de modalités, d’émotions, de normes, etc. Est essentiel pour le développement de notre pensée la mobilisation conjointe de l’axe paradigmatique, avec ses catégories disposées en paliers hiérarchisés participant au processus de génération de la signification (la congruence en constitue une propriété), et de l’axe syntagmatique (cohérence). Nous verrons, en effet, que l’étude de la forme de vie du tableau/associée au tableau implique à la fois la circulation entre strates superposées et un développement cohérent, linéaire, plurilinéaire ou délinéarisé.

Enfin, pourvoir une forme de vie d’un certain degré de généralité permet de faire des « jeux culturels » des incarnations de formes de vie plus englobantes, ancrées dans le vivant. Selon Fontanille, elles explorent, par exemple, des régimes de croyance d’identification » (« croire en ce qui fonde notre existence » (FONTANILLE, 2015FONTANILLE, Jacques. Formes de vie. Liège: Presses universitaires de Liège, 2015. , p. 9) ou des modes d’existence sociaux en concurrence. Nous dirons que les interactions entre tableaux contribuent à cofonder (faire coexister) des œuvres d’art (p. ex. à travers une institutionnalisation) et des instances d’énonciation qui répondent, diversement, aux sollicitations. Selon Fontanille (2015FONTANILLE, Jacques. Formes de vie. Liège: Presses universitaires de Liège, 2015. , p. 6), celles-ci font vaciller la frontière entre la nature et la culture.

Pour que notre projet définitionnel soit plus abouti, une dernière étape paraît indispensable3 3 Nous ne prétendons à aucune exhaustivité, prenant le parti de retenir quelques propositions théoriques, à nos yeux décisives. .

Avec Basso Fossali (2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.), nous pouvons retracer le devenir des images en postulant à la base de l’exploration de sémioses multiples à la fois une « spatialisation délimitée des relations sensibles », pourvoyeuses de valeurs, et une « mise à distance du point de vue par rapport aux valeurs saisies », propre à faire accéder à un « terrain de jeu » possible de la « visée ». Notre objectif sera alors de rendre compte :

de formes de vie s’établissant au fil de concrétions signifiantes, c’est-à-dire de stabilisations de formes et de déstabilisations, quand ces concrétions, toujours précaires, cèdent devant la force du renouvellement métamorphique. Selon Basso Fossali (2012aBASSO FOSSALI, Pierluigi. Possibilisation, disproportion, interpénétration : trois perspectives pour enquêter sur la productivité de la notion de forme de vie en sémiotique. Nouveaux Actes Sémiotiques, n. 115, 2012a. Disponible sur : http://epublications.unilim.fr/revues/as/2673 . Consulté le: 15 avr. 2023.
http://epublications.unilim.fr/revues/as...
), « la forme de vie expliquerait la vocation de la culture à se présenter comme une ressource d’émancipation, capable de soustraire l’individu aux liens doxiques figés pour en réélaborer d’autres » ;

de « prises d’initiatives » dépassant l’« espace proximal d’interaction établi, de manière fluctuante et adaptative, par une écologie perceptive » (BASSO FOSSALI, 2012aBASSO FOSSALI, Pierluigi. Possibilisation, disproportion, interpénétration : trois perspectives pour enquêter sur la productivité de la notion de forme de vie en sémiotique. Nouveaux Actes Sémiotiques, n. 115, 2012a. Disponible sur : http://epublications.unilim.fr/revues/as/2673 . Consulté le: 15 avr. 2023.
http://epublications.unilim.fr/revues/as...
) : bref, dirons-nous, de formes de vie associées à des « jeux culturels » portés par des instances d’énonciation éprouvant, en production et en réception, (i) un style expérientiel, attentif à des prégnances sensibles, (ii) un style praxique, se décidant au fil des conversions de formations signifiantes existantes en formations inédites, et (iii) un style pratique, textualisant (COLAS-BLAISE, 2012COLAS-BLAISE, Marion. Forme de vie et formes de vie. Actes sémiotiques, n. 115, 2012. Disponible sur: Disponible sur: https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/2631 . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/...
). En cela semblent résider ce que Basso Fossali (2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.) appelle des « modalités de gestion du sens (perceptive et énonciative) » ; en effet, selon lui, l’« image devient aussi un terrain d’épreuves qualifiantes pour le percepteur, un dispositif de révélation ou d’interrogation de sa vocation énonciative » ;

des conditions de l’apparition, du maintien sous des formes variées et variables et, éventuellement, de la disparition de tel motif pictural en fonction de milieux et de domaines (ici artistiques) qui rendent possibles, voire appellent des prises d’initiative reflétant et reconstruisant, incessamment, un environnement socioculturel et médiatique. Il faudra alors, en réception, retracer les instanciations possibles, les « images-afférentes » (BASSO FOSSALI, 2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.) qui peuvent proposer des déformations par rapport à une « image-inhérente » (sans « substrat objectif » ni « manifestation véridique »)4 4 Cf. une dialectique entre image et picture, entre « transcendance » et réalisation dans une « matérialité » (BASSO FOSSALI, 2019; MITCHELL, 2014 [2005]). .

Quels sont les modes d’organisation captés par l’observateur ? Les rapprochements peuvent exploiter des zones disposées par cercles concentriques (œuvre, corpus de l’artiste, intertexte, milieu artistique, environnement sociétal, etc.), où se nouent des liens de proximité et de distance variables, l’intensité concentrée dans le centre (œuvre) s’affaiblissant en direction de la périphérie du champ ; une instance peut traverser ces zones, du particulier au global, et inversement5 5 Nous nous inspirons très librement d’une proposition de modèle faite par Basso Fossali dans le cadre du programme de recherche « Analyse d’œuvres d’art augmentée (AAA). Dispositif d’interprétation assistée par ordinateur pour les images d’art » (1er mars 2021 - 28 février 2025). Le projet, qui est porté par Pierluigi Basso Fossali (Université de Lyon 2) et par Gian Maria Tore (Université du Luxembourg), se propose de développer un outil adapté à un contexte muséal spécifique. Il s’agit d’étudier différents niveaux d’organisation et de constituer des généalogies en mettant une œuvre observée in situ en relation avec un corpus d’images en libre accès. .

Dans une même zone, les arrangements se font suivant différentes logiques. Les collocations peuvent se fonder sur des ordonnancements chronologiques. Ensuite, au-delà des successions d’occurrences et des rétroactions, des (pluri)linéarités et des bifurcations, on peut être sensible à des formes spiralaires ou tourbillonnaires, quand l’« origine » (Ursprung) se sépare de la genèse (Entstehung) (BENJAMIN, 1985BENJAMIN, Walter. Ursprung des deutschen Trauerspiels. Berlin: E. Rowohlt, 1928. (Ursprung des deutschen Trauerspiels, Gesammelte Schriften, Band I.1. Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1974; trad fr. S. Müller, Origine du drame baroque allemand. Paris: Flammarion (Champs), 1985). [1974, 1928], p. 43-44). Si l’« origine est un tourbillon dans le fleuve du devenir » (Ursprung steht im Fluss des Werdens als Strudel), la forme de vie d’un tableau est prise dans une dialectique entre restitution du passé et ouverture sur de l’inachevé (Unvollendetes, Unabgeschlossenes). Fulgurance dialectique, l’image est de l’ordre de l’élan qui naît dans le devenir, entre pré- et post-histoire, entre répétition et prévision (BENJAMIN, 1985BENJAMIN, Walter. Ursprung des deutschen Trauerspiels. Berlin: E. Rowohlt, 1928. (Ursprung des deutschen Trauerspiels, Gesammelte Schriften, Band I.1. Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1974; trad fr. S. Müller, Origine du drame baroque allemand. Paris: Flammarion (Champs), 1985). ).

Aussi serait-il dangereux de supposer une évolution, un projet vectorisé visant un mieux-dire (FOCILLON, 2010FOCILLON, Henri. Vie des formes. Paris: PUF, 2010 [1943]. [1943], p. 12-13). Ce serait tabler sur une rationalité émergeant peut-être a posteriori, voire sur une intentionnalité plus ou moins latente - sur une programmation avec des ajustements ? - que les mutations du motif auraient pour mission d’exhiber.

Enfin, le principe de la variabilité intrinsèque fait que les variantes constitutives rattachées, paradigmatiquement, à un ensemble de stratifications entrent en vibration les unes avec les autres, dans l’instant. L’image entretissée de motifs figuratifs, plastiques…, elle-même dotée d’une épaisseur, s’appréhende à travers une autre image, coprésente, « ressemblante » ou non, ceci dans un mouvement de balancement sans fin.

