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Production et circulation de récits amérindiens, ghostwriting et langue fantôme* * Conférence à l´Université de Rennes 2 (2023), dans le cadre du projet CAPES - Print/UFF. Je remercie Mireille Garcia et Pauline Champagnat pour la version française.

Produção e circulação de narrativas ameríndias, ghostwriting e língua de fantasma

Production and Circulaton of Amerindian Narratives, Ghostwritting and Ghost Language

Résumé

Dans cet article, nous allons analyser deux récits attribués respectivement à Rigoberta Menchú et à Davi Kopenawa, qui ont pour caractéristiques communes de s'adresser à un public « blanc » (bien que ces auteurs soient amérindiens) et de décrire des éléments de la culture amérindienne, en présentant des faits historiques concernant la rencontre entre la culture amérindienne et la culture générale de leurs pays respectifs (Guatemala et Brésil). Ces récits, faits dans une perspective indigène, sont publiés, initialement, dans d'autres langues que celles de leurs auteurs amérindiens. De plus, ils sont organisés et structurés par des personnes liées à la culture française, selon des perspectives disciplinaires « occidentales ». Toutes ces caractéristiques des récits analysés soulèvent les rôles des auteurs.

Mots-clefs:
Récits amérindiens; Davi Kopenawa; Rigoberta Menchu

Resumo

Neste artigo vamos analisar duas narrativas, a de Rigoberta Menchú e de Davi Kopenawa, que possuem algumas características comuns, como serem dirigidas a um público “branco” (embora estes autores sejam ameríndios) e descreverem elementos da cultura ameríndia. Vamos também apresentar fatos históricos referentes ao encontro da cultura ameríndia com a cultura abrangente de seus respectivos países (Guatemala e Brasil), partindo de uma perspectiva indígena. As narrativas foram originalmente publicadas em línguas diferentes daquelas de seus autores ameríndios, além de serem organizadas e estruturadas por pessoas ligadas à cultura francesa, a partir de perspectivas disciplinares “ocidentais”. Todas estas características das narrativas analisadas geram muitas questões que dizem respeito aos papeis dos autores.

Palavras-chave:
narrativas ameríndias; Davi Kopenawa; Rigoberta Menchu

Abstract

In this article, we will analyse two narratives of Rigoberta Menchú and of Davi Kopenawa, which have some characteristics in common, such as being targeted to a “white” public (even though these are Amerindians authors) and describing elements of the Amerindian culture. We will also present historical facts, from an indigenous point of view, regarding the convergence between the Amerindian and the general culture of their respective countries (Guatemala and Brazil). The narratives were originally published in foreign languages, instead of those of their Amerindian authors, and were organized and structured by people connected to the French culture and their “occidental” disciplinaries perspectives. All these narrative characteristics analyzed raise a lot of questions regarding the role of the authors.

Keywords:
Ameridian narratives; Davi Kopenawa; Rigoberta Menchu

Les récits attribués à des auteurs amérindiens génèrent de nombreuses interrogations. Devrions-nous appeler mythes des récits d’origine, transmis oralement par des communautés amérindiennes, ou bien est-ce que cette désignation subalterniserait ces récits, par rapport aux récits d’origine occidentaux, que l’on ne considère pas comme des mythes, mais plutôt métaphysiques ou ontologies? Comment analyser les récits à teneur autobiographique, mais également communautaire, attribués à des auteur(e)s amérindien(ne)s, qui sont élaborés / organisés / structurés par l’intermédiaire d’agents « blancs » ? Comment analyser les récits d´ auteur(e)s amérindiens en ce qui concerne sa référence aux communautés auxquelles ces auteur(e)s déclarent appartenir, et dont leur supposée appartenance légitimerait la place de leur parole?

