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Le mobilier scolaire: les modèles français et américains en circulation dans l’instruction élémentaire de l’état du Pará

Resumé

L’étude présente une analyse de la circulation du mobilier scolaire dans l’Instruction publique élémentaire de l’État du Pará, au Brésil, entre 1889 et 1910. Partant de réflexions autour des catalogues d’entreprises françaises et américaines, nous avons posé la problématique suivante : quels modèles diffuseurs de la matérialité ont circulé dans l’État du Pará par le biais des catalogues ? Comment se sont effectuées l’acquisition et la commercialisation du mobilier scolaire pour l’Instruction publique de cet État ? Sur le plan méthodologique, nous avons mené une recherche documentaire, fondée sur un relevé des sources dans les archives publiques de l’État du Pará. Les résultats révèlent les stratégies des dirigeants de l’administration du Pará ainsi que l’influence exercée par la circulation des catalogues, véritables vitrines des savoirs universels pour la modernisation des systèmes éducatifs.

Mots clés:
catalogues scolaires; modèles étrangers; instruction publique; Pará

Resumo

O estudo apresenta uma análise sobre a circulação da mobília escolar na Instrução Pública Primária do Pará entre os anos de 1889 e 1910. Com base nas reflexões em torno dos catálogos das empresas francesas e norte-americanas, levantamos a seguinte problemática: que modelos difusores da materialidade circularam no Pará por meio dos catálogos? Como se deu a aquisição e comercialização do mobiliário escolar para a Instrução Pública do Pará? Metodologicamente, utilizou-se a pesquisa documental realizada a partir do levantamento de fontes no Arquivo Público do Estado do Pará. Os resultados revelam as estratégias dos dirigentes da administração do Pará e as influências de circulação dos catálogos, vitrines dos saberes universais para modernização dos sistemas educativos.

Palavras-chave:
catálogos escolares; modelos estrangeiros; instrução pública; Pará

Abstract

The study presents an analysis of the circulation of school furniture in Primary Public Instruction in Pará between the years 1889 and 1910. Based on reflections on the catalogs of French and North American companies, we raise the following issue: which models did diffusers of materiality circulate in Pará through catalogs? How was the acquisition and sale of school furniture for Public Instruction in Pará? Methodologically, documentary research was carried out based on a survey of sources in the Public Archive of the State of Pará. The results reveal the strategies of the Pará administration leaders and the influences on the circulation of catalogues, showcases of universal knowledge for the modernization of systems educational.

Keywords:
school catalogs; foreign models; public instruction; Pará

Resumen

El estudio presenta un análisis de la circulación de mobiliario escolar en la Instrucción Pública Primaria en Pará entre los años 1889 y 1910. A partir de reflexiones sobre los catálogos de empresas francesas y norteamericanas, planteamos la siguiente cuestión: ¿qué modelos fabricaban los difusores de ¿La materialidad circula en Pará a través de catálogos? ¿Cómo fue la adquisición y venta de mobiliario escolar para la Instrucción Pública en Pará? Metodológicamente, la investigación documental se realizó a partir de un levantamiento de fuentes del Archivo Público del Estado de Pará, cuyos resultados revelan las estrategias de los líderes de la administración paraense y las influencias en la circulación de catálogos, escaparates de saberes universales para la modernización de la sistemas educativos.

Palabras clave:
catálogos escolares; modelos extranjeros; instrucción pública; Pará

Introduction

L’étude analyse la circulation des modèles de mobilier scolaire, diffusés dans l’Instruction publique élémentaire de l’État du Pará. Elle se concentre sur les modèles étrangers qui ont circulé dans les maisons d’école de cet État. La seconde moitié du XIXᵉ siècle et le début du XXᵉ siècle sont marqués par le spectacle grandiose de la modernité triomphante. Les pays civilisés entrent concurremment dans l’univers du progrès industriel et dans le jeu des avancées comparatives entre les différentes nations. Des espaces d’exposition et de divulgation affichent l’identité culturelle des peuples, exhibent pour la première fois des réalités occultées.

L’environnement social des États du Pará et de l’Amazonie, durant l’âge d’or de l’économie internationale du latex, résultait des investissements en faveur de l’internationalisation de cette culture. Les capitales de la région nord du Brésil affichaient alors un modèle civilisé et bourgeois de pratiques culturelles et d’identité. Ce modèle se reflétait dans les mœurs sociales des sujets qui vivaient le quotidien de la culture mondaine à Belém, la capitale du Pará. Comme l’explique Coelho (2002Coelho, G. M. (2002). No coração do Povo: o Monumento à República em Belém 1891-1897. Belém, PA: Paka-Tatu.), la représentation de l’homme civilisé s’est réalisée à travers un langage polysémique, dont les signifiés s’agrémentaient des raffinements de la modernisation et figuraient dans les conditions réelles et imaginaires où circulaient les richesses, les biens de consommation et la culture.

Nombre de systèmes éducationnels ont été consolidés et constitués grâce à l’acquisition de matériels et d’objets scolaires mis en circulation à partir des expositions universelles. Réfléchir au processus de matérialisation qui a permis le triomphe de la modernité éducative pour l’instruction publique du Pará suppose de comprendre l’aménagement d’un nouvel ordre, qui s’est instauré avec le progrès et l’expansion de modèles universels, avec la circulation d’objets et de matériels fondamentaux pour le fonctionnement des écoles.

La provenance du mobilier scolaire est étroitement corrélée à une activité économique expressive, liée au processus d’exportation et au mouvement des ports de Belém, la capitale de l’État. Selon Sarges (2010Sarges, M. N. (2010). Belém: riquezas produzindo a Belle Époque (1870). Belém, PA: Paka-Tatu.), la modernisation de l’État du Pará est due à l’enrichissement des différents secteurs de la société, à partir de la seconde moitié du XIXᵉ siècle. En effet, l’ensemble de l’activité économique de la région amazonienne s’est articulé autour de l’exploitation du latex pour l’industrie du caoutchouc et a ainsi accentué l’insertion de la région dans le système capitaliste mondial.