Dans la deuxième partie, nous retracerons des migrations et des mutations de motifs figuratifs choisis révélant (i) les « jeux culturels » témoignant de prises d’initiative individuelles ou collectives, conservatrices ou contestataires ; (ii) les recadrages auxquels se livre un observateur quand il passe d’une zone à une autre (du motif au fond générique et au cadre de thématisation).

Le motif figuratif et ses migrations : la traversée des couches de sens

Suivons, pour commencer, les pérégrinations du motif figuratif (plan d’expression et plan du contenu) de la femme assise ou allongée, au moins depuis Frans Hals, en faisant défiler Velasquez, Latour, Renoir, Degas, Cézanne, Picasso, Miró…, jusqu’à des compositions récentes qui, dans le cas de David Hockney (My Mother, collage, Barcelone, Galerias de Arte, 1986), renouvellent le geste cubiste de la fragmentation et de la dé/restructuration en portant celui-ci à son sommet d’intensité, qui détournent des tableaux connus de manière humoristique - ainsi Kim Dong-kyu réénonce Le rêve de Pablo Picasso, 2013, dans le cadre du projet ART X SMART (2013), en plaçant dans la main droite du personnage féminin un téléphone portable6 6 Kim Dong-kyu revisite et « actualise » des œuvres connues pour conduire une réflexion sur l’impact des nouvelles technologies sur nos modes de vie. Sans doute peut-on parler d’une « fonctionnalisation » de l’œuvre d’art qui détourne l’attention de ses qualités esthétiques pour en faire un témoignage. - ou qui recourent à la radicalité de la peinture numérique (« Joker » Digigraphie7 7 Il s’agit d’une peinture numérique réalisée sur ordinateur et imprimée sur toile canevas agrafée sur châssis à clés suivant la technique de Digigraphie d'art. Elle comporte un tampon d'authentification au verso. ).

À défaut d’une répartition des variantes dans différentes zones et de la distinction entre les variantes contrôlées par l’œuvre source (syntaxe, valeurs…) ou plus aléatoires, ce passage en revue- point de vue cumulatif (FONTANILLE, 1999), lissant et objectivant- des chefs d’œuvre ayant ponctué l’histoire de l’art, en parcourant les siècles à grandes enjambées, n’est guère satisfaisant. Le point de vue faussement surplombant ne serait pas plus convaincant, ni le point de vue particularisant. Le point de vue électif mettrait en valeur la consistance des images, leur capacité non seulement à représenter, mais à présenter (mettre en présence). En même temps, l’« arrêt » sur tel tableau isolé irait à l’encontre de la mise à nu de la puissance transformatrice des réénonciations.

Le détour par une sémiotique du portrait (effet de présence produit, ressemblance et substitution, capacités proprement réflexives de l’image… (BEYAERT-GESLIN, 2017BEYART-GESLIN, Anne. Sémiotique du portrait: De Dibutade au selfie. Paris: Be Boeck, 2017.) ne nous libère pas de l’obligation de considérer, au-delà du motif proprement dit, des thèmes, des valeurs, des modalités et rôles actantiels (projections et rétroactions, anticipations, annonces, ajustements, rectifications, confirmations et sanctions…).

Rappelons-nous que Panofsky (1969PANOFSKY, Erwin. Meaning in the Visual Arts. Knopf Doubleday: Anchor Books, 1955. (L’œuvre d’art et ses significations: essai sur les « arts visuels ». Paris: Gallimard, 1969). [1955]) définit le motif artistique à partir de l’identification de « pures formes » - correspondant à des « configurations de ligne et de couleur, ou certaines masses de bronze ou de pierre, façonnées de manière particulière » - comme des « représentations d’objets naturels ». L’« atmosphère intime et paisible d’un intérieur », p. ex., constitue une qualité « expressive ». D’où des « significations primaires ou naturelles » déclinables en « signification de fait » (« sens-chose ») et en « signification expressive » (« sens-expression »), qui accueillent un second niveau : celui d’une signification « secondaire » ou conventionnelle » (« sens-signification »). Une configuration complexe comprend la « connaissance surajoutée à la culture » (PANOFSKY, 1975 [1927], p. 238). Celle-ci est « présupposée » et doit être distinguée, en dernière instance, des

principes sous-jacents qui révèlent la mentalité de base d’une nation, d’une période, d’une classe, d’une convention religieuse ou philosophique - particularisés inconsciemment par la personnalité propre à l’artiste qui les assume - et condensés en une œuvre d’art unique […] (PANOFSKY, 1969 [1955], p. 13).

Courtés (1986COURTÉS, Joseph. Le conte populaire: poétique et mythologie. Paris: PUF, 1986., p. 29) pointe un des problèmes posés par cette stratification : la non-homologation de la « signification primaire » ou motif et de la « signification secondaire » avec le couple figuratif vs thématique en sémiotique: en effet, les deux significations, primaire et secondaire, sont « pratiquement tout aussi figuratives l’une que l’autre » (COURTÉS, 1986COURTÉS, Joseph. Le conte populaire: poétique et mythologie. Paris: PUF, 1986., p. 29). Aussi le troisième niveau selon Panofsky correspond-il non à ce qui est appelé « conditions de production » de l’œuvre d’art, mais à un « ultime contenu, à la mesure de l’essence » (PANOFSKY, 1975PANOFSKY, Erwin. Die Perspektive als « Symbolische Form ». Vorträge der Bibliothek Warburg, 1924-1925, Leipzig, Berlin, p. 258-330, 1927. (La perspective comme forme symbolique. Paris: Minuit, 1975 [1967]). [1927], p. 251). Un signifié est corrélable au signifiant fourni par les autres niveaux. Courtés (1986, p. 31) interprète la « mentalité de base » - pour Panofsky, « ce contenu, c’est ce que le sujet, involontairement et à son insu, révèle de son propre comportement envers le monde et des principes qui le guident » - comme « une sorte de sémantique fondamentale, par oppositions aux significations “primaire” et “secondaire” qui relèveraient alors d’une sémantique plus superficielle (au sens sémiotique) ».

En vertu d’un système d’englobements par intégrations ascendante et descendante, le motif mutant manifeste le « contenu ultime » selon Panofksi et contribue à le reconfigurer. Une approche mettant en avant les traversées de couches de sens, les transversalités, sera sensible moins à des codéterminations qu’à des interprétations croisées, également au sens musical du terme : le « jeu culturel » à partir d’une partition donnée est joué de multiples façons, chaque fois à nouveau, les changements se répercutant d’un cadre (par exemple thématique) à un autre. Les recadrages sont d’ordre modal, gérant des pouvoir- et des vouloir-faire, peut-être conflictuels, des normes et des connaissances, des habitudes et des habiletés portées par des devoir- et des savoir-faire, mais aussi des disponibilités négociant le passage de possibles et de potentialités vers la manifestation.

Cela n’est pas sans rappeler la distinction entre le motif, le profil et le thème (VISETTTI, 2015). Si les profils renvoient à des dynamiques de stabilisation dans une syntagmatique, les cadres de profilage correspondent à une « classe » - ainsi une classe lexicale - qui constitue « comme une région sémantique donnant lieu à répartition de traits entre fonds et formes ». Les différences sont ici subsumées par des classes (par exemple par des taxèmes) en relation avec des opérations méréologiques et métonymiques ainsi qu’avec une articulation, dans le temps, entre procès et actants, pourvus de rôles. Quant aux « identités thématiques », elles semblent exploiter les cadres de profilage, menant jusqu’au bout la prise en considération de scénarios, de fonctions narratives et de normes. Ceux-ci sont à la fois d’ordre rhétorique et stylistique, générique (genres textuels) et en prise sur des domaines de discours, des pratiques sociales instituées. Les couches de sens sont à la fois perceptives et ouvertes, au fil des réinterprétations des cadres, non seulement sur les entours socio-culturels, mais encore sur tout un imaginaire.

Bifurquer vers la théorie luhmannienne de l’autopoïèse permet de noter une dynamique interne (forces cachées d’auto-reproduction, Selbstprogrammierung), en vertu d’un code, d’une « structure fondamentale, qui est produite et reproduite par des opérations du système » (LUHMANN, 1995LUHMANN, Niklas. Die Kunst der Gesellschaft. Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1995. , p. 301).