Pour ce qui est du premier questionnement, nous savons qu’il y a actuellement un mouvement en faveur de considérer de manière positive les façons de voir et de connaître le monde au-delà de la dénommée « tradition occidentale », comme les épistémologies du Sud (Boaventura de Sousa Santos). Il y a quelques décennies, il n’était pas acceptable de caractériser de métaphysique les fondements de la vie de peuples de la forêt du Brésil, comme l’a fait Eduardo Viveiros de Castro. Le fait qu’il ait utilisé le terme métaphysique pour désigner une conception amérindienne du monde, évitant soigneusement des termes plus « traditionnels » du domaine de l’Anthropologie et des Sciences Humaines, comme le terme mythe, est très révélateur. Viveiros de Castro attire notre attention sur le fait que, virtuellement, tous les peuples du Nouveau Monde partagent une notion du monde comme étant une multiplicité de points de vue, où chaque élément (pas seulement les êtres humains, mais également les animaux, les pierres, les fleuves, les arbres, etc.) aurait une « âme », selon ses caractéristiques respectives et ses pouvoirs. Pour cet anthropologue, cela ne correspondrait pas au relativisme présent en Occident, comme on le trouve par exemple dans l’idée du multiculturalisme, parce que, dans ce type de relativisme occidental, on ne tient compte que des humains1 1 Cf. Viveiros de Castro (2015, p. 42): “Como diversos etnógrafos já o haviam notado, mas quase todos muito de passagem, numerosos povos (talvez todos) do Novo Mundo compartilham de uma concepção segundo a qual o mundo é composto por uma multiplicidade de pontos de vista: todos os existentes são centros potenciais de intencionalidade, que apreendem os demais existentes segundo suas próprias e respectivas características ou potências. Os pressupostos e consequências dessa ideia são irredutíveis ao conceito corrente de relativismo que eles parecem, à primeira vista, evocar. (…) Tal resistência do perspectivismo ameríndio aos termos de nossos debates epistemológicos ameaça seriamente a transportabilidade das partições ontológicas que os alimentam.” .

Ailton Krenak (2019, p. 11KRENAK, Ailton. Ideias para adiar o fim do mundo. São Paulo: Cia. das Letras, 2019.) a déjà affirmé que la colonisation blanche européenne partait du principe qu’il existait une « humanité éclairée », qui se devait d’éclairer « l’humanité obscure ». Selon lui, il n’existerait pas une seule et unique humanité homogène, parce que les populations amérindiennes seraient fondées sur des principes différents de ceux de « l’humanité éclairée ». Avant lui, Davi Kopenawa qualifia cette même humanité de « peuple de la marchandise », pour critiquer sa manière de considérer tous les éléments de la nature (arbres, montagnes, poissons, animaux, fleuves etc.) comme des « recours », c’est-à-dire comme des sources potentielles d’exploitation commerciale, par le biais de l’exploitation minière, du bois et du minerai etc. L’objectification en « marchandises » d’entités qui la cosmologie indigène considère qu’elles possèdent une âme ainsi qu’un point de vue propre, serait inacceptable pour Kopenawa. Pour amener un autre exemple de cette « âme », Ailton Krenak évoque un cas ayant eu lieu aux États-Unis, au XIXème siècle, avec un chercheur qui s’est rendu sur le territoire de la tribu Hopi, pour parler avec une doyenne :

Lorsqu´il est allé la trouver, elle se tenait debout près d´un rocher. Le chercheur a attendu, puis il a dit : « Elle ne va pas parler avec moi, n´est-ce pas ? » Ce à quoi son guide a répondu : « Elle est em train de parler à sa sœur ». « Mais c’est une pierre. » Alors son compagnon dit : « Quel est le problème ? » (Krenak, 2019, p. 19KRENAK, Ailton. Ideias para adiar o fim do mundo. São Paulo: Cia. das Letras, 2019.).2 2 Quando foi encontrá-la, ela estava parada perto de uma rocha. O pesquisador ficou esperando, até que falou: “Ela não vai conversar comigo, não?”. Ao que seu facilitador respondeu: “Ela está conversando com a irmã dela”. “Mas é uma pedra.” E o camarada disse: “Qual é o problema?”