Ce contexte a favorisé la circulation internationale de modèles pédagogiques, d’objets et de personnes, qui ont soutenu le progrès, le développement de l’éducation ainsi que l’acquisition de matériel scolaire. De la sorte, les discussions et les analyses qui ont trait à la circulation des objets scolaires, utilisés dans les écoles du Pará, se fondent sur des réflexions autour des expositions universelles. Il s’agit de comprendre les processus de circulation des modèles pédagogiques ainsi que le rôle de l’école, en tant que diffuseuse d’idéologies et disséminatrice de la production et de la démonstration des nouveautés du marché consommateur de l’industrie scolaire. Selon Escolano Benito (2017Escolano Benito, A. (2017). A escola como cultura: experiência, memória e arqueologia. Campinas, SP: Alínea.), les cultures affirment leur identité à travers des objets et des actions symboliques, à l’instar de nombre de matériels et de rites qui composent le quotidien des institutions éducatives. Les rituels de la scolarisation codifient et typifient les rôles joués par les sujets/acteurs impliqués dans l’action où s’opérationnalise la culture éducative.

Le mobilier est devenu un élément fondamental pour l’organisation de l’espace scolaire. Il s’est singularisé par des artefacts qui conditionnaient la discipline et le développement intellectuel des élèves et qui répondaient aux préoccupations relatives à la santé et à l’hygiène dans la vie scolaire. D’après Castro (2013Castro, C. A. (2013). Cultura material escolar: a escola e seus artefatos (MA, SP, PR, SC e RJ) - 1870/1925. São Luis, MA: EDUFMA.), le mobilier comprend les pièces suivantes : les armoires, les tableaux, les bancs, les tables d’étude, les chaises, les pupitres, les sièges, les bureaux, les étagères, les estrades, les tables, les portemanteaux, les porte-chapeaux, etc. Ces éléments sont appréhendables comme des biens appartenant à la culture scolaire et à la circulation des savoirs. Nous entendons présenter les modèles pédagogiques et les objets de la matérialité qui ont circulé dans les écoles élémentaires du Pará.

Le cadre temporel choisi correspond aux prémices de la République, alors que s’instaure à Belém une dialectique entre, d’un côté, la modernité et, de l’autre, la politique et l’économie . Cette dialectique imprègne les projets d’éducation matérialisés par le triomphe moderniste et symbolisés par la Belle Époque (Sarges, 2010Sarges, M. N. (2010). Belém: riquezas produzindo a Belle Époque (1870). Belém, PA: Paka-Tatu.). Une fois la République proclamée, en 1889, le gouvernement a tenté de réformer, dès le mois de février de l’année suivante, l’instruction publique dans l’État du Pará. Un mouvement de défense de l’éducation critiquait sévèrement le modèle décadent qui y régissait alors l’instruction publique. Il mobilisait un groupe d’intellectuels qui appartenaient au mouvement républicain du Pará. Ce groupe préconisait des réformes immédiates en vue de répondre aux stratégies politiques et de consolider les idées républicaines.

Ce contexte de réorganisation des structures sociales a donné lieu à la reformulation de l’Instruction publique au Pará, en 1890. Cette période connaît un fort investissement dans l’enseignement élémentaire, moyennant diverses reformulations des règlements et des programmes d’enseignement, ainsi qu’une visibilité accrue des sujets impliqués dans la construction de la culture scolaire. Les inspecteurs, les directeurs, les enseignants occupent le devant de la scène, tout comme la matérialité des objets scolaires, l’aménagement de maisons d’école appropriées pour le fonctionnement de l’enseignement élémentaire au Pará ainsi que la création de groupes scolaires à partir de 1899.

De la sorte, en prenant le mobilier scolaire comme objet de recherche, nous avons posé la problématique suivante : quels modèles diffuseurs de la matérialité ont circulé dans l’État du Pará par le biais des catalogues ? Comment se sont effectuées l’acquisition et la commercialisation du mobilier scolaire pour l’Instruction publique de cet État ? Afin de répondre à ces questions, il convenait, à titre d’objectif général, d’identifier la circulation des modèles diffuseurs de la matérialité dans l’État du Pará, par le biais des expositions et des vitrines des catalogues.

Cette recherche appréhende l’objet dans son sens symbolique, c’est-à-dire qu’elle s’intéresse à la façon dont l’objet a été présenté ou partagé par le groupe social. Elle s’efforce, d’une part, d’identifier comment les sujets sociaux percevaient le mobilier scolaire dont ils faisaient usage, en tant que dispositif proposé par les règlements, et, d’autre part, de reconnaître dans les documents officiels, les propositions innovantes pour la vie scolaire ainsi que les impressions inspirées par ce mobilier.

Selon Chartier (1990Chartier, R. (1990). A história cultural: entre práticas e representações. Rio de Janeiro, RJ: Editora Bertrand Brasil.), lors de l’analyse des discours, il convient d’éviter de désarticuler les idées non seulement des pratiques qui permettent de comprendre la relation entre la matérialité des objets et des sujets qui les produisent, mais aussi des moyens par lesquels elles ont été diffusées et mises en circulation. L’histoire culturelle propose donc d’associer relativement l’histoire des idées avec les pratiques culturelles établies et de les accorder.

Le travail présent constitue une contribution importante pour l’histoire de l’éducation dans l’État du Pará ainsi que pour la compréhension de l’histoire de l’éducation brésilienne à l’époque républicaine. Il met en lumière l’organisation des écoles durant cette période, en ce qui a trait à l’idéalisation, à la fabrication et à la circulation du matériel scolaire, notamment du mobilier scolaire.

