Acessibilidade / Reportar erro

François Jacob, savant et historien de la science

François Jacob, scientist and historian of science

DEPOIMENTO

François Jacob, savant et historien de la science

François Jacob, scientist and historian of science

1995 est le centenaire de la mort de Louis Pasteur. Pour en rappeler la date, l'Institut Pasteur organise, tout au long de cette année, une série de colloques dans chacun des continents — diverses réunions sur diverses thèmes réunissant diverses scientifiques du secteur de la biologie.

Le premier de ces colloques s'est tenu dans le continent américain et c'est Rio de Janeiro qui en a été le siège. C'est ainsi que se sont réunis dans cette ville, juste avant son carnaval, afin de discuter les dernières découvertes concernant l'origine de la vie, une bonne part de l'élite des chercheurs dans ce domaine — et notamment, trois lauréats du prix Nobel.

François Jacob, prix Nobel 1965 (conjointement avec Jacques Monod e André Lwoff) pour ses recherches sur le R.N.A. messager, était présent au colloque de Rio de Janeiro. Comme ne l'ignorent pas ceux qui travaillent dans le domaine de la biologie, François Jacob n'est pas qu'un savant, il est aussi un historien de la science. Son livre intitulé La logique du vivant a mérité les éloges enthousiasmés de quelques figures de première grandeur telles que Michel Foucault et Georges Canguilhem. C'est pourquoi Manguinhos a choisi d'accueilllir dans ce numéro son témoignage concernant les domaines de ses spécialités.

Ma première question sera de savoir quand apparaît votre intérêt pour l'histoire de la science, intérêt qui se manifeste plus nettement dans votre livre et qui a fait l'objet de beaucoup d'éloges de la part de grands spécialistes dans ce champ.

C'est venu simplement que je me suis demandé — c'était à la fin des années soixante — pourquoi est-ce qu'on faisait ce qu'on fait et que pour répondre à pourquoi est-ce qu'on fait ce qu'on était en train de faire plutôt qu'autre chose (et ça, c'était forcément le résultat de l'histoire), j'ai commencé, pas du tout avec l'envie d'écrire un livre, mais j'ai feuilleté deux ou trois livres de la biologie, qui ne m'ont pas beaucoup satisfait comme façon de raconter les choses, ce qui fait que j'ai lu les auteurs eux-mêmes, c'est-à-dire que j'ai commencé au l6e siècle et j'ai lu un certain nombre d'auteurs, comme Cardan, etc. Et puis, ça m'a amusé et j'ai continué.

Il n'y a pas un problème de temps qui se pose, par rapport à votre recherche?

Si, c'est à dire que c'était au moment où j'en avais assez de travailler sur les bactéries et le sexe des bactéries et que je voulais travailler sur quelque chose d'autre, en particulier sur un organisme plus compliqué qui avait du vrai sexe et qui avait du développement d'embryon. Ce qui m'intéressait, c'était le développement de l'embryon et de savoir si les principes de régulations que j'avais trouvés chez les bactéries seraient ceux qui s'appliquaient, en beaucoup plus compliqué évidemment, chez les organismes supérieurs. Nous avions à ce moment-là des laboratoires qui étaient équipés pour travailler sur les bactéries et j'ai hésité un certain temps — je voulais donc travailler sur des organismes plus compliqués — j'ai hésité entre drosophiles, nématodes et souris. Et puis, je me suis dit qu'à l'Institut Pasteur, étant donné le travail qu'on faisait, étant donné l'immunologie, étant donné les virus etc. et qu'on avait travaillé sur la souris... Et j'avais proposé à ce moment-là qu'on construise un Institut de la Souris pour y concentrer des gens venant d'un peu partout pour travailler sur la souris. Personne ne l'a compris à ce moment-là, qu'il fallait faire la même chose avec la souris... Personne ne l'a compris à ce moment-là. Ça, je l'ai proposé vers 1967 et ils ont dit: "Il veut se faire un Institut pour lui, comme ci, comme ça." Et c'était évident qu'il fallait faire ça. En fait, ça s'est fait, mais 25 ans après...

Mais pour en revenir à votre question... A ce moment, nous avions un laboratoire qui était équipé pour les bactéries et on construisait un autre laboratoire. Après le prix Nobel, on nous avait construit un laboratoire pour Monod et moi... Et là, on pouvait faire de la souris, mais ça n'a été prêt qu'en 71, alors là, j'ai eu un peu de temps et je me suis mis à lire et à écrire.