Le thème de la « nature » pourrait donc être résumé de la manière suivante : tandis que les « blancs » voient tout comme des potentiels objets à vendre ou acheter, les amérindiens considèrent les fleuves, les pierres et les animaux comme des êtres dotés de capacités et de pouvoirs spécifiques, ayant une relation avec ces peuples originaires, raison pour laquelle ils ne pourraient pas se transformer en « marchandises ». Le problème réside dans le fait que « le peuple de la marchandise » (Kopenawa) ne peut concevoir ces êtres que comme des « objets », et veut se les approprier, pour les acheter ou les vendre.

En ce qui concerne notre deuxième questionnement (Comment traiter des récits à teneur autobiographique, mais également communautaire, attribués aux auteur(e)s amérindien(ne)s qui passent par l’intermédiaire, sont élaborés / organisés et structurés par des agents « blancs » ?), nous évoquerons brièvement deux récits attribués à Rigoberta Menchú et Davi Kopenawa. Les deux récits possèdent des caractéristiques communes: 1) ils s’adressent à un public non-indigène; 2) ils décrivent des éléments de la culture amérindienne; 3) ils présentent des faits historiques se référant à la rencontre de la culture amérindienne avec la culture globale, dans leurs pays respectifs, à partir d’une perspective indigène; 4) ils ont été publiés initialement dans des langues différentes de celles de leurs auteurs amérindiens - c’est-à-dire, ils sont passés par l’intermédiaire de la traduction ; 5) ils ont été organisés et structurés par des membres de la culture globale, liés à l’Anthropologie ou à l’Ethnologie (Elizabeth Burgos [ 1993, p. 15BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].] déclare que « les indiens ont également leurs correspondants Européens, parmi lesquels figurent surtout des anthropologues »3 3 ... los indios tienen también sus corresponsales europeos, entre los quales figuran sobre todo antropólogos. ).

Bien que le livre Me llamo Rigoberta Menchu y así me nació la conciencia ait reçu le prix Casa de las Américas dans la catégorie testimonio, nous ne voulons pas partir du principe qu’il lui appartienne, ou encore cataloguer La chute du ciel comme un témoignage. Néanmoins, nous reconnaissons, comme l’avait déjà dit Mary Louise Pratt (2001, p. 42PRATT, Mary Louise. Rigoberta Menchú and the Cultural Wars. In: ARIAS, Arturo (ed.) The Rigoberta Menchú Controversy. Minneapolis: The University of Minnesota Press , 2001. p. 29-48), qu’il s’agit d’une catégorie qui existe dans un état de permanente (et généralement féconde) contradiction. Bien que l’on puisse supposer que l’auteur d’un témoignage doive raconter son expérience individuelle, Pratt soutient la thèse selon laquelle cet auteur soit également défini en tant que membre d’un groupe vivant une transition historique importante, et qui souhaite l’exprimer - en ce qui concerne Rigoberta Menchú, cela voudrait dire narrer son expérience personnelle-collective pour un public occidental. Quelle serait, selon Pratt, la revendication des auteurs de testimonio?

L'affirmation serait que les coproducteurs de testimonio se trouvent dans un processus de transculturation, dans lequel ils cherchent à aligner les concepts occidentaux de la vie, de l'expérience, de la subjectivité et de la personne avec le répertoire expérientiel et verbal du sujet non-occidental ou subalterne. Ce qui unit les deux, c'est un engagement éthique dans le projet de communiquer la réalité individuelle et collective du subalterne à des publics métropolitains qui n'en ont pas conscience, dans un discours que ces publics pourront déchiffrer et auquel ils s’identifieront. (Pratt, 2001, p. 42-43PRATT, Mary Louise. Rigoberta Menchú and the Cultural Wars. In: ARIAS, Arturo (ed.) The Rigoberta Menchú Controversy. Minneapolis: The University of Minnesota Press , 2001. p. 29-48).4 4 The claim is that the coproducers of testimonio locate themselves in a process of transculturation in which they seek to align Western concepts of life, experience, subjectivity, and the person with the experiential and verbal repertory of the non-Western or subaltern subject. What binds the two together is an ethical commitment to the project of communicating the subaltern´s individual and collective reality to metropolitan audiences who are ignorant of it, in a discourse these audiences can decipher and with which they will identify.