Outre l’introduction, ce texte s’articule en deux sections : la première aborde le mobilier dans les vitrines des expositions universelles par le biais des catalogues ; la seconde présente les modèles de mobilier français et américain, qui ont circulé dans les écoles élémentaires du Pará, ainsi que leurs représentations sociales. Enfin, des considérations concluront le texte.

Mobilier en vitrine par le biais des catalogues

S’intéresser au mobilier scolaire en vitrine dans les expositions universelles aide à comprendre les aspects pertinents qui ont impulsé l’obligatoiriété scolaire, en particulier la constitution de l’école élémentaire dans l’État du Pará. Le tournant du XXᵉ siècle témoigne du formidable essor de la société industrielle, avec la transmission de savoirs, qui ont commencé à circuler en tant que standards des modèles internationaux.

Les expositions universelles se distinguent comme les disséminatrices de produits et d’objets de nécessité matérielle au sein des institutions éducatives. Des savoirs ont commencé à circuler sous la forme de la matérialité et ont constitué des pratiques et des représentations, vécues par les différents sujets qui se sont approprié ces dispositifs pour construire l’histoire de l’école et sa mémoire, comme formatrice des différents systèmes éducatifs.

En 1889, l’État du Pará est présent à l’Exposition universelle de Paris. Selon le rapport de Gama Abreu, le journaliste Santa-Anna Nery a joué un rôle majeur dans l’organisation de la participation des États du Pará et de l’Amazonas. Le journaliste a fait don en effet de plusieurs objets de sa collection afin de constituer les échantillons exposés lors de l’événement. Gama Abreu loue le journaliste non seulement pour sa contribution à la presse du Pará, mais aussi pour son engagement et le don d’objets à cette exposition dans la capitale française (O Pará na Exposição..., 1890, p. 22).

Dans ce contexte, les discussions et les analyses sur la circulation du mobilier scolaire en usage dans les écoles du Pará se fondent sur des réflexions autour des expositions. Il s’agit de comprendre les processus de circulation des modèles pédagogiques ainsi que le rôle de l’école, en tant que diffuseuse d’idéologies et disséminatrice de la production et de la démonstration des nouveautés du marché consommateur de l’industrie scolaire. De la sorte, la matérialité culturelle du champ scolaire a gagné en sens et signifié grâce à sa valorisation historique. La mémoire du patrimoine éducatif, qui a commencé à circuler et à témoigner des connaissances et des pratiques culturelles, construites selon les modes de production empiriques au sein de l’école, est récupérée. Dans cette perspective, la culture scolaire est visibilisée par la circulation de savoirs, que les objets d’enseignement matérialisent. Comme l’explique Escolano Benito (2018Escolano Benito, A. (2018). Etnohistória e cultura material da escola: a educação nas exposições universais. In V. L. Gaspar, G. Souza, & Castro C. A. (Orgs.), Cultura material escolar em perspectiva histórica: escritas e possibilidades. Vitória, ES: EDUFES., p. 91),

[...] elle confère à ces matériels un statut dont ils étaient dépourvus auparavant, car ils étaient durant longtemps des objets exclus du musée de la mémoire, récupérée et protégée, une réévaluation qui s’opère lorsque les instruments d’enseignement sont inclus dans le catalogue des biens exposés, valorisés dans une démocratie culturelle éclairée [...] moyennant, entre autres, les dispositifs de normalisation et de gouvernabilité de l’école.

Dans cette perspective, eu égard aux efforts menés pour satisfaire au mieux les exigences imposées par une politique de modernisation, qui réglementait l’usage d’un matériel scolaire approprié pour l’enseignement élémentaire au Pará, les modèles qui circulaient lors des expositions ont joué un rôle majeur dans la diffusion de l’idéologie du progrès. Selon Alcântara (2014), le matériel et le mobilier popularisés dans ces espaces, qui étaient considérés comme des vitrines pour des objets désirés, circulaient internationalement par le biais des catalogues, où étaient également divulguées les normes pédagogiques et hygiéniques à suivre, afin de placer commodément les enfants pour la lecture et l’écriture et les préserver des attitudes vicieuses.

D’après Nóvoa et Schwriwer (2000Nóvoa, A., & Schriewer, J. (2000). A difusão mundial da escola. Alunos, professores, currículo, pedagogia. Lisboa, PT: Educa.), cette diffusion du modèle scolaire idéal s’est configurée comme un projet de modernité éducative. Il était propagé dans les espaces désignés aux expositions et constituait une véritable universalisation et divulgation d’idées, d’images, d’objets, etc., ces derniers étant les ultimes processus innovateurs qui modifiaient le monde.

Toujours selon Alcântara (2014), une relation étroite s’est nouée entre l’école, l’industrie et les expositions universelles. L’école et ses besoins ont en effet impulsé le marché et l’ont conduit à répondre aux demandes. La concurrence entre les fabricants s’est accrue pour l’innovation et l’adéquation des produits, afin de satisfaire les réglementations prescrites par les préceptes pédagogiques en vigueur. De la sorte, l’État est devenu un acheteur incontournable et ses commandes ont fortement contribué à accroître le profit des fabricants de mobilier scolaire.

Cette perspective de structuration de l’école moderne, publique et obligatoire dans nombre de pays occidentaux va de pair avec une circulation internationale des discours et des savoirs sur le corps de l’enfant, le corps du citoyen scolarisé, dans le cadre de l’hygiène publique et scolaire. Selon Alcântara (2016Alcântara, W. R. R. (2016). A transnacionalização de objetos escolares no fim do século XIX. In Anais do Museu Paulista. São Paulo, SP.), conjointement aux enjeux pédagogiques, médicaux et hygiéniques, l’industrialisation, les innovations technologiques et la mondialisation ont conduit à la fabrication et à la diffusion d’un nouvel objet, indispensable au fonctionnement des institutions d’enseignement : le bureau d’écolier.