D’une part, les interprétations de cadrages peuvent être repensées comme des formes de marquage : le nombre des possibles se restreint au fur et à mesure que l’on passe de l’espace non marqué (unmarked space) à l’espace marqué (marked space). Étudier la forme de vie d’un tableau, c’est alors suivre à la trace des marquages différents qui permettent de déterminer le sens de ce qui « convient », de ce qui se trouve pris dans sa propre logique (dann baut sich ein Sinn für Passendes auf, der sich […] in der eigenen Logik verfängt). Grâce à la stabilisation par un code qui décide de la cohérence ou incohérence des formes et de leur degré de convenance ou adéquation. Mais aussi en vertu de la disposition de l’art à accueillir la contingence, qui se distingue de l’aléatoire (Beliebigkeit). Si l’œuvre d’art correspond à un arrangement de formes, elle constitue aussi une « irritation (Irritation) avec des possibilités de développements ouvertes ». D’où l’idée que la progression d’une forme constitue une « expérience (Experiment) » qui peut réussir ou ne pas réussir (LUHMANN, 1995LUHMANN, Niklas. Die Kunst der Gesellschaft. Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1995. , p. 190 - nous traduisons).

D’autre part, faire un détour par les théories de Luhmann, c’est se donner les moyens de montrer en quoi la forme de vie d’une œuvre d’art exprime une ou plusieurs questions cristallisant des aspirations collectives, la création de formes innovantes permettant de faire l’expérience d’un ordre nouveau, de structures inédites, entre contraintes et possibles. Mieux : on peut argumenter l’idée que la forme de vie d’un tableau propose une image exemplaire de l’évolution de la société. En effet, pour Luhmann, le système fonctionnel de l’art est partie intégrante de la société, à côté d’autres systèmes fonctionnels (économie, science, religion…) autonomes et auto-régulateurs. Donnant une suite à une demande que lui adresse la société, il fait de celle-ci un cas « exemplaire » (LUHMANN, 1995LUHMANN, Niklas. Die Kunst der Gesellschaft. Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1995. , p. 499) qui montre comment gérer et rendre signifiantes l’ambiguïté et l’indétermination, la tension entre ouverture et fermeture, contre le chaos et l’entropie. Le système de l’art donne à voir la société telle qu’elle est, l’art devenant le « paradigme » de la société moderne. Mieux, il accède au niveau du modèle, de cette représentation schématisante servant d’élément charnière entre un ensemble de pratiques observées, rendues comparables, et la théorie ou la règle au niveau de la généralisation. Plutôt que de suivre un modèle sociétal superordonné, le modèle de l’art socialement acceptable commande ainsi au développement d’un vivre et d’un faire en communauté. En même temps, l’art peut s’observer, voire se commenter réflexivement ; il peut aussi décrire, commenter et expliquer la société, se hissant à un niveau épisémiotique ou méta-. « Catalyseur » ou « attracteur » indiquant la direction empruntée par des processus évolutifs, il devient l’interprétant de pratiques artistiques, mais aussi non artistiques.

Il incombe alors à la forme de vie d’un tableau de montrer de manière particulièrement percutante en quoi une œuvre interagissant avec d’autres œuvres, voire diffractée par elles peut incarner les rôles qui sont impartis à l’art et les interpréter. Par un repli réflexif, la forme de vie donne à voir un devenir qu’elle peut commenter a posteriori ou anticiper.

Dans notre troisième partie, nous élargirons les critères de pertinence au volet non seulement plastique, mais encore figural du motif. Les hypothèses seront mises à l’épreuve de tableaux de Georges Laurent, qui seront approchés d’un triple point de vue :

(i) en vertu d’une modélisation qui prévoit la circulation entre zones disposées par cercles concentriques. Des élans projectifs coexistent avec des bouclages rétrogrades, notamment sur la base de la similarité/dissimilarité de propriétés. Il faut « opérer » l’œuvre source, en cheminant dans différentes zones (textuelles, intertextuelles, etc.), à des vitesses inégales, avec des précipitations et des ralentissements, des accrocs et des obstacles, des lissages et des striures au sens deleuzien du terme, avec des états plus ou moins intensifs. C’est tenir compte aussi de vides et de lieux d’indétermination. Si la forme de vie accueille des oscillations et vibrations sans fin, sur la base non seulement des proximités et des éloignements, mais encore d’une hétérogénéité constitutive, de « lignes de fracture », elle fait également tenir les éléments ensemble, ponctuellement, instantanément ; toujours en cours, car appartenant à un type de sémiose que Fontanille et Couégnas (2018FONTANILLE, Jacques; COUÉGNAS Nicolas. Terres de sens. Essais d’anthroposémiotique. Limoges: Pulim, 2018. ) appelleraient « ouverte », par opposition à l’œuvre elle-même, a priori « fermée » ;

(ii) en vertu d’une modélisation qui ressaisit les variantes (pliées, dépliées, repliées) dans le présent, paradigmatiquement, sur le principe d’une variation intrinsèque, affranchie de tout modèle princeps, voire sans origine. Nous nous demanderons si ce n’est pas du feuilleté de variantes superposées, mais aussi permutables que peut se dégager une généricité figurale (VISETTI, 2015VISETTI, Yves-Marie. Motifs et imagination sémiolinguistique. 2015. Version longue préliminaire d’un texte paru. Dans: HÉNAULT, Anne (org.). Le sens, le sensible, le réel. Paris: Sorbonne Université Presses, 2019. Disponible sur: Disponible sur: https://www.academia.edu . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://www.academia.edu...
) et émerger la Figure (DELEUZE, 1981DELEUZE, Gilles. Sur la peinture. Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ar...
; 2002).

À cet effet, gageons que le figuratif, trop convenu, peut être redynamisé par le biais du plastique et du figural, voire qu’il est possible de s’affranchir du figuratif au profit de la Figure qui, selon Deleuze (1981DELEUZE, Gilles. Sur la peinture. Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ar...
; 2002) sort du diagramme.

Du motif plastique et figural à la Figure : quand le portrait résonne avec le paysage…

L’analyse du formant plastique (GREIMAS, 1984GREIMAS, Algirdas Julien. Sémiotique figurative et sémiotique plastique. Actes sémiotiques, Documents, n. 60, 1984.), même dissocié du formant figuratif, provisoirement, permet-elle de rendre davantage compte de la mobilité et du caractère changeant du motif ? Après une analyse des rapports entre plastique, figuratif et iconique chez Floch et Thürlemann, Fontanille (2022FONTANILLE, Jacques. Archéologie et anthropologie de la dimension plastique des sémiotiques visuelles. En hommage à Jean-Marie Floch. Estudios Semioticos, v. 19, n. 2, p. 87-120, 2023. )8 8 Cf. une conférence intitulée « La dimension iconique et la dimension plastique. Petite chronique d’une grande distinction méthodologique », Festival de sémiotique de Bordeaux (organisé par Anne Beyaert-Geslin, Université Bordeaux-Montaigne, juin 2022). On consultera aussi Fontanille (2023; à paraître). conclut à l’existence de « deux types d’expression (iconique et plastique) renvoyant chacun à un niveau de contenu différent dans la hiérarchie des significations (figuratif et thématico-narratif) ». Il propose d’

(1) envisager un basculement entre deux points de vue complémentaires, (2) articuler ce basculement à deux régimes aspecto-temporels de la sémiose, celui de la reconnaissance (le point de vue du déjà) et celui de la projection (le point de vue du pas encore), et (3) considérer les deux sémioses, exploitant les mêmes substances d’expression, comme concurrentes dans la manifestation visuelle (FONTANILLE, 2022FONTANILLE, Jacques. Archéologie et anthropologie de la dimension plastique des sémiotiques visuelles. En hommage à Jean-Marie Floch. Estudios Semioticos, v. 19, n. 2, p. 87-120, 2023. ).

Mais encore, selon Fontanille,

déjà et pas encore sont deux variétés aspecto-temporelles d’un processus en cours, celui de la construction de la signification du sensible : sous l’aspect déjà disponible, la dimension iconique validerait une signification extraite d’une mémoire, d’un répertoire, et d’une antériorité, et sous l’aspect pas encore disponible, la dimension plastique ouvrirait sur des significations à construire, à deviner, à décrypter, à révéler ou divulguer, à projeter, à imaginer, postérieurement (FONTANILLE, 2022FONTANILLE, Jacques. Archéologie et anthropologie de la dimension plastique des sémiotiques visuelles. En hommage à Jean-Marie Floch. Estudios Semioticos, v. 19, n. 2, p. 87-120, 2023. ).

