Abstracts
Ce texte propose de réfléchir sur l’isolement et la non communication en tant que des stratégies de subjectivation fondamentales à partir de la contribution de Winnicott et Ogden qui postulent l’isolement comme une condition nécessaire à la constitution psychique. Quelques extraits d’un cas d’un enfant qui a subit une situation traumatique montre encore l’importance de l’isolement et de la position autistique-contigue dans le cadre analytique.
Mots clés: Isolement; non-communication; position autistique-contigüe; cadre analytique
This paper analyses the function of personal isolation and non-communication as major strategies of subjectivation, as proposed by Ogden and Winnicott who indicate that primitive isolation is a necessary condition for the psychic constitution of the infant. A fragment of a child´s clinical analysis demonstrates the importance of isolation and of the autistic-contiguous position for the analytic setting.
Key words: Isolation; non-communication; autistic-contiguous position; analytic setting
O texto pretende refletir sobre o isolamento e a não comunicação na condição de estratégias fundamentais de subjetivação, tendo como referência as contribuições de Ogden e Winnicott, que postulam o isolamento como condição necessária ao processo de constituição psíquica. Fragmentos de um caso clínico de uma criança exemplificam a importância do isolamento e da posição autística-contígua na situação analítica.
Palavras-chave: Isolamento; não comunicação; posição autística-contígua; situação analítica
Este artículo pretende reflexionar sobre el aislamiento personal y la no comunicación como formas estratégicas de subjetivación, teniendo como referencia las contribuciones de Ogden y de Winnicott que señalan que el aislamiento es una condición necesaria para el proceso de constitución psíquica. Algunos extractos de un caso de un niño que ha vivido una situación traumática muestran aún más la importancia del aislamiento y de la posición autista-contigua en el marco analítico.
Palabras clave: Aislamiento; no comunicación; posición autista-contigua; situación analítica
Dieser Artikel analysiert die Funktion der persönlichen Isolation und Nicht-Kommunikation als grundlegende strategische Formen der Subjektivierung, basierend auf Ogdens und Winnicotts Theorien, die darauf hinweisen, dass Isolation eine notwendige Voraussetzung für die psychische Verfassung des Kindes ist. Fragmente einer Analyse eines Kindes zeigen auf, wie wichtig die Isolation und die autistisch- berührende Position für den analytischen Rahmen ist.
Schlüsselwörter: Isolation; Nichtkommunikation; autistisch-berührende Position; analytischer Rahmen
Bien que des personnes en bonne santé communiquent et soient heureuses de communiquer, l’opposé est également vrai. Chaque individu est un élément isolé en état de non-communication permanent, toujours inconnu, jamais découvert en fait.
(Winnicott, 1963/1970, p. 161)
Dans ce texte, je voudrais réfléchir sur l’isolement et la non communication en tant que des stratégies de subjectivation fondamentales à partir de la contribution de Winnicott et Ogden qui postulent l’isolement comme une condition nécessaire à la santé psychologique. Cette idée va de pair avec ma clinique où des enfants semblent utiliser l’isolement comme une stratégie de préservation et de protection contre la découverte prématurée de l’altérité de l’objet et contre l’excès de présence de l’autre, ce qui ne permet pas l’introduction d’un rythme dans la relation sujet/objet.
L’importance de la qualité des relations entre sujet et objet en début de vie a été mise en évidence par plusieurs auteurs psychanalystes, en particulier post-freudiens qui, à partir de l’oeuvre de Winnicott, reconnaissent que les processus de symbolisation dépendent de la présence de l’objet pour que la représentation de son absence soit possible. Les travaux de Roussillon sur la symbolisation primaire et la contribution de Green sur le travail du négatif indiquent comment la fonction de l’objet est essentielle pour favoriser la symbolisation de son absence et l’accès à la représentation.
Cependant, je propose de reprendre l’idée d’isolement formulée par Winnicott (1963/1970) pour réfléchir sur les expériences traumatisantes en début de vie qui menacent la communication silencieuse avec les objets subjectifs et entravent la mise en place du sens de la réalité. Dans cette perspective, la non communication avec le monde de la réalité partagée est essentielle à la mise en place d’un moi privé et du sentiment d’être réel.