Dans le premier chapitre de La logique du vivant, vous dites que le jeu des forces inconnues était au dessous du jeu du langage. Et grâce aux mots, l'histoire de la nature se dévoile un peu.

Oui, ça, c'était le 16e. siècle. Pour eux, c'était la façon dont le 16e. siècle voyait les choses. C'était que si on arrivait à nommer quelque chose, on arrivait à comprendre un peu sa nature et à savoir un peu comment elle fonctionne... C'est comme ça qu'ils étaient à cette époque-là. Et c'est aussi comme ça qu'ils rapprochaient par exemple les maladies des plantes. Ils avaient le même nom, les mêmes formes et par conséquent, Dieu avait installé dans cette plante les moyens de guérir cette maladie.

Mais vous dites aussi ailleurs que vous étiez était intéressé dans les mots, il y avait à l'Institut Pasteur un Comité de Nomenclature, ce n'est pas à peu près la même chose?

Pas tout à fait, non. Il y a un peu quelque chose dans ce sens que les gens sont intéressés dans les mots, mais pour nous quand on faisait le Comité de Nomenclature ça ne nous donnait pas l'impression qu'on dominait les choses et qu'on en comprenait l'explication. Ça nous donnait simplement l'impression qu'il était plus facile d'en parler et de les décrire, mais pas de les tenir et de les maîtriser.

Mais il-y-a une autre partie de l'activité scientifique, vous dites, que c'est convaincre les gens...

Oui, c'est vrai, et pour ça, il faut les mots.

Oui, il faut les mots, absolument. Et quand même, il y a un peu la même chose...

Un peu. Mais je pense aussi que c'est un phénomène assez français. Je crois que les anglo-saxons sont moins comme ça. Peut-être, les Allemands... Mais, les anglo-saxons sont moins attachés au jeu des mots.

Mais quand même, les jeux de mots et les mots sont une caractéristique humaine. Vous avez ecrit sur cette activité de convaincre vos pairs, vos collègues, des nouvelles manières de penser.

Oui, de planter ces idées dans la tête de ses collègues.

Bruno Latour a écrit beaucoup de choses sur cette partie de l'activité des scientifiques. Il a dit que Pasteur, par exemple, était très bon dans cette activité... Bon, c'est faire la science, cette activité ? Vous croyez que, ici par exemple, dans ce Colloque, on fait la science?

Eh bien, c'est une partie de l'activité scientifique, c'est à dire, d'expliquer aux gens ce qu'on a fait, ce qu'on n'a pas fait et d'en discuter avec eux, parce que c'est là où, en principe, on se fait critiquer par les autres. C'est là un des points importants de la science, c'est à dire, la critique permanente des idées. Et c'est dans des Colloques comme celui-là, où il n'y a pas trop de monde, mais un petit peu, avec des spécialistes, qu'on arrive à critiquer et à discuter des idées.

C'est quand même intéressant, car c'est une critique intéressée où tout le monde a son capital à défendre...

Oui, absolument et ça, ça fait partie de la compétition. La compétition, ça ne consiste pas uniquement à être le premier à trouver telle chose, mais aussi à convaincre les autres que ce qu'on a trouvé, le manière dont on interprète les choses est la moins mauvaise, la meilleure façon actuellement d'interpréter un phénomène.

Dans La logique du vivant, vous dites que la biologie, pour se constituer en tant que science, devait se différencier de la physique et de la chimie. Vous croyez que la biologie moléculaire soit une inversion de ce trajet?

Non, je crois que ça devenait possible de retourner à la physique et à la chimie. Ce qu'il y a, c'est que la physique a été pendant tout le 18e., tout le 19e. et le début du 20e., la reine des sciences et que tous les philosophes des sciences utilisaient la physique et les résultats de la physique pour interpréter le monde. Or, la biologie ne relève pas uniquement des lois de la physique. C'est-à-dire que ce n'est pas uniquement... Et je pense qu'il fallait qu'elle s'en sépare pour qu'après la physique puisse être réutilisée pour l'étude des problèmes proprement biologiques. C'est ce qui s'est passé avec des physiciens qui ont utilisé la physique, mais pour faire de la biologie et non pas faire de la physique... Et ça, je crois que c'était important. Toute la philosophie de la science était une philosophie de la science physique et la biologie avait ses règles propres, de l'évolution par exemple, qui est la base de toute la biologie. Et l'évolution, ce n'est pas de la physique, l'évolution c'est autre chose qui est complètement différente.