Au-delà même de la discussion sur la différence entre le figuratif et l’iconique, on associera au plastique l’idée de l’ouverture et d’une dynamique mettant à profit un élan vers la suite, et au figuratif/iconique celle d’une reconnaissance après coup, qui est identification. Basso Fossali souligne le « potentiel subversif du plastique » (2018-2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. La sémiotique visuelle de Greimas entre archéologie et actualité. La Part de l’Œil, n. 32, p. 309-329, 2018-2019. , p. 312). Greimas lui a déjà reconnu ce même rôle, sans toutefois franchir le pas en direction de la mise à nu d’un signifié plastique. Écoutons Basso Fossali :

[…] fidèle à une conception du texte où « tout se tient », il [Greimas] a hésité devant le potentiel divergent des sémioses activées par chaque couche, en proposant souvent une détermination sémantique du plastique assurée par un « code universel figuratif ». À travers la lecture semi-symbolique, le signifiant plastique ne s’articule pas avec un véritable signifié plastique, le passage par un horizon figuratif supérieur compromettant l’autonomie d’une sémiotique de l’abstrait. En effet, la solution méthodologique de la lecture semi-symbolique, qui articule des homologations conjointes entre les termes opposés de deux catégories (ex. pointu = terrestre : arrondi = céleste) demeure une codification ad hoc du plastique (pointu vs arrondi), afin de l’assujettir à la force organisatrice d’un plan figuratif d’ordre mythique et universalisant (terrestre vs céleste) (BASSO FOSSALI, 2018-2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. La sémiotique visuelle de Greimas entre archéologie et actualité. La Part de l’Œil, n. 32, p. 309-329, 2018-2019. , p. 313).

Pour lancer le débat, adoptons une double perspective : d’une part, celle d’une dédensification sémantique et syntaxique, c’est-à-dire d’une raréfaction des traits signifiants du tableau qui débouche sur la mise en évidence d’une partition ou notation « nue », allographique, au sens où l’entend Goodman (1968GOODMAN, Nelson. Languages of Art: An Approach to a Theory of Symbols. Indianapolis: The Bobbs-Merrill Company, Inc., 1968. (version revue, Indianapolis : Hackett Publishing Company, 1976. Langages de l’art: Une approche de la théorie des symboles, trad. J. Morizot. Nîmes : Jacqueline Chambon, 1992). [1990] ; d’autre part, celle de l’attribution au tableau d’une des positions diagrammatiques que Deleuze a identifiées dans sa Lecture 4, « La peinture et la question des concepts » (5 mai 1981DELEUZE, Gilles. Sur la peinture. Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ar...
). Plus précisément, cette diagrammatisation du tableau exige la mise en œuvre d’un code (par exemple par Kandinsky : « vertical, blanc, actif ; horizontal, noir, passif ou inertie ; angle aigu, jaune, tension croissante ; angle obtus, bleu, pauvreté » (DELEUZE, 1981DELEUZE, Gilles. Sur la peinture. Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ar...
) - selon Deleuze, il s’agit de la position la moins diagrammatique.

Il est remarquable qu’une telle allographisation et diagrammatisation réclame un ajustement du regard porté par l’observateur. Le regard myope (close reading) est relayé par un regard prenant de la hauteur, au point même de généraliser (distant reading) ; l’approche textuelle immanente peut se voir destituée au profit, à terme, de l’ouverture sur de vastes compositions, mais aussi de la mise à nu d’un soubassement figural. On peut réinterpréter en ce sens la forme de généricité que Visetti (2015VISETTI, Yves-Marie. Motifs et imagination sémiolinguistique. 2015. Version longue préliminaire d’un texte paru. Dans: HÉNAULT, Anne (org.). Le sens, le sensible, le réel. Paris: Sorbonne Université Presses, 2019. Disponible sur: Disponible sur: https://www.academia.edu . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://www.academia.edu...
) appelle « figurale ». Il vise des motifs conçus comme des « modes d’accès génériques, ou des complexes relationnels transposables ». Il illustre sa proposition à travers le motif prépositionnel ou à travers une analyse du verbe « monter », en visant une « expression configurationnelle ». Il dégage ainsi un motif prépositionnel « situé par définition en deçà des profilages particuliers - à vrai dire en nombre indéfini - de la préposition en emploi ». Souvenons-nous que les cadres de profilage correspondent à une « classe » (par exemple lexicale). Pour sa part, la généricité figurale « rompt avec toute approche classifiante ou catégorielle/dénominative ».

Plus largement, le figural autorise une « transversalité du sens » (BASSO FOSSALI, 2018-2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. La sémiotique visuelle de Greimas entre archéologie et actualité. La Part de l’Œil, n. 32, p. 309-329, 2018-2019. , p. 314-315) : il permet de multiplier les accès non seulement à l’image, mais encore à sa forme de vie. Il nous donne également les moyens de penser une « générativité figurale ». Nous verrons concrètement comment la transversalité du sens (i) fait résonner des œuvres que le seul critère du motif figuratif ne permettrait pas de rapprocher et (ii) invite à retracer une genèse des images.

Procédons par étapes, en partant du motif plastique en relation avec un système semi-symbolique pour passer, progressivement, à une figuralité transversale. Le figuratif sera redynamisé avant d’être dépassé. L’analyse textuelle immanente de tableaux ciblés est considérée ici comme un préalable de la trans-cendance (par la forme de vie).

Entrons dans l’œuvre de Georges Laurent par ce tableau:

Figure 1 :
Sans titre.

Les formes arrondies ou angulaires sont soulignées par l’usage fait de la couleur : de teintes de brun, du brun foncé à un brun clair virant sur l’orange, instaurant comme des échos chromatiques avec les plages orange qui tantôt enferment les surfaces brunâtres, tantôt sont prolongées par elles, produisant alors un effet de dédoublement, comme une ombre portée. Tout se passe en effet comme si la surface brunâtre constituait le fond que les plages orange viennent découper et articuler diversement, jusqu’à ce qu’elle accède au plan de surface à son tour. En effet, un dédoublement éidétique peut être associé à un jeu de jambes superposées, dans les tons tantôt orange, tantôt bruns, comme en réponse au découpage du visage dont les deux profils sont traités séparément. Si l’on accepte alors de considérer le tableau comme un espace « clos et articulé », qui correspond à un « ensemble signifiant », à une « structure textuelle » (FLOCH 1985FLOCH, Jean-Marie. Petites mythologies de l’œil et de l’esprit. Paris: Hadès et Benjamins, 1985., p. 45) dont il s’agit de rendre compte à travers des discrétisations dégageant notamment des unités du plan de l’expression et proposant des corrélations, on peut au moins établir une relation entre l’arrondi vs le pointu et l’unifié vs le fragmenté. Cette opposition est portée, éventuellement, par un soubassement de termes contraires tels que « harmonie vs dysharmonie », « accord vs désaccord », « calme vs agitation », « paix vs discorde »9 9 Cf. également les « qualités expressives » selon Panofsky (1975 [1924]). ….

En effet, Floch vise à dégager des systèmes « semi-symboliques » définis par la « conformité non pas des éléments isolés mais des catégories situées sur [les plans de l’expression et du contenu] » (FLOCH, 1988FLOCH, Jean-Marie. Un type remarquable de semiosis: les systèmes semi-symboliques. Dans: HERZFELD, Michael; MELAZZO, Lucio (org.). Semiotic Theory and Practice, vol. 1. Berlin: De Gruyter Mouton, 1988. p. 251-257., p. 252). L’image est alors considérée comme un tout de sens stabilisé, parfaitement débrayé, aux contours d’énoncé nettement affirmés. Floch cherche avant tout la mise en place d’un modèle dont le soubassement, empruntant la forme du carré sémiotique (par exemple, organisé autour des termes contraires et contradictoires « euphorie », « dysphorie », « non-euphorie », « non-dysphorie », associés respectivement à « bien-être, plaisir », « dépression, angoisse », « tristesse, anxiété » et « calme, paix intérieure » (FLOCH, 1988FLOCH, Jean-Marie. Un type remarquable de semiosis: les systèmes semi-symboliques. Dans: HERZFELD, Michael; MELAZZO, Lucio (org.). Semiotic Theory and Practice, vol. 1. Berlin: De Gruyter Mouton, 1988. p. 251-257., p. 253)), sous-tend un ensemble d’oppositions listées sur l’axe paradigmatique (par exemple, « clair vs sombre », « nuancé vs contrasté », « trait fin vs trait épais », « trait continu vs trait discontinu », « forme unique vs forme démultipliée », etc.).