Nous ne devons pas attendre des deux récits ici en question une verbalisation autobiographique d’une vie, validée par des critères historiographiques qui certifieraient si les évènements narrés ont réellement eu lieu. Fruit de la polémique autour de la “véracité” de parties du récit de Menchú, la Fondation Rigoberta Menchú Tum s’est défendue en expliquant que son testimonio ne serait en rien similaire à um témoignage judiciaire, dans lequel le témoin atteste la véracité d’un fait dont il aurait été le témoin oculaire :

Le témoignage de Rigoberta Menchú a la valeur de représenter non seulement l’histoire d'une témouine, mais plutôt l’expérience personnelle d’une protagoniste et l'interprétation de ce que ses propres yeux ont vu et pleuré, de ce que ses propres oreilles ont entendu et de ce qui on leur a dit. Aucun témoignage ne peut être considéré comme un reportage journalistique, ni comme une description neutre de la réalité d'autrui. Le témoignage de Rigoberta Menchú a le parti pris et le courage d'une victime qui, en plus de ce qu'elle a personnellement subi, avait le droit d'assumer comme son histoire personnelle les atrocités que son peuple a vécues. (The Rigoberta Menchú Tum Foundation, 2001, p. 104THE RIGOBERTA MENCHÚ TUM FOUNDATION. Rigoberta Menchú Tum: The truth that challenges the future. In: ARIAS, Arturo (ed.). The Rigoberta Menchú Controversy. Minneapolis: The University of Minnesota Press , 2001. p. 103-106.).5 5 The testimony of Rigoberta Menchú has the value of representing not just the story of a witness, but rather the personal experience of a protagonist and the interpretation of that which her own eyes saw and wept over, that which her own ears heard, and that which they were told. No testimony can be viewed as journalistic reporting, nor as a neutral description of the reality of others. The testimony of Rigoberta Menchú has the bias and the courage of a victim who, in addition to what she personally suffered, had the right to assume as her own personal story the atrocities that her people lived through.

En effet, les deux livres intègrent des mémoires collectives et individuelles, créant une sorte de construction actualisée d’un passé où se croisent des souvenirs “personnels” et l’héritage de significations transmises oralement, en plus de choses qui ne sont pas présentes ou n’existent plus.

Si la mémoire collective structurée en Occident en tant qu’Histoire se base sur des archives, des pièces justificatives, des restes et des traces matérielles, cette structuration du passé ne fait pas partie des modes originaux de circulation, d’appropriation et d’utilisation du passé dans les cultures orales amérindiennes. Il est important de rappeler que, d’une manière générale, ce qui a été sélectionné pour figurer dans l’archive historique occidental tend à exclure la mémoire indigène.

Examinons maintenant les deux récits.

La chute du ciel

Bruce Albert déclare dans son introduction a La chute du Ciel qu’il a enregistré, transcrit et traduit en français les histoires et réflexions de Davi Kopenawa, lesquelles, selon lui, relataient avec une intensité poétique et dramatique, augmentée de perspicacité et d’humour, la confrontation historique entre les amérindiens et les marges de notre « civilisation ».