Pour reprendre le premier thème, c'est intéressant parce que vous avez écrit un livre sur l'histoire de la science et Monod aussi avait écrit un livre, Le hasard et la nécessité...

Ce n'était pas de l'histoire, c'était plus de la philosophie...

Vous croyez que Le hasard et la nécessité et La logique du vivant soient aussi le résultat d'un travail commun, le vôtre et celui de Monod?

Je pense, si vous voulez, je pense qu'il y a les deux. Je pense que d'une part, on a énormément discuté, pendant 5 ans, on se voyait tous les jours et on discutait toute la journée. On avait forcément... on avait des idées qui n'étaient pas les mêmes, mais qui convergeaient. Mais en même temps, on avait des intérêts qui n'étaient pas les mêmes du tout. Parce que lui, il s'intéressait à expliquer aux populations que l'homme est né du hasard, mais ça, on le sait depuis Darwin et je n'ai jamais compris pourquoi son livre avait eu un tel succès... Il n'a rien dit de plus que ce que Darwin avait dit, pratiquement. Il y avait, si vous voulez, la biologie moléculaire et l'utilisation de la biologie moléculaire sur les mutations et l'évolution... Mais, il n'y avait aucune révélation extraordinaire. Or, la chose étonnante, c'est que son succès a été assuré par les catholiques et par les communistes qui ne supportaient pas son point de vue, ni les uns ni les autres.

Le succès du livre de Monod a été un succès de public, mais il n'a pas trouvé la même unanimité que votre livre avait reçue.

Oui, c'était très différent. Parce que moi, je m'intéressais beaucoup plus à la question, comme je l'ai déjà dit, du pourquoi ça plutôt qu'autre chose, alors que lui, ce qui l'intéressait finalement, c'était la morale. C'était un puritain, Monod, et la morale, c'était très important pour lui. C'est pour ça que cette fin du livre qui pour moi n'a pas beaucoup de sens, c'est-à-dire l'idée que l'objectivité peut servir de base à la morale, pour moi, ça me paraît quelque chose d'absolument stupéfiant... Et c'est ça qui l'intéressait.

Pour revenir au thème de ce colloque, est-ce à dire que le monde et le D.N.A. c'est la même chose ?

Aujourd'hui, c'est un monde à D.N.A.. C'est-à-dire que tous les organismes vivants, sauf les virus, tous les autres organismes fonctionnent sur le D.N.A. comme matériel génétique, comme base pour la reproduction. Mais ce que je voudrais dire, c'est que c'est déjà très compliqué et que ça n'a pas pu sortir tout seul de la cuisse de Jupiter.

Donc, il faut autre chose avant, de plus simple, et l'idée actuelle est moins compliquée: au lieu du monde à D.N.A., le monde à R.N.A. où le centre de la reproduction et de la conservation de l'information, c'est dans le R.N.A., au lieu d'être dans le D.N.A.

Donc, finalement, l'origine de la vie...

Finalement, l'idée c'est que c'est arrivé une fois en tout cas très peu souvent, si vous voulez, de la génération spontanée, il a bien fallu que ça commence quelque part. Si ce n'est pas Dieu, c'est donc une génération spontanée, d'une façon ou d'une autre, mais une fois ou très peu de fois. Après, maintenant, on n'en fait plus ou s'il y en a, elle ne peut pas survivre, elle disparaît très vite.

Peut-être Dieu ou peut-être ...

Ça, c'est une question de goût.

Qu'est-ce qui vous a valu le prix Nobel ?

Nous avons eu le prix Nobel parce que nous avons montré comment fonctionnent les gènes, comment le produit des gènes est un R.N.A. instable qui porte l'information aux centres de synthèse des protéines et d'autre part, nous avons montré qu'il existait des circuits cybernétiques de régulation qui faisaient que les gènes fonctionnaient seulement chez les bactéries, seulement à la demande, quand on avait besoin du produit, c'est-à-dire qu'ils ne fonctionnaient pas tout le temps. On travaillait sur un matériel qui s'appelait le colibacille. Le colibacille se multiplie dans certaines conditions, mais il ne fabrique pas... par exemple, il peut se multiplier dans un suc qui s'appele le lactose, qui est le suc de lait, mais il ne fabriquera les enzimes des protéines qui sont nécessaires pour utiliser le lactose que quand le lactose est là. Autrement dit, le lactose agit comme signal et déclenche un circuit qui fait que le gène s'exprime. S'il n'y a pas de lactose, la protéine n'est pas fabriquée. Et on a montré ça pour plusieurs systèmes. Et l'idée était qu'on espérait que c'était des systèmes du même genre dans des organismes plus compliqués comme nous, et en particulier pour le développement des embryons. Comment à partir d'une cellule, un oeuf fécondé, on fait un organisme aussi compliqué qu'une souris, une vache ou un être humain.