Il se propose ainsi de rendre compte de la contribution d’une « opposition de valeurs », de la « saturation d’un rouge », d’une « différences de techniques ou de matières » ou encore d’un « rapport de positions à l’intérieur d’un volume »… à la production sémiosique, au-delà de la reconnaissance des seules figures (FLOCH, 1988FLOCH, Jean-Marie. Un type remarquable de semiosis: les systèmes semi-symboliques. Dans: HERZFELD, Michael; MELAZZO, Lucio (org.). Semiotic Theory and Practice, vol. 1. Berlin: De Gruyter Mouton, 1988. p. 251-257., p. 249). Les conditions sont émises immédiatement : pour que l’image soit un objet de sens, il faut que la « surface plane qu’elle occupe [soit] informée, articulée ». Concrètement, le terme « contraste » en vient à désigner la « co-présence », sur une même surface, des « termes opposés de la même catégorie visuelle ». Un réseau notionnel se construit, qui comprend la corrélation et le couplage (sur le modèle du couplage de l’opposition « oui/non » avec l’opposition des mouvements de la tête).

Ou encore, retrouvant les postulats de base associés au semi-symbolisme, tels que (i) la segmentation comme méthode de dégager des unités discrètes pourvues d’un statut sémiotique, (ii) le principe de contraste, on peut avec Thürlemann (1982THÜRLEMANN, Félix. Paul Klee, analyse sémiotique de trois peintures. Lausanne: L’Âge d’Homme, 1982. , p. 35) mettre en avant les « codes-connecteurs » qui correspondent à des « règles » établissant des rapports d’homologation entre des catégories plastiques et des catégories sémantiques. À cela s’ajoute, chez Floch, l’insertion diachronique de tel tableau dans la production de l’artiste, voire d’autres artistes.

Sur ces bases, essayons (i) de mettre le système semi-symbolique, trop rigide, en mouvement et (ii) de nous affranchir des universaux figuratifs en faveur d’un signifié plastique. Il s’agira, d’abord, de dégager un fond de forces cohésives/dispersives, d’isoler des tensions captées par une instance non seulement perceptivo-cognitive, mais encore sensible. À terme, le figuratif sera réinvesti sur de nouvelles bases.

Quelles sont ces tensions ? Globalement, l’impression produite par le tableau 1 (versants plastique et figuratif du motif) est celle d’une composition harmonieuse. Un double plan d’accueil (un fauteuil bleu ainsi qu’une couverture beige) endosse les fonctions du cadre indexicalisant, qui instaure une surface en surface de représentation et confère une homogénéité à la figure féminine. Les plans se superposent et se procurent les uns aux autres leurs limites. Aucun éclatement, aucun facettage qui sacrifierait la charge figurative. La désarticulation locale, par exemple au niveau de la table basse, est compensée par une reconstruction qui enferme. Plus précisément, il incombe aux contrastes chromatiques - à une plage orange striée (du décolleté aux bras et à la jambe droite qui prend la forme d’une courbe allongée) bordant une plage brunâtre, sur laquelle tranchent des volumes beiges qui débordent le cadre fourni par la chaise et sont rehaussés par l’étroite bande de papier collé (rime avec le calendrier déposé sur la table) - de renforcer l’impression de sculpturalisation du corps. À travers l’opposition entre le contenant et le contenu, un extérieur englobant, qui privilégie les courbures, et un intérieur qui multiplie les formes angulaires en « V » en les disciplinant, en les subordonnant à la figure d’ensemble. D’où l’effet d’une composition cernée par un trait noir où les parties s’ajustent parfaitement entre elles.

Il n’en demeure pas moins que l’arrondi et le pointu peuvent se disputer l’accès au plan de la manifestation. On note, concrètement, comme des hiatus, des interruptions du contour orange enveloppant, comme s’il était incapable de délimiter la surface brune entièrement en instituant un bord continu entre un extérieur et un intérieur, entre un contenant et un contenu. La surface brune menace de déborder. Aux minuscules interstices visibles à gauche et à droite du buste de femme répond le non-alignement du calendrier, déposé sur la table basse, avec un des côtés du triangle. D’où une impression de « désordre » créatif. Un désordre tout relatif, dira-t-on, puisque les interstices, par exemple, peuvent être reliés par une diagonale s’accordant avec d’autres diagonales. La remise en question de la maîtrise apparente n’en contribue pas moins à une redynamisation de la composition de l’intérieur. C’est, largement, le rôle qui incombe au collage : le collage ne peut, ni ne « doit » coller. Citant Dällenbach, qui, dans Mosaïques (2001DÄLLENBACH, Lucien. Mosaïques: Un objet esthétique à rebondissements. Paris: Seuil, 2001. ), considère le collage comme « un montage discontinu de pièces détachées », Beyaert-Geslin (2005BEYAERT-GESLIN, Anne. La typographie dans le collage cubiste: de l’écriture à la texture. Dans: ARABYAN, Marc; KLOCK-FONTANILLE, Isabelle (org.). L’écriture entre support et surface. Paris: L’Harmattan, 2005. p. 131-151.) met à nu une «intentionnalité adversative» qui maintient l’hétérogénéité (nous parlons de « narrativité embryonnaire »). C’est cette hétérogénéité qui entre elle-même en tension avec les efforts d’homogénéisation que l’on observe par ailleurs.

Ces tensions nous conduisent, progressivement, à nous détacher du figuratif et à repérer dans le tableau 2 une répétition/mutation de formes géométriques complexes, obtenues par différents types de mélanges. Mieux, l’on se rend compte que les formes géométriques ne préexistent plus telles quelles, ne sont plus stabilisées une fois pour toutes, mais adviennent à l’existence. Tout porte à croire que, malgré l’apparence d’une structure parfaite, d’un tout stabilisé intégrant des parties strictement agencées, une dynamisation latente emprunte à la Gestaltung selon Paul Klee. Enfin, en vertu d’une grammaticalisation abstraite des variations de surface, 1 peut être interprété à travers 2 (saisie paradigmatique pour la zone « corpus ») et inversement.

Figure 2 :
Sans titre.

Quels sont les indices d’une telle dynamisation interne au tableau ? On peut détecter la composition d’une flèche partant de la gauche du tableau en direction de la droite, à travers l’enchaînement d’un demi-cercle blanchâtre (qui, d’ailleurs, appelle sa deuxième moitié, rouge, comprise dans la plage brun foncé montant à partir du bas de la toile), d’un rectangle irrégulier rouge foncé, d’un autre rectangle ocre, qui comprend un triangle et accueille la prolongation d’un trait de démarcation noir, un triangle vert et, à sa pointe, un cercle aplati centré. Mais il y a plus : le triangle qui réactualise la tension entre le pointu et l’arrondi se transforme - comme de vivo, sous nos yeux- en des formes géométriques apparentées. Ainsi, s’arrondissant à la base, grossissant, s’évasant avant de se resserrer, le triangle paraît entrer dans la composition d’une amande, imparfaite et un peu improbable, car asymétrique, le fond étant arrondi : nous avons affaire à une hybridation produisant une forme mi-triangle, mi-cercle centré, captée dans l’instant. Ceci alors même qu’une forme géométrique prenant l’apparence du triangle-losange centré fait naître, dans la partie supérieure du tableau, une singularité éminemment fragile. Une fine ligne plus incertaine, en pointillé, se terminant par le losange, est orientée en sens inverse, de la droite vers la gauche, comme pour répondre à la flèche, qui avance dans la toile de manière infiniment plus décisive. Elle suggère elle-même une dynamisation du tableau. Toujours dans la partie supérieure du tableau, le rectangle avec croisillons contient des triangles avec peine, là encore imparfaitement, instaurant un face-à-face ou vis-à-vis comme lieu d’un double questionnement. Enfin, une ligne courbe, presque imperceptible, improvisée et vacillante, se cherche et finit par relier l’amande à droite au cercle - un clin d’œil à Miro et à Calder ? Une double aspectualité se dispute l’aire du tableau : inchoative et durative, le terminatif étant entrevu et à jamais repoussé. D’une part, si la flèche s’élance vers sa cible, elle ne l’atteint pas (phase non accomplie) ; d’autre part, le lien tremblant tente de relier l’amande et le cercle avec ses quatre angles droits ; l’amande se projette vers le cercle (phase non accomplie imminente).