Freud, dans «Au-delà du principe de plaisir» (1920/1992) introduit la notion d’un appareil psychique équipé d’une couche protectrice qui ne laisse passer que des quantités d’excitation tolérables. Le traumatisme serait lié à une rupture de cette couche protectrice due à des stimulations suffisamment puissantes pour la traverser, envahissant l’appareil psychique avec un grand flux d’énergie qu’il ne peut pas contrôler, et laissant le principe de plaisir hors de l’action. Dans la tentative de récupérer l’équilibre énergétique, il y aurait une concentration d’énergie à la surface la plus extérieure du psychisme, qui travaillerait comme une membrane résistante aux stimuli, mais qui laisserait les fonctions psychiques restantes paralysées ou réduites.
Ogden (1996), lorsqu’il reprend cette notion freudienne, souligne que, selon Freud, «la préservation de l’organisme dépendrait à la fois de la capacité de ne pas s’apercevoir et de la possibilité d’enregistrer des stimuli internes et externes» (p. 164). L’auteur, sur la base de la contribution de Winnicott, insiste sur l’importance de la notion d’isolement comme essentielle pour le développement d’un sens de la réalité et de spontanéité du self.
Pour Ogden, les deux principaux concepts d’isolement développés par Winnicott impliquent d’abord une protection contre la perception prématurée de la séparation entre le self et l’objet, protection procurée par la fonction maternelle qui répond aux besoins du bébé avant la reconnaissance du manque et du désir; et une forme plus tardive d’isolement par rapport aux objets qui sont trouvés/ créés, appelés objets subjectifs, qui fournissent au bébé l’expérience de l’illusion de l’ «omnipotence». Il est intéressant de noter l’observation de Ogden selon laquelle le terme omnipotence est inapproprié car il ne s’agit pas d’une expérience de pouvoir et de domination sur l’objet. Le cœur de l’illusion est le sentiment du bébé que l’objet ne pourrait pas être autrement. C’est-à-dire, «le bébé commence à se voir reflété dans le monde qu’il a créé» (p. 166; traduction libre).
Roussillon (2012), renforce également ce point de vue en indiquant que la base de la satisfaction primitive suppose la construction et la réunion d’un double de soi-même, non pas comme indifférencié, mais comme semblable. Semblable dans le sens où l’objet se «propose» d’être similaire, en ce qu’il se «fait semblable, en ce qu’il accepte de réfléter et partager» les mêmes états d’être de l’enfant. L’accent que met l’auteur sur la la notion d’un double qui ne se confond pas avec le bébé amène la question de l’expérience difficile et délicate de «la préoccupation maternelle primaire» - un processus dans lequel la mère renonce temporairement à sa position de sujet pour s’identifier aux besoins du bébé, mais en même temps, doit se maintenir comme un autre, encore qu’en tant que présence invisible, pour servir d’interprète à l’expérience de son enfant et pour rendre possible l’expérience de non-intégration.
Ainsi, la possibilité de transformer l’hallucination (tentative de transformer en perception l’absence de l’objet) en expérience d’illusion (création d’objets subjectifs) repose sur la capacité que l’objet a d’empêcher que le bébé soit confronté à la perception de la différence entre moi-autre, interne-externe, prématurément, mais aussi sur la possibilité que la mère laisse son enfant se séparer momentanément sans une angoisse de séparation et une menace de mort.
La notion de Ogden de «la position autistique contigüe» peut nous aider à aller de l’avant dans la question de penser comment l’isolement est essentiel au processus de subjectivation, une fois vécu comme un déliement nécessaire, et non comme une agonie primitive liée à un abandon radical (1996).
L’auteur, inspiré par les contributions de Francis Tustin et Esther Bick, propose une forme élémentaire de l’expérience humaine, dénommée position autistique-contigüe, dans laquelle il y a une prédominance du vécu sensoriel dans le rapport à l’objet. Le terme autisme ne signifie pas un système monadique fermé en début de vie, tel que l’a postulé M. Mahler, mais plutôt un type de relation qui est vécu en termes de «l’expérience-sensation». En d’autres mots, le bébé commence la relation avec l’objet, d’abord à travers les impressions sensorielles sur la surface de la peau à travers l’expérience de lieu. Comme l’indique Ogden, le sein, avant d’être perçu comme une partie du corps de la mère, est l’expérience d’être un lieu - «une zone de sensation de type rassurant».