L’analyse des catalogues des industries du mobilier scolaire montre que les modèles de bureaux d’écoliers les plus hégémoniques, qui sont présentés dans les expositions universelles du XIXᵉ siècle, sont le fait de fabricants américains et français, qui se disputaient le marché du mobilier scolaire, alors que l’école émergeait comme un important marché de consommation.

Face à cette demande croissante, les catalogues ont constitué la modalité d’acquisition de ce mobilier scolaire dans l’État du Pará. Ils permettaient de prendre connaissance des différents modèles de meubles et des objets destinés à l’enseignement dans les classes élémentaires.

Cependant, le marché local ne comptait aucune entreprise pour la fabrication du mobilier scolaire. Son importation s’imposait donc, car il était devenu incontournable pour le bon fonctionnement des écoles élémentaires de l’État, en particulier dans la capitale. En ce qui a trait à l’acquisition de ce mobilier pour les écoles, les investissements du gouvernement dans l’éducation, lors d’une période de grande effervescence économique dans la région, ont été orientés pour répondre aux modèles universels établis par les hygiénistes-pédagogues, comme le montre le passage ci-dessous, présenté par José Veríssimo, directeur général de l’Instruction publique du Pará :

Le problème du mobilier scolaire est désormais résolu. Les types varient selon la forme, le goût, le prix, la perfection artistique ou le travail d’une simple main d’œuvre, mais en général, ils restent fondamentalement les mêmes.

Dès l’établissement des réquisits par les hygiénistes-pédagogues pour un mobilier scolaire idéal, les fabricants s’appliquèrent à fabriquer les types les plus conformes à ces recommandations (A Instrução Pública..., 1891, p. 86).

Les demandes rapportées par Veríssimo (A Instrução Pública..., 1891), lors d’une visite des écoles de la capitale et de son arrière-pays, dénonçaient l’inobservance et l’inexécution des règlements et des programmes. Ses archives révèlent l’état déplorable des écoles élémentaires de l’État. Il a donc sollicité le gouvernement pour agir promptement, afin de répondre aux besoins essentiels et de fournir au moins un mobilier conforme aux standards modernes :

Un mobilier scolaire suffisant pour le nombre d’élèves, construit selon les recommandations et les exigences de l’hygiène scolaire, qui adopte au moins trois types de tables-bancs, correspondant aux tranches d’âges de 6 à 8 ans, de 9 à 11 ans et de 12 à 14 ans. L’adoption des trois types est le minimum requis, parmi les cinq recommandés, afin que nous ne prêtions plus le flanc aux justes reproches que nous adresse, par notre propre faute, un fabricant de mobilier scolaire américain, s’étonnant que le gouvernement du Pará ne commande qu’un seul type de mobilier, comme si les écoliers avaient tous la même taille (A Instrução Pública..., 1891, p. 85).

Le souhait de suivre les prescriptions de la politique de modernisation et des préceptes pédagogiques et hygiéniques déterminés pour l’utilisation des différents modèles de mobilier scolaire (les tables-pupitres), des prescriptions défendues par le directeur de l’Instruction publique et qui recommandaient les types de tables-bancs selon la tranche d’âge des élèves, révèle l’impératif d’adapter le mobilier scolaire de l’État du Pará. Toutefois, les rapports font état de l’insatisfaction et de la préoccupation provoquées par les commandes surprenantes passées par le gouvernement du Pará à des fabricants de mobilier américains. Ces commandes privilégiaient en effet un seul type et modèle de mobilier, ce qui compromettait les préceptes d’hygiène recommandés pour le développement physique et, par voie de conséquence, intellectuel des enfants.

Les exigences déterminées par les normes pour l’adoption d’un mobilier adéquat montrent clairement l’inobservance de ces mesures pour ce qui est de l’acquisition des modèles recommandés selon les différentes tranches d’âge des élèves de l’école élémentaire du Pará. L’engagement du gouvernement du Pará pour investir de manière adéquate et pour combler les lacunes dénoncées dans les documents officiels semble amplement insuffisant.

Les dimensions présentées dans les catalogues de fabricants français (voir plus bas les figures 1 et 2), fournisseurs d’une grande partie du mobilier et du matériel pour les écoles du Pará, correspondent aux normes établies pour les modèles de tables-bancs, selon les différentes tranches d’âge. Ces dimensions font partie des préoccupations signalées dans les rapports sur l’usage du mobilier par les élèves de cet État.

Figure 1
Dimensions des tables-bancs des écoles françaises.

Figure 2
Dimensions des tables-pupitres américaines.

À considérer que l’État du Pará, dans la région nord du Brésil, était, à l’époque, à la pointe du secteur économique et devait suivre les changements de la civilité moderne, ces dénonciations mettaient en lumière les improvisations qui ont donné une image déplorable de l’éducation dans le Pará. L’hygiène scolaire et le développement de l’enseignement élémentaire devenaient donc une préoccupation réelle. Les éléments jugés les plus indispensables à l’enseignement manquaient absolument et des mesures urgentes devaient être prises.

Des propositions pertinentes pour améliorer l’éducation au Pará ont été examinées et défendues. Elles vantaient constamment les mérites des modèles américains et européens. Par voie de conséquence, le choix et l’acquisition du mobilier scolaire, qui considéraient les dimensions et les types de matériaux utilisés, retenaient les modèles diffusés par les catalogues. Ces vitrines, qui circulaient dans nombre de pays, gagnaient alors en visibilité, un fait qui a impressionné José Veríssimo (A Instrução Pública..., 1891).

Les préceptes établis pour conformer l’enseignement élémentaire à la pédagogie moderne seront présentés dans les sections suivantes.

Modèles de mobilier français et américains en circulation dans les écoles du Pará

Les analyses présentées ici mettent en évidence les modèles figurant dans les expositions et les catalogues des fournisseurs du mobilier scolaire pour l’État du Pará. Au cours de cette recherche, nous avons pris à tâche d’identifier, dans les différents documents officiels de l’État, des modèles de mobilier sollicités par les institutions d’enseignement élémentaire. Nous avons également recherché leur présence dans des établissements scolaires afin de les attester et de les comparer avec les modèles exposés dans les catalogues des fournisseurs.