Là-dessus, l’important, c’est que ces expérimentations plastiques, voire figurales, si on dégage une généricité figurale (VISETTI, 2015VISETTI, Yves-Marie. Motifs et imagination sémiolinguistique. 2015. Version longue préliminaire d’un texte paru. Dans: HÉNAULT, Anne (org.). Le sens, le sensible, le réel. Paris: Sorbonne Université Presses, 2019. Disponible sur: Disponible sur: https://www.academia.edu . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://www.academia.edu...
), rendent possibles des rapprochements entre tableaux au-delà du code figuratif stabilisé qui a été activé presque « par défaut », qu’il soit « universel » ou interne au corpus. Ainsi, les oppositions « pointu vs arrondi », les formes géométriques du triangle, du cercle nous autorisent à faire résonner ensemble les tableaux 1 et 2, au-delà des rapprochements convenus.

Mais la séquence que nous dégageons comprend une troisième étape : toujours au niveau de l’œuvre de Laurent, la forme de vie intègre une série de toiles exemplifiée par le tableau 3, sur la base d’une resémantisation du cadre figuratif pourvu par le motif de la femme assise ou allongée.

Figure 3 :
Sans titre.

En effet, grâce à la clé de lecture fournie par le code interne à l’œuvre, dont nous avons déchiffré quelques éléments de base, nous nous risquons à projeter les contours d’un personnage assis ou accroupi ; l’écran produit par un quelque chose ressemblant vaguement à un fauteuil, mais aussi par des ombres plus claires se profilant sur l’arrière-plan blanchâtre n’assure plus qu’imparfaitement son rôle d’unificateur. Qu’impliquent la mise en mouvement de la structure et les opérations de pliage/dépliage (un « N » augmenté, déformé, complexifié), les jointures étant apparentes ? Les courbures alternent avec les formes angulaires et invitent à des passages avec leurs entours dotés de coefficients cinétiques différents. L’apparition, à intervalles inégaux, de cercles/formes étirées centrés, à chaque fois au nombre de cinq - songera-t-on aux doigts des mains et des pieds ? - imprime à l’ensemble sa rythmique. Des formes arrondies composent-elles un visage, un torse ? Le danger de la surfigurativisation guette. L’important, c’est la possibilité de la figurativisation, tout comme celle de la non-figurativisation. Car l’essentiel peut être ailleurs : dans le mouvement qui assure la compatibilité de lignes droites et courbes, obliques, zigzagantes ou parallèles, des échos éidétiques. Ou encore dans l’uniformisation par la dominante chromatique noire, ainsi que dans les contrastes atténués par les modulations apportées par les hachures beiges, fines ou estompées, tirant sur le gris. Cela sans que toutefois soient vaincues toutes les discontinuités et segmentations. En effet, comme en témoignent des traits fins, plus ou moins assurés ou tremblants, des bords s’improvisent, attirant le regard sur des non-ajustements ; ici et là, les coutures restent visibles. D’où une possible autonomisation des parties (du corps ?), la (dés)articulation finissant par triompher de la masse compacte.

On le voit, le figuratif reprend ses droits. Redynamisé par les expérimentations plastiques. Pourtant, osons franchir un pas (quatrième étape de la séquence) et proposer un rapprochement impromptu, qui surprend et affecte vivement, avec la nature morte 4:

Figure 4 :
Sans titre.

Au-delà de la ressemblance, qui est vivement contestée, ne persiste plus que l’« analogie » entre les tableaux 1, 2, 3, et 4, telle celle qui fait sourdre une Figure des tableaux diagrammatiques de Francis Bacon (troisième position diagrammatique selon Deleuze, 1981DELEUZE, Gilles. Sur la peinture. Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ar...
). En l’occurrence, la Figure émerge de la forme de vie en voie de constitution (ici dans la zone du corpus), la révélant et la consolidant en retour. Ce qu’il faut, c’est dépasser le stade de la ressemblance qui est « productrice », quand les « rapports entre éléments d’une chose passent directement entre éléments d’une autre chose, qui sera dès lors l’image de la première ». Ce qu’il nous faut au contraire, c’est l’« analogie esthétique, à la fois non figurative et non codifiée », c’est « faire ressemblant par des moyens non ressemblants » ; c’est « produire » la ressemblance - et l’on conçoit d’emblée le défi : alors que la peinture de Laurent nous semble codique au plus haut point, nous essayons de penser également l’abandon ou l’au-delà du code.

Grâce, ici, à une réinterprétation des formes géométriques, mais aussi grâce à l’abandon de la perspective, grâce à une libération de la ligne, une modulation de la couleur et de la lumière, acceptera-t-on de faire émerger une Figure commune à la forme de vie, non figurative, à partir, ici et là, de formes en amande, de lignes vagabondes se terminant par un point, mais aussi de modulations de la couleur brune alourdie de rouge et allégée d’ocre, ou encore de modulations de la lumière (ombres portées, éclaircissements) ? C’est en cela que dégager la forme de vie d’un tableau, ici démultiplié, c’est découvrir des aspects qui peuvent d’abord passer inaperçus ; c’est interpréter à chaque fois à nouveau et surprendre ; c’est « augmenter » non seulement le tableau, mais la vision ; c’est créer.

Le motif figuratif, plastique et figural sert-il de garde-fou, contre tous les rapprochements intempestifs ? Faire surgir une telle Figure suppose, nous l’avons dit, nous départir d’un regard myope. C’est se désempêtrer de l’évidence figurative. Grâce, d’abord, à la généricité figurale, que l’étude du plastique prépare. Si la Figure congédie la figurativité, elle n’implique pas nécessairement un effort d’abstraction. À cela s’ajoute qu’elle ne dit pas ce qui est, qu’elle propose. En ce sens, elle donne accès à un ensemble de potentialités, en deçà de toute réalisation figurative, et avant que ne sorte du diagramme le « fait lui-même » (DELEUZE, 2002DELEUZE, Gilles. Francis Bacon: Logique de la sensation. Paris: Seuil, 2002. , p. 106).

En ce sens, elle permet de penser la genèse de l’image (et non seulement l’origine dans le tourbillon (BENJAMIN, 1985BENJAMIN, Walter. Ursprung des deutschen Trauerspiels. Berlin: E. Rowohlt, 1928. (Ursprung des deutschen Trauerspiels, Gesammelte Schriften, Band I.1. Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1974; trad fr. S. Müller, Origine du drame baroque allemand. Paris: Flammarion (Champs), 1985). [1928]). Tel est notre dernier point : le tableau 5 visualise un processus d’engendrement aspectualisé (du virtuel vers le réalisé).

Figure 5 :
Sans titre.

Ne semble-t-il pas, en effet, qu’il faille ajuster le regard « diagrammatique » pour faire surgir la Figure à partir de cette forme grise à droite, qui se cherche en émergeant de l’informe, imparfaite, inaboutie, esquisse renvoyant à un stade antérieur à la réalisation de la silhouette féminine à gauche ? L’informe renvoie à une con-figuration en acte (figuration en train de se faire)10 10 Nous renvoyons à un exposé oral de Basso Fossali sur le signe et la configuration, dans le cadre du colloque « Redéfinir le sémiotique » (Luxembourg, octobre 2022). , porté par des tensions sans être complètement « abstrait ». S’il interpelle, c’est parce qu’il est d’abord irruption dans le tableau, un questionnement. Pas de codification, mieux : le code que nous avons dégagé semble mis en déroute, même si un minuscule cercle - la tête ? - surplombe une vague forme triangulaire ; même si la masse grise semble rythmée par deux points minuscules (les mamelons ?). Dégager un code serait retomber dans les travers du figuratif, qui stabilise, voire universalise. Tout au plus la Figure annonce-t-elle la figure de gauche. Si la Figure insuffle un surcroît de vie à la constitution d’une forme de vie, c’est parce qu’elle ne peut être assignée à résidence. C’est parce qu’elle résiste à l’intégration dans une totalité. Tout au plus l’émergence de la Figure donne-t-elle à pressentir le processus même de la figurativisation, depuis ses débuts. En donnant à voir une étape, la suspension du processus, qui est toujours en attente : la possibilité de la figure.