L’isolement associé à une expérience de type autistique-contigüe consiste à remplacer la mère en tant qu’environnement par un environnement sensoriel auto-généré. L’auteur souligne que la vie psychique ne s’épanouie pas seulement dans le contexte de la mère comme environnement, mais que la substitution de la mère environnementale par une matrice de sensation autonome crée un arrêt essentiel dans la tension de l’expérience humaine. Cependant, Ogden souligne que l’isolement auquel il postule s’oppose à un solipsisme de l’autisme pathologique car il sert à protéger l’individu contre la tension continue qui «est une partie inévitable de la vie dans la matrice imprévisible des relations d’objet humaines» (p. 173; traduction libre).
Il est à noter que la mère doit tolérer cette forme d’isolement du bébé, sans être prise par des sentiments de dépression, de colère ou de rejet, pour permettre une qualité rythmique entre être-avec et être séparé. Si elle ne réussi pas à être le continent de cette expérience, la rupture dans le rythme et dans la contiguïté des expériences génère des états de «ne pas être» responsables des angoisses primitives et caractérisés par l’absence de limites physiques. Fuir correspond à la crainte réelle d’être en train de se defaire, sans contours définis, sans une première forme de continence - sans une peau psychique.
Dans cette situation, il est impossible de permettre à l’objet de s’éteindre, car l’expérience de la séparation est vécue comme une menace de mort aussi bien pour l’enfant que pour l’adulte. Autrement dit, c’est comme si, en déniant son ambivalence et sa haine dans la relation avec son fils, la mère cherchait, par l’excès de présence, à destituer l’instauration d’un espace transitionnel permettant sa transformation en structure encadrante.
Il ne faut pas oublier que ce concept de Green indique que la transformation de l’objet maternel en structure encadrante n’a lieu que lorsque cette structure offre la garantie de la présence maternelle en son absence et peut ensuite être remplie par des fantasmes et remplacée par d’autres objets. Selon les mots de l’auteur «l’absence est une présence potentielle, une condition de la possibilité non seulement d’objets transitionnels, mais aussi des objets potentiels nécessaires à la formation de la pensée» (Green, 1988, p. 62).
Ainsi donc, en suivant des enfants âgés entre 2 et 4 ans qui arrivent à mon cabinet avec un diagnostic présumé de l’autisme, j’observe, et c’est l’hypothèse que je formule, que l’isolement que ces enfants manifestent semble être une forme de protection extrême contre la dimension mortelle de la relation avec le objet. En d’autres termes, ces enfants qui présentent des difficultés dans l’accès au langage verbal, qui ne réussissent pas à établir une relation ludique avec l’analyste, qui s’accrochent à leurs objets primordiaux au début de l’analyse, cherchent à maintenir un vrai noyau protégé de la tentation de «se perdre dans l’autre».
Il est intéressant de noter en quelle manière les jeux typiques de la petite enfance: cache-cache, Fort-Da de Freud (présence/absence), jeux de poursuite, ne commencent à être joués dans la situation de transfert qu’après une période d’isolement accompagnée de la présence en réserve de l’analyste.
Le fragment clinique suivant peut nous aider dans notre réflexion.
Luiza, âgée de 6 ans, m’était indiquée par un collègue pediatre en raison de sa timidité, son retrait et principalement en raison d’une situation tragique vécue peu de temps auparavant - la disparition brutale de son père, donné pour mort, victime d’enlèvement, sans toutefois apporter une preuve concrète de sa mort. La mère a occulté ce fait à sa fille, lui disant que son père était parti en voyage brusquement, mais devant sa longue absence, elle se décide à raconter à sa fille ce qui s’était passé, l’amenant pour une analyse aussitôt après cette communication. (Zornig, 2008a, pp.130-132)
Lors de l’entrevue initiale, la mère parle de la souffrance de la famille devant cette tragédie qui ne voit pas de fin, d’une histoire qui continue, qui les empêche de souffrir, qui les incite à attendre, tantôt avec espoir, tantôt avec désespoir, sans repos possible. Elle dit, toutefois, que sa fille aurait dû être suivi depuis longtemps en raison de son retrait, sa façon de rester «collée» à elle ou à sa nounou, du fait de sucer son pouce et de ne pas pouvoir dormir seule. Elle dit aussi avoir l’impression que Luiza n’a des relations qu’avec elle et que, bien qu’elle souffre de la perte de son père, elle n’a jamais eu une relation intense et intime avec lui.