Les commandes étaient faites aux États-Unis par l’intermédiaire d’un représentant sur place du gouvernement de l’État, José Cardoso da Cunha Coimbra, qui s’occupait des négociations et des factures à adresser à la capitale du Pará. Ces commandes étaient passées sur la base des catalogues et les prix étaient négociés en personne avec le représentant commercial entre le Pará et les États-Unis, G. Amsinck & Cie, de New York. Les commandes passées en France étaient fournies par les maisons Hachette & Cie et Charles Delagrave, toutes deux basées à Paris.

Les articulations établies entre les acheteurs et les fournisseurs montrent le processus de médiation et d’approbation en faveur de l’idée de modernisation des écoles du Pará, moyennant l’adoption du mobilier européen et américain. Selon Alcântara (2014), des résidents étrangers, appelés médiateurs culturels, impliqués dans l’éducation publique dans leur pays d’origine, servaient d’intermédiaires entre les fournisseurs et le gouvernement.

Les catalogues étaient indispensables pour les achats à distance. Cependant, les fabricants se souciaient de leurs brevets et se montraient exigeants pour la reproduction de leurs modèles dans le monde. De la sorte, une tentative de fabriquer localement le mobilier destiné aux écoles du Pará a été lancée, mais le manque de main-d’œuvre qualifiée pour répondre à ces demandes ainsi que l’absence d’une large concurrence pour la fabrication de ce mobilier dans l’État ont conduit à la décision de commander des modèles importés.

Il s’agit de présenter ici les mobiliers qui étaient en circulation dans les écoles élémentaires du Pará et de les confronter aux modèles figurant dans les catalogues. L’examen de ces images nous permet de recueillir des informations sur le mobilier fabriqué, leurs caractéristiques physiques, hygiéniques et ergonomiques. Les similitudes relevées entre le mobilier présenté dans les catalogues et celui en usage dans les écoles élémentaires au Pará montrent que la circulation de ces modèles dans des institutions déterminées suivait les normes requises pour établir le modèle d’école idéal. Tel était principalement le cas pour les institutions conçues et construites avec des espaces appropriés à l’installation de ce mobilier, qui respectait les critères des modèles universels et modernes.

Trois catalogues relevés et analysés avec des modèles de mobilier français datent de 1890, 1892 et 1935 et proviennent de la maison d’édition Charles Delagrave. Nous retenons les catalogues suivants : Catalogue spécial de mobilier et matériel scolaire et accessoires de classes, 1890 ; Mobilier scolaire. Matériel d’enseignement. Catalogues. Recueil, 1892. Ces catalogues affichent des modèles similaires ou proches du mobilier utilisé dans les écoles élémentaires du Pará.

Le choix d’analyser les modèles présentés dans les catalogues français de la maison Delagrave se justifie, car des documents officiels de l’enseignement élémentaire dans l’État du Pará font mention de cette marque comme fournisseuse de mobilier et de matériels scolaires pour l’État.

Parmi les catalogues où figurent des modèles de mobilier américain, un exemplaire date d’une période antérieure au champ de cette recherche. Cependant, le mobilier circulant dans les écoles élémentaires du Pará ressemblait également aux modèles des écoles américaines. Ce mobilier est longtemps resté en usage dans les institutions de cet État. Les catalogues ci-après mettent en avant des modèles de mobilier américain : Catálogo descritivo e ilustrado de móveis escolares, aparelhos, globos, mapas, gráficos, quadros negros, instrumentos matemáticos, etc., 1870 ; Requisitos higiênicos de mobiliário escolar, 1892 ; Catálogo descritivo de móveis e suprimentos escolares, 1889 ; Catálogo ilustrado de material de jardim de infância, ajudas primárias, mapas, globos e gráficos, móveis escolares e quadros-negros, 1895.

Les sous-sections suivantes présentent des images des différents types et modèles de mobilier français et américain. Nous les confrontons au mobilier relevé dans les documents de l’enseignement élémentaire du Pará et proposé par les règlements.

Tables-pupitres / tables-bancs pour les élèves

Alcântara (2014) signale la rivalité entre les fabricants de bureaux d’écolier. La croissance du commerce international de mobilier scolaire, à partir de 1867, avec la domination du marché américain, met en évidence le besoin de perfectionner les modèles, d’où l’augmentation de cette concurrence en 1873, en termes non seulement de modèles et de concepts de bureaux, mais aussi de clients, plus exigeants et sélectifs dans leur choix des propositions les plus adaptées à leurs demandes.

La France participe expressément à ce contexte concurrentiel. Forte de son expérience et de ses différents modèles, elle présente aux expositions une pléthore de propositions. Sa domination est réelle et l’un de ses modèles, extrêmement apprécié, est récompensé par un diplôme de mérite lors de l’exposition de 1873 (Figure 3).

Figure 3
Modèle des écoles de Paris.

Outre les modèles français, ceux des fabricants américains ont également joui d’une ample visibilité et commercialisation, et se singularisent par leur élégance et leur praticité. Les élégantes tables-pupitres de Boston avec leurs chaises et leur piètement en fonte (Figure 4) ont également reçu le diplôme de mérite, décerné au mobilier des écoles supérieures et de l’École normale de Boston.

Figure 4
Table-pupitre avec chaise, modèle américain de Boston (système Ross).