Vous avez dit qu'on na va jamais trouver la réponse pour l'origine de l'homme, de la vie.

Ça depend si vous êtes optimiste ou pessimiste. Je crois qu'on ne trouvera pas avant assez longtemps. C'est-à-dire qu'on va faire des scénarios qui sont plus ou moins possibles, plus ou moins plausibles, mais ça sera très long avant de savoir vraiment si c'est comme ça que ça a marché ou pas. Ce que je sais, c'est plus une hypothèse raisonnable qu'autre chose.

Mais vous, vous êtes optimiste ou pessimiste ?

Ça dépend des jours... J'ai trouvé que ce matin, c'était très intéressant. Les deux exposés de ce matin étaient très bons...

Et vous êtes optimiste ajourd'hui?

On a une hypothèse ou un scénario raisonnable. Ce qui ne veut pas dire que c'est comme ça que ça s'est passé. Ce n'est pas parce que c'est raisonnable que ça s'est passé comme ça.

Mais de toute façon aujourd'hui on a posé avec beaucoup de force Vidée, sinon de démontrer, du moins de créer un scénario plausible dans le cadre d'un monde de R.N.A.

Ce qu'on peut dire, ce qui était intéressant dans les communications de ce matin, c'est que beaucoup des événements qu'on pensait très improbables sont moins improbables qu'on ne le croyait. Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire... Les événements, c'est-à-dire que les R.N.A. peuvent se fabriquer tout seuls, les R.N.A. peuvent évoluer de façon à être actifs. On croyait que c'était très peu possible, très, très rare. Et ce qu'ont montré les exposés de ce matin, c'est que c'est plus possible qu'on croyait. Disons que... c'est moins impossible.

Le pré-R.N.A., vous croyez que c'est ça l'origine du monde du R.N.A. ?

C'est ce qu'on a essayé de montrer ce matin. C'est très intéressant... C'est ce que je disais tout à l'heure, ça paraît une hypothèse raisonnable, c'est tout ce que je peux dire... Alors, si c'est proche ou pas proche, c'est autre chose. Ça me paraît une hypothèse raisonnable. C'est ça, le pré-R.N.A.

Est-ce qu'on ne trouve plus de types de cellules à R.N.A ?

Ce ne sont pas des cellules, mais c'est quand même la preuve qu'un R.N.A. peut être matérialisé, qu'il se duplique, que... dans certaines conditions...

D'accord, mais ce n'est pas exactement ce qu'il devrait y avoir ...

... mais je pense que la chance d'en trouver... D'abord, on ne sait pas où chercher. On ne sait absolument pas où on peut trouver ça. Et deuxièmement, il est probable que s'il y en avait encore, ça aurait été mangé par tout ce qui a vécu après. Parce que tous les organismes qu'il y a maintenant, toutes les bactéries, tous les vers, toutes les mouches, tous les êtres humains mangent tout ce qui remue... Et s'il y avait encore quelque part de ces vieux fossiles, ils auraient été complètement nettoyés par tout ce qui a vécu après pendant trois milliards d'années. Alors, la chance d'en trouver est très, très, très petite.

Qu'est-ce que c'est la vie, pour vous ?

C'est une bonne question... La vie, c'est en principe quelque chose qui d'une part métabolise, utilise les produits qu'il trouve autour de lui pour fabriquer soi, pour se fabriquer, pour se faire de sa chair, et d'autre part, qui fabrique des copies de lui-même.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    25 July 2006
  • Date of issue
    June 1995
Casa de Oswaldo Cruz, Fundação Oswaldo Cruz Av. Brasil, 4365, 21040-900 , Tel: +55 (21) 3865-2208/2195/2196 - Rio de Janeiro - RJ - Brazil
E-mail: hscience@fiocruz.br