Luiza resta en analyse cinq années, marquées par une lente construction d’un espace potentiel par lequel elle émerge de l’isolement et du silence vers une communication qui lui permet de commencer à tester l’externalité de l’objet et sa survie.
Premier temps: Jouer à mourir
Ma première impression de Luiza est qu’elle est une belle fillette, sérieuse et sans énergie. Bien habillée, elle ne semble pas reliée à son corps, avec les cheveux qui tombent sur son visage, comme pour se cacher au regard de l’autre. Bientôt nous mettons en place une forme de communication à travers des dessins, jusqu’à ce qu’un jour elle m’écrive une note disant que désormais, elle ne me parlerait plus, elle communiquerait seulement par l’écriture. Nous avons commencé cette façon de travailler, où elle écrit et je parle. Je parle, parfois, pour nous deux, décrivant l’atmosphère de la séance et comment je la ressens. Luiza ne peut pas maintenir son attention à une activité précise pendant une longue période, paraissant sans énergie et introvertie. Tout au long de ce premier temps, elle choisit mon fauteuil comme l’endroit préféré de sa mise en scène: au début, elle fait une certaine activité, mais bientôt elle se couche sur mon fauteil en position fœtale, le pouce dans la bouche et elle dort! Généralement, je suis assise à son côté, silencieuse mais attentive à ses gestes et ses mouvements. Elle oscille entre se livrer au sommeil, ou garder les yeux fermés, attentive à mes mouvements!
Dans ce premier temps d’analyse, Luiza semble osciller entre me mettre à la place de l’objet persécuteur qu’elle doit surveiller ou se livrer à une expérience plus primitive de jouer à mourir en ma présence. Au fil du temps, elle cesse de me surveiller et s’abandonne au sommeil, la tête appuyée sur le cuir souple, tout en courbant son corps dans une position fœtale, délimitée par les bords du siège. Dans le même temps, elle ferme les yeux et suce son pouce, semblant se détendre jusqu’au sommeil.
En raison des circonstances de la disparition brutale de son père et l’impossibilité de vivre le deuil, je pense, au départ, que cette situation de régression et d’isolement est une expérience de détresse et d’abandon. Cependant, au cours du traitement, je commence à entrevoir une perte encore plus archaïque - la perte d’une expérience affective avec sa mère, qui a beaucoup de difficulté à s’identifier à la détresse de sa fille et à sa propre souffrance.
Le comportement régressif de Luiza - couchée sur le fauteil de l’analyste, indique un isolement qui montre la marque de la communication sensorielle car elle ne se couche que sur mon fauteil, qui fonctionne comme un espace de continence où elle peut expérimenter une non-intégration sans angoisse d’annihilation. L’utilisation ici de l’expression «mise en scène» renvoie à l’idée de la corporéité en clinique (Zornig, 2008b) où le patient met en scène et figure dans son corps les aspects dissociés en dehors de son discours et de sa narration verbale. La mise en scène se réfère à un corps qui exprime la souffrance d’une façon «psychosomatique», ce qui démontre, par le biais de son acte, la tentative de métaboliser psychiquement sa souffrance (p. 336).
Dans le cas de Luiza, je préfère interpréter sa «présentation en acte» non pas comme une régression, mais plutôt comme la construction de la possibilité de trasformer la menace de mort psychique en capacité de s’isoler en présence de l’autre. La notion de Ogden d’un retrait plus radical que dans la conception de l’isolement de Winnicott marque l’importance de la rythmicité entre être-avec et être séparé, entre l’union et l’exclusion de la mère. Comme le dit l’auteur, «la mère doit consentir à ce que l’enfant ait son sanctuaire», dominé par ses propres sensations, sans entrer en concurrence avec les phénomènes sensoriels auto-générés, car ils font partie d’une dialectique délicate entre la perte et la récupération de son bébé (p. 174).
Dans la situation analytique Luiza met en scène le jeu de dormir/mourir/ être isolée en présence de l’analyste, comme un exemple de la maxime de Winnicot que la communication naît du silence. Cependant, il me semble important de souligner l’expérience de la solitude de l’analyste face à cette forme d’isolement vis-à-vis de laquelle il faut tolérer ne pas faire, ne pas savoir, ne pas interpréter, ne pas décoder.