D’après Alcântara (2014), qui mentionne le catalogue Illustrated catalogue of Ross’Impoved Scoll, church and vestry Fortunite, de 1872, « [...] dès l’ouverture du catalogue, Joseph L. Ross, le mentor des tables-pupitres de Boston, s’adresse aux responsables des écoles et expose son intention d’améliorer le mobilier » (Alcântara, 2014, p. 94-95). La qualité, la durabilité et l’adéquation du mobilier à l’âge des élèves ainsi qu’à la structure scolaire sont mises en avant. Ces caractéristiques s’ajoutent au style et à la finition, des aspects fondamentaux pour atteindre la perfection. La combinaison du bois et de la fonte assurait la solidité et la durabilité du meuble et supposait le travail d’une main-d’œuvre qualifiée et expérimentée, des machines modernes et l’emploi de matériaux de qualité.

L’État du Pará, aligné sur les modèles en circulation et sur les expectatives de modernisation de l’école élémentaire, a idéalisé la constitution de l’espace scolaire en s’inspirant de ces objets de désir diffusés par les catalogues. Cependant, malgré les demandes formulées et les réquisits minimaux pour l’acquisition du meilleur mobilier, des inquiétudes ont été exprimées quant à l’adéquation des modèles à la réalité de la région et aux espaces dédiés au fonctionnement des écoles. Ces inquiétudes apparaissent, par exemple, dans le passage suivant :

Le mobilier scolaire idéal est indéniablement le mobilier américain, dont les différents modèles sont déjà reconnus dans cet État. Ce mobilier présente toutefois un inconvénient majeur pour nous. Étant donné que son piètement est en fonte, il est excessivement fragile et requiert, pour remédier à cet inconvénient, d’être vissé au sol, ce qui n’est pas toujours possible.

De surcroît, en dépit du soin apporté à l’emballage, le mobilier qui nous est livré est souvent en mauvais état. Il est envoyé vers l’arrière-pays déjà monté et dans de mauvaises conditions de transport. Je calcule à plus de 20 % le préjudice causé par les avaries si nous devions importer ce mobilier.

Comme nous n’avons pas de maisons d’école appropriées, les tables-bancs américaines sont rarement fixées au sol.

Les déménagements constants des maisons d’écoles ajoutent encore à cette instabilité si fatale au mobilier américain, qui est spécialement construit pour être fixé en permanence au sol et qui se révèle excessivement fragile lorsqu’il ne l’est pas (A Instrução Pública..., 1891, p. 86).

Ce passage met en évidence les innombrables adversités ainsi que la frustration des dirigeants officiels de l’instruction publique de l’État. Les tentatives de suivre les normes des propositions universelles pour doter les institutions du mobilier le plus moderne révèlent la précarité et l’inadéquation des espaces où fonctionnaient les écoles. En raison de l’absence de structure locale, la qualité du mobilier américain est discutée. Ce mobilier est tantôt perçu et défendu comme le plus parfait, tantôt cité comme fragile et excessivement cassant.

L’absence, dans l’arrière-pays, de maisons d’école appropriées à l’usage correct de ce mobilier figure parmi les inconvénients les plus graves. La plupart des écoles fonctionnaient en effet dans des locaux improvisés. Le sol des classes, en terre battue, n’autorisait aucunement l’installation des tables-bancs dont le piètement en fonte devait être fixé au sol. De surcroît, les déménagements constants des maisons d’école détérioraient le mobilier.

Le transport de ce mobilier vers les écoles les plus éloignées de la capitale constituait également un inconvénient majeur dans ce processus d’acquisition. Les pièces étaient en effet assemblées dans les ateliers de la capitale, avant d’être expédiées vers l’arrière-pays. Les frais de réparation dus aux avaries grevaient alors les caisses de l’État.

Figure 5
Modèle de mobilier pour les écoles élémentaires françaises (table-banc à deux places).

Figure 6
Salle de classe de l’école élémentaire de l’Institut do Prata - section féminine.

Le modèle français de tables-bancs à deux places a composé l’espace de la classe élémentaire de la section féminine de l’Institut do Prata. Le modèle exposé dans le catalogue (Figure 5) est entièrement fabriqué en bois et ressemble à celui présent sur la photo de la salle de classe de l’institution (Figure 6). Le catalogue français précise que ce modèle convient aux élèves des tranches d’âge suivantes : de 8 à 10 ans, de 10 à 12 ans et de 12 à 14 ans. Il comporte un siège souple et un pupitre, avec trois dimensions possibles en fonction de la tranche d’âge, ainsi qu’un piètement doté d’un appuie-pieds afin de favoriser une bonne posture des élèves.

Nous n’avons pas retrouvé les dimensions requises pour les tables dans les documents et les règlements de l’enseignement élémentaire au Pará, uniquement les types différenciés par tranche d’âge. Cette caractéristique ergonomique a été comparée selon les paramètres des dimensions présentées dans les catalogues.

La scène de classe présentée par la figure 6 montre des tables-bancs organisées en rangs successifs, des élèves regroupées, plusieurs hauteurs de table avec une disposition en ordre croissant, car la classe se compose d’enfants d’âge différent. Le sol de la salle de classe est en terre battue et se montre donc impropre à l’usage d’un mobilier doté d’un piètement fixé au sol. Face aux élèves se tient la figure du professeur : une religieuse. Elle configure la présence de l’Église dans les institutions d’enseignement élémentaire du Pará, un contrôle idéologique pour la construction de la morale, qui est non seulement surveillée et modelée par le religieux, mais aussi liée au champ politique.

L’image de la figure 7 (v. plus bas) présente deux salles de classe de l’école élémentaire, à l’Institut do Prata. Il s’agit cette fois de la section masculine, qui dispose de tables-bancs à une place. Les tables-bancs sont également alignées en rang afin de faciliter la surveillance et le maintien de la discipline dans la classe. Ces deux classes de la section masculine de l’institut diffèrent néanmoins : l’une voit la présence d’une figure masculine comme instituteur alors que l’autre, une figure féminine, avec deux religieuses comme institutrices.