Concluons en quelques mots. Après avoir défini la forme de vie en convoquant plusieurs cadres théoriques différents, essentiellement wittgensteinien et sémiotique, en insistant sur l’intrication de la forme de vie et des pratiques sociales et culturelles et sur leur nécessaire ajustement à des situations complexes, nous avons considéré plus particulièrement la forme de vie d’un tableau source ou requête ou associée à un ou plusieurs tableaux. La notion de « jeu culturel », pensée au-delà même de Wittgenstein, s’est révélée être centrale : elle permet, en effet, de conjuguer le singulier et le collectif, la règle et l’affranchissement de la règle, le modèle et ses instanciations, le code et son dépassement. Tout cela, en revitalisant des valeurs grâce à des pratiques moins normées et originales. Grâce à un environnement incessamment renouvelé. La forme de vie d’un tableau signifie en dernière instance par rapport à des formes de vie plus englobantes, marquées par des régimes de croyance, l’attribution de modes d’existence…, et révélatrices des mutations profondes de nos sociétés. Voire par rapport à la forme de vie, qui permet, selon Fontanille (2015FONTANILLE, Jacques. Formes de vie. Liège: Presses universitaires de Liège, 2015. ), de questionner la distinction entre la nature et la culture.

Eu égard à la production picturale de Georges Laurent, le plus souvent non datée, chercher à attribuer à certains de ses tableaux une forme de vie, en les faisant interagir avec d’autres toiles, par exemple de Picasso, de Miró ou de Calder, pourvues d’une épaisseur culturelle reconnue, c’est moins les répertorier et les classer que les approcher à la lumière de ce par rapport à quoi - avec, après ou contre quoi - ils se montrent. C’est leur conférer un surcroît de vie, les œuvres signifiant pleinement en se tenant à la lisière entre la singularité du geste de création et un projet plus collectif, en réponse à des aspirations sociétales. Ce qui devient visible, c’est moins un ensemble d’influences parfois lointaines que la capacité de réénonciation de mouvements et courants esthétiques divers, dont les tableaux condensent les propriétés spécifiques, en les portant à un degré d’expression maximal. On peut ainsi, à travers leur feuilleté, réinterpréter non seulement l’œuvre entier du peintre, mais un pan de la peinture de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, de manière critique, en étant à l’affût moins, finalement, de similarités et de dissimilarités ponctuelles que de la Figure commune qui s’en détache et du questionnement sociétal qu’elle incarne.

L’accent a d’abord été mis sur le motif figuratif et ses déclinaisons qui, au gré des profilages et des thématisations, réinterprètent à chaque fois un ou plusieurs jeux culturels. Ces derniers condensent une ou plusieurs questions sociétales, exemplairement : en vertu de (re)négociations qui confrontent l’individuel et le collectif, la singularisation et la généralisation, en créant des passages. Nous avons suggéré qu’en réception, la constitution de la forme de vie d’un tableau ou de la forme de vie associée à un ou plusieurs tableaux peut alors être modélisée diversement : à la répartition par zones concentriques répond, au sein d’une zone, la ressaisie paradigmatique de variantes d’un tableau multiple, diffracté - de variantes qui, tout en étant « sans origine ni destination » (non datées ni insérées dans une programmation vectorisée), émanent d’un environnement et rétroagissent sur lui.

Or, il est apparu rapidement que le seul critère du motif figuratif constitue un frein et qu’il faut redynamiser le figuratif en le dissociant, provisoirement, du plastique et en envisageant une figuralité transverse, qui permet éventuellement de s’en défaire. Désormais, le défi consiste moins à rapprocher le tableau 4 du Portrait de Marie-Thérèse Walter de Picasso (1937 ; Figure 6), en jouant finement sur les similarités/dissimilarités, qu’à faire résonner ensemble les tableaux 1, 2, 3, 4 et 5, au-delà de toute « ressemblance ». Grâce à l’« analogie selon Deleuze (1981DELEUZE, Gilles. Sur la peinture. Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc . Consulté le: 15 avr. 2023.
https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ar...
).

Figure 6 :
À gauche : Pablo Picasso, Portrait de Marie-Thérèse Walter, 100 x 81 cm, Barcelone, Le Musée Picasso, 1937.

La forme de vie d’un tableau connaîtrait ainsi des moments intenses et moins intenses, créant l’événement de sens en surprenant vivement, au détour d’une trouvaille (figurative, plastique, figurale), ou cautionnant une parenté attestée. Elle obéit ainsi à une rythmique qui distribue des accents et des inaccents, appelant une attention plus ou moins vive. Un sommet d’intensité est atteint quand, débordant le code et la grammaticalisation qu’il autorise, resensibilisant une partition ou notation - « rendre la géométrie concrète ou sentie, et donner à la sensation la durée et la clarté » (DELEUZE, 2002DELEUZE, Gilles. Francis Bacon: Logique de la sensation. Paris: Seuil, 2002. , p. 106) -, singularisant à nouveau la généricité figurale, la Figure telle que nous la concevons non seulement propose des possibles, interroge, émet des hypothèses - si c’est cela, plutôt que de dire que c’est cela -, mais encore donne à voir la genèse d’un quelque chose de figuratif à partir du figural, voire de l’informe. Grâce à ce que l’on peut sans doute appeler après Basso Fossali une configuration (une con-figuration en train de se faire) liminaire. À son instar, la forme de vie, énergétisée, est toujours projet.