Le sommeil de Luiza en pleine séance analytique peut être interprété non pas comme une résistance, mais comme une mise en scène de son besoin de se laisser soigner par l’autre, de faire l’expérience d’un isolement en présence de l’analyste, sans crainte d’être envahie ou transpercée. Son refus de parler souligne l’importance de la communication silencieuse entre sujet et objet, où le rôle de l’analyste est en relation avec la valorisation de la possibilité de l’émergence d’affects dans leur dimension de puissance avant d’être traduits en verbalisations. Si nous reprenons l’indication de Stern sur la dimension non verbale des affects de vitalité, nous pourrions considérer le refus de Luiza de parler à l’analyste comme une indication de la nécessité de construire une relation transférentielle qui lui permettrait de passer de la dissociation au conflit, de la mise en scène à l’élaboration.
A noter ici une différenciation entre dissociation et conflit, car dans le conflit, la personne connaît, inconsciemment ou consciemment, l’existence des deux côtés de l’équation; dans les états dissociés, elle est totalement impliquée dans chaque aspect, les figurant dans le corps (Khan, 1971).
L’auter indique que “la mise en scène exige un témoin qui essaye et informe. L’action cherche des complices pour l’évacuation et la satisfaction” (Khan, 1971, p. 65; traduction libre). Le rôle de témoin me paraît fondamental pour marquer la place de l’analyste dans la relation transférentielle, car à partir des mises en scène de Luiza, je commence à entrevoir la dimension du vide affectif qu’elle vit dans une relation avec une mère très efficace mais peu affective, avec énormément de difficultés à reconnaître la souffrance de sa fille et à accepter sa propre douleur et sa détresse.
L’identification à son expérience d’abandon et de solitude me fait comprendre l’importance de maintenir la fonction de témoin, maintenant dans le sens donné par Ferenczi, de reconnaissance et d’autorisation d’une douleur qui ne peut pas être communiquée. Figueiredo propose la notion de témoin comme un complément à l’idée de Winnicott de miroir pour indiquer que témoigner signifie faire attention à ce que l’analysant a de propre et de singulier (Figueiredo, 2007, p. 18). Cette modalité de soins silencieuse et discrète peut passer inaperçue, mais son manque se montre nuisible et produit des difficultés pour la construction d’un self créatif et vrai.
Jouer à mourir concerne la situation traumatique de la disparition du père, mais peut être considérée comme la tentative de jouer à désinvestir le monde des objets, à la recherche de son sanctuaire personnel, sans la menace de la mort. En termes contre-transférentiels, pour que l’analyste puisse supporter cette expérience, il faut ajouter aux notions de holding et de continence, l’idée d’une présence en réserve, dans laquelle le «ne pas se soucier» actif devient une forme de soins silencieux (Figueiredo, 2007, p. 21).
La présence en réserve ne signifie pas l’indifférence et le silence de la part de l’analyste, mais la possibilité d’offrir à l’analysant un espace libre et dégagé par l’action. C’est dans cet espace «vital que l’analyste peut protéger l’analysant contre la présence excessive des objets et des représentations - que le sujet pourra exercer sa capacité à halluciner, rêver, jouer, penser et plus largement à créer le monde à sa mesure et selon ses possibilités. «La base de tout le mouvement est exactement le retrait stratégique de l’analyste: il reste en réserve pour appeler à l’action, donner lieu à une activité créative auto-érotique du sujet» (Fédida, 1992, apud Figueiredo, 2007, p. 22; traduction libre).
Deuxième temps - Jouer à tuer
Le deuxième temps de l’analyse est marqué par un refus d’entrer dans le cabinet sans la présence de la nounou, qui est, ensuite, invitée à participer à ses séances. Cette stratégie produit une scène dans laquelle l’analyste est placée dans la position d’observateur de la relation affectueuse entre les deux, ayant la place du tiers exclu. De l’observation d’une relation double, nous passons à un jeu à trois, où un des participants meurt toujours à la fin. Luiza prend beaucoup de plaisir lorsque je «meurs» et elle et la nounou survivent, pouvant, à partir de ce jeu, faire l’expérience d’une relation triangulaire dans sa vie sans l’angoisse d’une perte massive, expérimentée dans la situation traumatique de la disparition concrète du tiers exclu fantasmatiquement (disparition du père). Il convient de noter que la mère de Luiza avait rapporté, au début de son analyse, que son mari était en compétition avec sa fille pour son attention, ce qui rendait difficile à Luiza l’accès à la situation œdipienne étant donné la difficulté que son père avait de prendre la place du tiers.