À l’évidence, les questions de genre font l’objet d’une attention particulière. Tout d’abord, les classes de la section masculine sont organisées avec des tables-bancs à une place, afin de maintenir l’ordre et la morale, sous l’autorité d’une figure masculine. Ensuite, la présence de figures féminines comme enseignantes dans la section masculine nous conduit à réfléchir sur les traits d’une imposition établie par l’ordre en vigueur d’une activité ordinaire et traditionnelle. Elle rend compte d’une culture attachée à la praxis du quotidien et à ses représentations, liées à une esthétique qui s’est constituée dans les rapports de pouvoir.

Les tables-bancs des écoliers sont liées aux rapports de pouvoir établis dans la salle de classe entre les élèves et les professeurs, lesquels sont soumis au respect de normes qui ont modelé des comportements identiques. Foucault (1999Foucault, M. (1999). Vigiar e punir. Petrópolis, RJ: Vozes., p. 25) discute la compréhension de la place du corps dans la société : « [...] le corps est aussi directement plongé dans un champ politique ; les rapports de pouvoir opèrent sur lui une prise immédiate ; ils l’investissent, le marquent, le dressent, le supplicient, l’astreignent à des travaux, l’obligent à des cérémonies, exigent de lui des signes ».

Figure 7
Salles de classe de l’école élémentaire de l’Institut do Prata - section masculine.

Figure 8
Salle de classe de l’école élémentaire - Institut Orphelinat d’Outeiro - section masculine.

Pinheiro (2017Pinheiro, W. C. (2017). O Instituto Orfanológico do Outeiro: assistência, proteção e educação de meninos órfãos e desvalidos em Belém do Pará (1903-1913) (Tese de Doutorado). Instituto de Ciências da Educação, Universidade Federal do Pará, Belém.), dans son étude sur l’Institut Orphelinat d’Outeiro, s’intéresse à la disposition des tables-bancs à une place (Figure 8). Il souligne, dans cette configuration, que ce mobilier était individuellement attribué à chaque élève, afin de répondre aux questions de discipline et d’hygiène. Il s’agissait de placer commodément les élèves afin d’éviter les désordres, les distractions, la paresse, afin de prévenir les problèmes de posture et de vision ainsi que la transmission de maladies par contact physique. Pour ces raisons, le type de matériel et les dimensions du mobilier suivaient les recommandations des médecins hygiénistes.

Sur la base des normes qui déterminaient l’ornementation et l’ordonnancement des espaces des institutions, l’investissement dans les modèles de mobilier les plus évolués, en circulation dans les vitrines des expositions et des catalogues, a rapporté le raffinement et l’élégance des propositions américaines à l’enseignement élémentaire de l’État du Pará. Ces modèles ont composé la matérialité des écoles, qui ont été construites selon les prescriptions prévues dans les idéologies de progrès et de consommation de l’appareillage éducatif le plus moderne.

En dépit des plaintes relatives aux matériaux employés pour la fabrication du mobilier américain et à l’usage de ce mobilier dans les écoles du Pará, les tables dotées de piètement en fonte et qui devaient être fixées au sol ont fait leur entrée dans les salles de classe. Le modèle de Boston (Figure 9), primé durant l’exposition de 1870, et qui comprenait plusieurs dimensions selon la tranche d’âge des élèves, est comparable au modèle utilisé par les écoliers de l’Institut Lauro Sodré.

Figure 9
Modèle américain de table-pupitre et sa chaise (Boston).

Le modèle américain Chandler apparaît également comme l’une des propositions qui ont circulé et composé les classes élémentaires du Pará. Selon les études d’Alcântara (2014), sur l’origine du modèle de Boston, ce mobilier présente, dans sa description, les aspects suivants : « [...] type - table et chaise séparées ; nombre de places - 01 ; fixé au sol ; constitution - bois et fonte ; emplacement pour l’encrier ; casier de rangement ; pupitre amovible ; banc mobile ; avec dossier, mais sans appuie-pieds » (Alcântara, 2014, p. 186). La chaise et le pupitre étaient haussables ou abaissables pour s’ajuster à la taille des élèves.

Eu égard à la description et à la composition de ce modèle américain, les tables-pupitres représentées dans l’image de la figure 10 (v. plus bas) semblent similaires. En dépit de l’absence de données ou de traces de ce mobilier dans les documents analysés pour corroborer l’exactitude de la marque décrite antérieurement, il appert de cette image que l’enseignement élémentaire entendait suivre les normes les plus élevées en matière de style et de modernisation, avec l’usage d’un mobilier universel, qui est considéré comme fondamental par l’idéologie éducative républicaine.

Figure 10
Tables-pupitres dotées de piètement en fonte - Salle de classe de l’Institut Lauro Sodré.

La salle de classe de cet établissement d’enseignement, qui a été projeté et construit selon les critères du nouveau régime et des politiques d’embellissement de la ville, offre un espace ample, des fenêtres et des portes suffisamment hautes pour favoriser l’entrée de la lumière naturelle ainsi que la circulation de l’air. La clarté de la salle et la couleur blanche des murs confèrent à l’endroit une impression de propreté et d’hygiène. Enfin, la présence avantageuse d’un parquet permet de recevoir et de visser au sol ce type de mobilier scolaire.

D’après l’image photographique (Figure 10), il s’agit d’une classe de dessin. Les tables-pupitres sont plus larges afin de faciliter les travaux des élèves. Un autre aspect notable de cette classe est la différence d’âge des élèves. Les écoliers placés au fond de la classe paraissent plus jeunes que ceux figurant au premier plan. Cependant, leurs tables présentent les mêmes dimensions.

Figure 11
Salle de classe complémentaire à l’Institut Lauro Sodré - section masculine.

La composition de la photographie (Figure 11) de la salle de classe complémentaire, à l’Institut Lauro Sodré, met en valeur le modèle de la table-banc, également fabriquée en bois et dotée d’un piètement en fonte, fixé au sol. À l’instar de l’image précédente (Figure 10), l’organisation de la salle de classe témoigne du souci d’hygiène, de discipline et de contrôle. En outre, l’alignement en rangs successifs des tables-bancs à une place procure au maître une meilleure vue d’ensemble de sa classe.