Référence

  • BASSO FOSSALI, Pierluigi. Possibilisation, disproportion, interpénétration : trois perspectives pour enquêter sur la productivité de la notion de forme de vie en sémiotique. Nouveaux Actes Sémiotiques, n. 115, 2012a. Disponible sur : http://epublications.unilim.fr/revues/as/2673 Consulté le: 15 avr. 2023.
    » http://epublications.unilim.fr/revues/as/2673
  • BASSO FOSSALI, Pierluigi. À nous la philologie. L’implémentation numérique du cinéma et l’identité filmique dans l’horizon théorique de Gérard Genette. Cinéma & Cie, v. XII, n. 18, p. 101-112, 2012b.
  • BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.
  • BASSO FOSSALI, Pierluigi. La sémiotique visuelle de Greimas entre archéologie et actualité. La Part de l’Œil, n. 32, p. 309-329, 2018-2019.
  • BENJAMIN, Walter. Ursprung des deutschen Trauerspiels Berlin: E. Rowohlt, 1928. (Ursprung des deutschen Trauerspiels, Gesammelte Schriften, Band I.1. Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1974; trad fr. S. Müller, Origine du drame baroque allemand Paris: Flammarion (Champs), 1985).
  • BEYAERT-GESLIN, Anne. La typographie dans le collage cubiste: de l’écriture à la texture. Dans: ARABYAN, Marc; KLOCK-FONTANILLE, Isabelle (org.). L’écriture entre support et surface Paris: L’Harmattan, 2005. p. 131-151.
  • BEYART-GESLIN, Anne. Sémiotique du portrait: De Dibutade au selfie. Paris: Be Boeck, 2017.
  • COLAS-BLAISE, Marion. Forme de vie et formes de vie. Actes sémiotiques, n. 115, 2012. Disponible sur: Disponible sur: https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/2631 Consulté le: 15 avr. 2023.
    » https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/2631
  • COLAS-BLAISE, Marion. L’énonciation: Évolutions, passages, ouvertures. Liège: Presses universitaires de Liège, 2023.
  • COLAS-BLAISE, Marion; TORE, Gian Maria (org.). «Re- »: Répétition et reproduction dans les arts et les médias. Sesto S. Giovanni: Mimésis, 2021.
  • COURTÉS, Joseph. Le conte populaire: poétique et mythologie. Paris: PUF, 1986.
  • DÄLLENBACH, Lucien. Mosaïques: Un objet esthétique à rebondissements. Paris: Seuil, 2001.
  • DELEUZE, Gilles. Sur la peinture Cours du 5 mai 1981. Disponible sur: Disponible sur: https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc Consulté le: 15 avr. 2023.
    » https://gallica-bnf-fr.translate.goog/ark:/12148/bpt6k128305p.media?_x_tr_sl=fr&_x_tr_tl=en&_x_tr_hl=en&_x_tr_pto=sc
  • DELEUZE, Gilles. Francis Bacon: Logique de la sensation. Paris: Seuil, 2002.
  • FLOCH, Jean-Marie. Petites mythologies de l’œil et de l’esprit Paris: Hadès et Benjamins, 1985.
  • FLOCH, Jean-Marie. Un type remarquable de semiosis: les systèmes semi-symboliques. Dans: HERZFELD, Michael; MELAZZO, Lucio (org.). Semiotic Theory and Practice, vol. 1. Berlin: De Gruyter Mouton, 1988. p. 251-257.
  • FOCILLON, Henri. Vie des formes Paris: PUF, 2010 [1943].
  • FONTANILLE, Jacques. Les formes de vie. RSSI, v. 13, n. 1-2, p. 5-12, 1993.
  • FONTANILLE, Jacques. Style et formes de vie. Dans: MAURAND, Georges (org.). Le style Toulouse: Toulouse-le-Mirail, 1994. p. 67-83.
  • FONTANILLE, Jacques. Formes de vie Liège: Presses universitaires de Liège, 2015.
  • FONTANILLE, Jacques; COUÉGNAS Nicolas. Terres de sens Essais d’anthroposémiotique. Limoges: Pulim, 2018.
  • FONTANILLE, Jacques. Archéologie et anthropologie de la dimension plastique des sémiotiques visuelles. En hommage à Jean-Marie Floch. Estudios Semioticos, v. 19, n. 2, p. 87-120, 2023.
  • GOODMAN, Nelson. Languages of Art: An Approach to a Theory of Symbols. Indianapolis: The Bobbs-Merrill Company, Inc., 1968. (version revue, Indianapolis : Hackett Publishing Company, 1976. Langages de l’art: Une approche de la théorie des symboles, trad. J. Morizot. Nîmes : Jacqueline Chambon, 1992).
  • GREIMAS, Algirdas Julien. Sémiotique figurative et sémiotique plastique. Actes sémiotiques, Documents, n. 60, 1984.
  • LUHMANN, Niklas. Die Kunst der Gesellschaft Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1995.
  • MITCHELL, William J. Thomas. What do Pictures Want: The Lives and Loves of Images. Chicago: Chicago University Press, 2005. (Que veulent les images ? Une critique de la culture visuelle. Paris: Les Presses du Réel, 2014).
  • PANOFSKY, Erwin. Die Perspektive als « Symbolische Form ». Vorträge der Bibliothek Warburg, 1924-1925, Leipzig, Berlin, p. 258-330, 1927. (La perspective comme forme symbolique Paris: Minuit, 1975 [1967]).
  • PANOFSKY, Erwin. Meaning in the Visual Arts Knopf Doubleday: Anchor Books, 1955. (L’œuvre d’art et ses significations: essai sur les « arts visuels ». Paris: Gallimard, 1969).
  • ROSENTHAL, Victor; VISETTI, Yves-Marie. Sens et temps de la Gestalt. Intellectica, n. 28, p. 147-227, 1999.
  • SCHÜTZ, Alfred. Collected Papers I. The Problem of Social Reality. Dans: NATANSON, Maurice (org.). The Hague: Martius Nijhoff, 1962. p. 207-259.
  • SEDMAK, Clemens. The cultural game of watching the games. Dans: LÜTTERFELDS, Wilhelm; ROSER, Andreas (org.). Der Konflikt der Lebensformen in Wittgensteins Philosophie der Sprache Frankfurt am Main: Suhrkamp, 1999. p. 171-189.
  • THÜRLEMANN, Félix. Paul Klee, analyse sémiotique de trois peintures Lausanne: L’Âge d’Homme, 1982.
  • VISETTI, Yves-Marie. Motifs et imagination sémiolinguistique. 2015. Version longue préliminaire d’un texte paru. Dans: HÉNAULT, Anne (org.). Le sens, le sensible, le réel Paris: Sorbonne Université Presses, 2019. Disponible sur: Disponible sur: https://www.academia.edu Consulté le: 15 avr. 2023.
    » https://www.academia.edu
  • WITTGENSTEIN, Ludwig. Philosophical Investigations Blackwell: Oxford, 1953. (Recherches philosophiques,trad. F. Dasturet al.. Paris: Gallimard, 2004;Investigations philosophiques, trad. P. Klossowski. Paris: Gallimard, 1961).
  • WITTGENSTEIN, Ludwig. Lectures and Conversations on Aesthetics, Psychology and Religious Belief BARRETT, Cyril (org.). Berkeley and Los Angeles: University of California Press, 1966; Blackwell, 1967. (Lectures et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse. Dans Leçons et conversations, trad. J. Fauve Paris: Folio, 1992).
  • 1
    Pour la notion de réénonciation, cf. Colas-Blaise (2023COLAS-BLAISE, Marion. L’énonciation: Évolutions, passages, ouvertures. Liège: Presses universitaires de Liège, 2023. ) et Colas-Blaise et Tore (dirs, 2021COLAS-BLAISE, Marion; TORE, Gian Maria (org.). «Re- »: Répétition et reproduction dans les arts et les médias. Sesto S. Giovanni: Mimésis, 2021.).
  • 2
    L’entrée en résonance des formes de vie se distingue ainsi de l’incompatiblité entre les « régions limitées de signification » (finite provinces of meaning: p. ex. l’expérience religieuse, le monde de la scène, le monde pictural, le monde fictif, le monde ludique) qu’a en vue Alfred Schütz (1962SCHÜTZ, Alfred. Collected Papers I. The Problem of Social Reality. Dans: NATANSON, Maurice (org.). The Hague: Martius Nijhoff, 1962. p. 207-259. ).
  • 3
    Nous ne prétendons à aucune exhaustivité, prenant le parti de retenir quelques propositions théoriques, à nos yeux décisives.
  • 4
    Cf. une dialectique entre image et picture, entre « transcendance » et réalisation dans une « matérialité » (BASSO FOSSALI, 2019BASSO FOSSALI, Pierluigi. L’image du devenir: le monde en chiffres et la passion du monitorage. Signata - Annals of Semiotics, n. 10, 2019.; MITCHELL, 2014 [2005]MITCHELL, William J. Thomas. What do Pictures Want: The Lives and Loves of Images. Chicago: Chicago University Press, 2005. (Que veulent les images ? Une critique de la culture visuelle. Paris: Les Presses du Réel, 2014).).
  • 5
    Nous nous inspirons très librement d’une proposition de modèle faite par Basso Fossali dans le cadre du programme de recherche « Analyse d’œuvres d’art augmentée (AAA). Dispositif d’interprétation assistée par ordinateur pour les images d’art » (1er mars 2021 - 28 février 2025). Le projet, qui est porté par Pierluigi Basso Fossali (Université de Lyon 2) et par Gian Maria Tore (Université du Luxembourg), se propose de développer un outil adapté à un contexte muséal spécifique. Il s’agit d’étudier différents niveaux d’organisation et de constituer des généalogies en mettant une œuvre observée in situ en relation avec un corpus d’images en libre accès.
  • 6
    Kim Dong-kyu revisite et « actualise » des œuvres connues pour conduire une réflexion sur l’impact des nouvelles technologies sur nos modes de vie. Sans doute peut-on parler d’une « fonctionnalisation » de l’œuvre d’art qui détourne l’attention de ses qualités esthétiques pour en faire un témoignage.
  • 7
    Il s’agit d’une peinture numérique réalisée sur ordinateur et imprimée sur toile canevas agrafée sur châssis à clés suivant la technique de Digigraphie d'art. Elle comporte un tampon d'authentification au verso.
  • 8
    Cf. une conférence intitulée « La dimension iconique et la dimension plastique. Petite chronique d’une grande distinction méthodologique », Festival de sémiotique de Bordeaux (organisé par Anne Beyaert-Geslin, Université Bordeaux-Montaigne, juin 2022). On consultera aussi Fontanille (2023FONTANILLE, Jacques. Archéologie et anthropologie de la dimension plastique des sémiotiques visuelles. En hommage à Jean-Marie Floch. Estudios Semioticos, v. 19, n. 2, p. 87-120, 2023. ; à paraître).
  • 9
    Cf. également les « qualités expressives » selon Panofsky (1975PANOFSKY, Erwin. Die Perspektive als « Symbolische Form ». Vorträge der Bibliothek Warburg, 1924-1925, Leipzig, Berlin, p. 258-330, 1927. (La perspective comme forme symbolique. Paris: Minuit, 1975 [1967]). [1924]).
  • 10
    Nous renvoyons à un exposé oral de Basso Fossali sur le signe et la configuration, dans le cadre du colloque « Redéfinir le sémiotique » (Luxembourg, octobre 2022).

Edited by

Editora-chefe dos Estudos de Linguagem:

Bethania Mariani

Editores convidados:

Pierluigi Basso-Fossali, Renata Mancini

Publication Dates

  • Publication in this collection
    18 Dec 2023
  • Date of issue
    2023

History

  • Received
    26 May 2023
  • Accepted
    29 June 2023
Programas de Pós-Graduação em Letras da Universidade Federal Fluminense (UFF) Rua Professor Marcos Waldemar de Freitas Reis, s/n, Bloco C - sala 518, CEP 24210-201 - Niterói, Rio de Janeiro, Brasil., Telefone +55 21 2629-2600 - Niterói - RJ - Brazil
E-mail: gragoata.egl@id.uff.br