Dans ce deuxième temps, Luiza me dit que désormais, elle apportera les devoirs de l’école pour les faire pendant la séance. Je ne réponds pas et quand elle commence à faire ses devoirs, je m’assois à son côté, encore une fois, dans une posture attentive, intéressée par l’activité, sans entrer dans la situation de pédagogue. J’interprète cette inclusion de sa vie scolaire dans le traitement comme une indication de la possibilité d’investir libidinalement ses relations avec le monde de l’apprentissage et des possibilités et aussi comme une question à l’analyste: est-ce que vous supportez cette expérience de séparation?
L’expérience de faire ses devoirs sans les partager avec l’analyste produit une expérimentation d’isolement qui porte la marque de la communication et illustre la construction lente et progressive d’un self. Winnicott indique que la non-communication est essentielle pour la construction subjective de l’enfant, car elle permet d’établir une communication silencieuse et créative avec les objets subjectifs. Autrement dit, le refus fait partie du processus de création de l’objet et signale la distinction entre la communication omnipotente avec les objets subjectifs et le monde non-moi des objets perçus objectivement.
Dans une séance, elle entre avec une amie, annonçant que les deux participeront à la séance. Il est intéressant de noter qu’elle amène à sa séance une amie autoritaire qui veut fixer les règles du jeu et tout diriger de manière manipulatrice. Je dis à son amie qu’elle est «autoritaire» et Luiza s’amuse beaucoup de mes paroles. Quand elle revient, un autre jour, elle dit que son amie a aimé bien de venir à mon cabinet, mais elle ne reviendra plus, parce qu’elle n’a pas aimé que je l’appelle autoritaire. Ce sujet amène des commentaires au sujet de ses relations affectives avec les amies et, peu à peu, elle me parle de sa difficulté à dormir en dehors de chez elle, à jouer dans les maisons des autres, la peur de ressentir le manque de sa mère ou de sa nounou.
Le deuxième temps semble marquer la construction d’un espace transitionnel et de l’expérience d’une relation triangulaire sans la mort ou la destruction de l’objet. Comme j’ai pu observer la relation amoureuse qu’elle a avec la nounou avec calme et tranquillité,sans me sentir exclue; comme j’ai pu être exclue par les deux sans me sentir détruite; comme j’ai ouvert l’espace de la séance pour inclure son amie, mais au même temps, j’ai imposé des limites sur cette action - mes interventions semblent avoir permis l’ouverture d’un canal de communication et avoir entamé une relation objetale dans laquelle la dimension de l’altérité peut être expérimentée sans une forte angoisse de la séparation.
La haine
La fin de l’analyse de Luiza est marquée par un vécu de haine dirigée vers l’analyste qui est accueillie comme un essai de séparation. Toutes les séances se terminent avec la phrase - je vous hais, et ma réponse - je t’attends tel jour à telle heure, ce qui indique qu’elle peut exprimer sa haine sans me détruire et que je peux supporter cette expérience sans mourir.
Winnicott (1975) donne une indication précieuse sur la fonction de l’agressivité dans la reconnaissance de l’externalité de l’objet, en suggérant que seule l’expérience de la haine dans l’analyse modifie la position de l’objet. L’analyste passe d’objet interne, qui doit être protégé de la tentative de destruction, vers l’utilisation de l’analyste en tant qu’objet qui est reconnu dans son extériorité et pour cela, peut survivre à la haine. Roussillon (2010) avance plus loin en disant que l’objet ne doit pas seulement survivre à la destructivité mais il doit se montrer créatif et vivant pour être découvert comme autre-sujet.
L’analyse de Luiza se termine au moment où sa demande de ne plus assister aux séances semble une expression authentique d’un vrai self. Même si elle nécessite un autre interlocuteur plus tard, elle peut, au moment, commencer à expérimenter la vie à travers une narrative plus créative et personnelle.