Bureau du maître d’école et de l’administration scolaire

Le bureau du maître ou celui de la direction de l’école apparaissent fréquemment dans les catalogues (Figure 12). Une pléthore de modèles est proposée par les fabricants à leurs clients. Les exemplaires vont du plus simple, utilisé par l’instituteur en salle de classe, au plus sophistiqué, qui comporte des supports pour les tiroirs, les machines à écrire et qui répond aux besoins de l’administration scolaire.

Figure 12
Modèles de bureaux pour les instituteurs et la direction de l’école.

S’agissant du modèle français, les images des bureaux dans les catalogues s’accompagnent d’un texte descriptif des dimensions, longueur et largeur, ainsi que des matériaux utilisés pour la fabrication et la finition. Les catalogues américains indiquent également les dimensions des divers modèles présentés.

Les photos du mobilier en question, utilisé par les enseignants et par la direction de l’Institut Gentil Bittencourt, montrent que les normes de ce mobilier obéissaient aux modèles présentés par les catalogues des entreprises étrangères. Le bureau figure donc comme un composant matériel essentiel dans la constitution des espaces éducatifs, qui sont conçus comme des vitrines de la modernité du Pará républicain.

Tableau noir

Le tableau noir, pièce importante dans la composition de la classe, est devenu indispensable au développement de l’écriture. Comme l’analyse Barra (2001Barra, V. M. L. (2001). Da pedra ao pó: o itinerário da lousa na escola paulista no século XIX (Dissertação de Mestrado). Faculdade de Educação, Pontíficia Universidade Católica de São Paulo, São Paulo.), le tableau noir apparaît au tournant du XIXᵉ comme un instrument d’usage collectif, qui semble lié simultanément à l’enseignement de la lecture et de l’écriture. En ce sens, la configuration de la salle de classe en un espace plus moderne est corrélée à la diffusion de l’enseignement de la lecture et de l’écriture dans les classes les plus populaires.

Toujours selon Barra (2001Barra, V. M. L. (2001). Da pedra ao pó: o itinerário da lousa na escola paulista no século XIX (Dissertação de Mestrado). Faculdade de Educação, Pontíficia Universidade Católica de São Paulo, São Paulo.), l’insertion de cet élément dans le paysage scolaire est due non seulement aux politiques éducatives pour l’enseignement de masse, qui ont permis au plus grand nombre d’apprendre en même temps, mais aussi à des questions économiques, qui ont commencé à orienter le marché de la consommation.

L’expansion de l’enseignement ainsi que les réformes éducatives, qui ont également touché les idéaux en matière d’éducation dans l’État du Pará, ont stimulé la circulation et l’acquisition de nouveaux objets. Ce mouvement s’est intensifié avec les exigences posées par la diffusion de nouveaux savoirs et a influé sur les pratiques d’enseignement. Le tableau noir (Figure 13) compte parmi les éléments requis pour l’aménagement des salles de classe. Il apparaît fréquemment dans les demandes ainsi que dans les programmes d’enseignement de l’instruction élémentaire.

Figure 13
Modèles de tableaux noirs.

Considérations finales

La confrontation des images des catalogues avec celles du mobilier en usage dans l’enseignement élémentaire de l’État du Pará révèle que la circulation de ces modèles dans des institutions déterminées obéissait aux normes établies pour le modèle d’école idéal. Tel était principalement le cas des institutions conçues et construites avec des espaces appropriés à l’installation de ce mobilier, qui respectait les critères des modèles universels et modernes. Partant de ces constatations, il convient de s’intéresser aux stratégies imposées par les dirigeants de l’administration du Pará, eu égard à l’influence exercée par la circulation des catalogues, en tant que vitrines des savoirs universels, qui ont été déterminants pour la modernisation des systèmes éducatifs.

L’analyse des catalogues français et américains ainsi que la comparaison avec le mobilier en circulation dans les différentes institutions d’enseignement élémentaire de l’État du Pará met en évidence l’investissement du gouvernement pour l’équipement des écoles de la capitale. Les édifices, qualifiés de palais de l’éducation en raison de leur élégance, ont été dotés des éléments les plus modernes en vue de visibiliser l’État et de forger l’image d’une « vitrine du progrès ». Cette image d’élégance contraste toutefois avec les rapports des directeurs et des instituteurs des écoles et des groupes scolaires de l’arrière-pays, qui dénoncent « l’état de délabrement » du mobilier et du matériel prévus pour assurer un minimum de fonctionnement des classes et de l’enseignement, conformément aux dispositions et aux exigences du gouvernement.

Nombre d’écoles, parfois dans la capitale même, étaient aménagées dans des espaces improvisés et inappropriés au type de mobilier acquis à l’étranger. Les sols de terre battue, les salles de classe trop exiguës pour l’installation des tables-pupitres/tables-bancs, outre l’inobservance des préceptes d’hygiène, sont autant de facteurs qui ont conduit à récupérer et à réutiliser le mobilier en usage dans les écoles les plus nanties de la capitale. Ce mobilier, réformé par les ateliers de menuiserie, dont ceux de l’Institut Lauro Sodré, qui effectuaient des travaux de réparation, de vernissage et d’adaptation, était alors envoyé vers les écoles de l’arrière-pays.

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  • Rondes d'évaluation:

    R1: trois convocations; un avis reçu;
    R2: trois convocations; un avis reçu;
    R3: deux convocations; un avis reçu.
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Éditeur associé responsable:

José Gonçalves Gondra (UERJ)
E-mail: gondra.uerj@gmail.com
https://orcid.org/0000-0002-0669-1661

Publication Dates

  • Publication in this collection
    09 Feb 2024
  • Date of issue
    2024

History

  • Received
    30 Sept 2022
  • Accepted
    09 May 2023
  • Published
    15 Sept 2023
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