Conclusion
Dans le travail analytique avec les enfants, il est important de reprendre la notion d’isolement et de désinvestissement de l’objet, non pas dans le sens de «progression traumatique», selon Ferenczi (1931/1982) mais plutôt dans son versant de subjectivation - où la non-intégration et l’isolement sont aussi fondamentaux que le sens de l’intégration.
Le jouer primitif, dans cette proposition, fait référence à la capacité de l’enfant à sauver des expériences sensorielles qui lui procurent des sensations de tranquilité et de détente, lui permettant de commencer à investir le vide dans un jeu intersubjectif.
Surtout dans la clinique avec des enfants, la notion de présence en réserve de l’analyste me semble essentielle car elle se rapporte à ne pas faire, à être en mesure de témoigner, à pouvoir attendre. Les jeunes analystes qui travaillent avec des enfants ont beaucoup de mal à contenir leur action et sont parfois influencés par l’accent mis sur la fonction de présence du clinique au détriment de l’importance de la fonction de réserve.
Ainsi, la proposition de récupérer l’importance de l’expérience d’isolement dans la constitution psychique, telle que conçue par Winnicott et Ogden entre autres, peut nous aider dans notre travail clinique avec des enfants puisqu’elle ouvre un espace à la fonction du silence comme un premier temps du jouer intersubjectif comme une relation dialectique entre l’isolement et la communication. Si nous reprenons les axes de réflexion proposés au début de ce texte, nous pourrons suivre le cas clinique rapporté comme un processus graduel de constitution subjective, où le parcours de l’analyse n’est pas lié initialement à la répétition de contenus refoulés, mais à un processus de co-construction du sujet et de l’objet, dans une dialectique entre être-en-un et être séparé (Ogden, 1996).
Dans cette perspective, l’attitude empathique de l’analyste est essentielle pour la reconnaissance de l’aspect positif de l’expérience de non-intégration et d’isolement. Si la communication a pour origine le silence, comme le suggère Winnicott, la constitution du psychisme dans l’enfance découle des expériences sensorielles et affectives qui surviennent entre le bébé et ses objets primordiaux. Ainsi, la relation transférentielle peut être vécue dans une dimension paradoxale de mouvement et d’intensité, pourvu que le rythme soit introduit par la scansion entre la musicalité et le silence.
-
Financiamento/Funding: Este trabalho não recebeu apoio / This work received no funding.
Bibliographie
- Ferenczi, S. (1982). Analyses d’enfant avec des adultes In Psychanalyse -IV (pp. 98-112). Paris, France: Payot, 1982, pp. 98-112. (Travail original publié dans 1931).
- Figueiredo, L. C. (2007, dez.). La metapsychologie de soins. Psychê, XI(21), 13-30.
- Freud, S. (1992). Au-delà du principe de plaisir. In Oeuvres complètes (v. XV). Paris, France: P.U.F. (Travail original publié dans 1920).
- Green. A. (1988). Sobre a loucura pessoal Rio de Janeiro, RJ: Imago.
- Khan, M. (1971). L’oeil entend. Nouvelle Revue de Psychanalyse, III, 53-70.
- Ogden, T. H. (1996). Os sujeitos da psicanálise São Paulo, SP: Casa do Psicólogo.
- Roussillon, R. ( 2012). Le jeu et l’entre-je(u) Paris, France: PUF.
- Roussillon, R. (2010). La fonction symbolisante de l’object. In B. Golse, & R. Roussillon (editeurs). La naissance de l’objet Paris, France: PUF.
- Winnicott, D. W. (1970). De la communication et de la non-communication suivi d’une étude de certains contraires. In D. W. Winnicott. Processus de maturation chez l’enfant: Développement affectif et environnement (pp. 151-168). Paris, France: Payot. (Travail original publié dans 1963).
- Winnicott, D. W. (1975). Jeu et realité Paris, France: Galimard.
- Zornig, S. M. A. (2008a). Transfer dans la clinique psychanalytique avec des enfants. Jornal de Psicanálise, 41(75),128-135.
- Zornig, S. M. A (2008b). La corporeité dans la clinique: quelques observations sur la clinique a l’aube de la vie. Tempo Psicanalítico, 40(2), 322-337.
-
Editora/Editor: Profa. Dra. Sonia Leite
Publication Dates
-
Publication in this collection
17 Jan 2020 -
Date of issue
Oct-Dec 2019
History
-
Received
25 Nov 2018 -
Accepted
04 Dec 2018