Albert décrit son expérience parmi les yanomamis comme l’aventure personnelle de sa vie, et s’auto-définit comme un observateur engagé, en précisant bien qu’il ne considère pas que cet engagement soit incompatible avec l’analyse anthropologique, sans préciser néanmoins comment cela pourrait se produire, bien qu’il affirme être lié à Kopenawa par une longue histoire d’amitié et de luttes partagées. En ce qui concerne sa capacité à traduire, il affirme que, pendant sa cohabitation, il a acquis une connaissance raisonnable de la langue yanomami parlée dans la région où Kopenawa est né et vit. Sa description du livre est également pertinente:

Ce livre n´en constitue par pour autant une ethnobiographie classique. Il ne s´agit nullement, en effet, d´un récit de vie sollicité et reconstruit par un rédacteur fantôme, à partir de son propre projet documentaire, à la mode des classiques nord-américains du genre au début du siècle dernier. Ce n´est pas non plus une autobiographie ethnografique relevant d´un genre narratif traditionnel, transcrite et traduite par un antropologue tenant lieu de simple secrétaire. Les registres du témoignage de Davi Kopenawa excèdent de beaucoup les canons autobiographiques (les nôtres ou ces des yanomani). Le récit des épisodes cruciaux de sa vie entremêlent indissociablement histoire personelle et destin collectif. Il s´exprime à travers une complexe imbrication de genres : mythes et récits de rêve, visions et prophéties chamaniques, discours raportés et exortations, autoethnographie et anthropologie comparative. Par ailleurs, ce livre est issu d´un projet de collaboration situé a l´intersection, imprévue et fragile, de deux univers culturels. (Kopenawa; Albert, 2010, p. 29)

Selon Albert, ce livre est le fruit de la volonté de Davi Kopenawa de toucher un public dans la société globale, afin de dénoncer les menaces à la survie de son peuple, connectant ces menaces et questions écologiques plus amples qui se réfèrent à la destruction des forêts par ses propres modes d’appropriation, utilisés par le « peuple de la marchandise ».

En effet, en plus de constituer um incroyable effort d’auto-objectification, comme le dit Albert, le livre parle également de l’histoire et des fondements de la vie du peuple yanomami, ce qui inclut aussi la rencontre culturelle avec le « peuple de la marchandise », pour comparer et créer un contraste entre les façons de penser et d’agir des yanomamis et ceux de ce « peuple ».

Il s’agit d’un livre qui, bien qu’il puisse être légitime comme étant une authentique expression personnelle et autobiographique d’un chamane yanomami, est le fruit d’une sorte de transculturation entre les « occidentaux » et les yanomamis. L’existence même de ce livre paie un lourd tribut à l’anthropologue, si l’on en croit ses aspects constitutifs basiques : le choix de ce qui devrait être utilisé dans les sources enregistrées et retranscrites ; les critères d’inclusion et d’exclusion ; la transformation de la source initialement oralisée en « texte » ; la structuration du « texte » en chapitres portant des titres significatifs : la transposition en français de significations configurées dans la langue yanomami. Kopenawa parle avec et par le biais de Bruce Albert au « peuple de la marchandise », car Kopenawa souhaite qu’ils comprennent ce qu’il dit au nom des yanomamis : « Je voudrais aussi que leur fils et leurs filles comprennent nos paroles et qu´ils fassent amitiés avec les nôtres afin de ne pas grandir dans l´ignorance. Car si la forêt est entièrement dévastée, il n´en naîtra jamais d´autre. » (Kopenawa; Albert, 2010, p. 43KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel. Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.).

Les paroles de Kopenawa sont extrêmement critiques au sujet des effets négatifs du contact entre son peuple et la « civilisation », pointant du doigt une multitude de problèmes provoqués par ce contact: la perte des valeurs traditionnelles yanomami; l’internalisation de modes occidentaux problématiques de voir et d’agir par les jeunes générations; le surgissement d’orpailleurs, de « garimpeiros », de trafiquants de bois (« madeireiros ») , d’éleveurs de bétail et d’agriculteurs commerciaux sur les territoires indigènes, qui dévastent la forêt : la mortalité des maladies amenées par les « civilisés », entre autres. Bien qu’il ressente le manque d’un monde dans lequel les valeurs initiales de son peuple prédominent, il ne croit pas néanmoins qu’il soit possible de revenir au stade antérieur. C’est en effet une des raisons pour lesquelles il accepte de participer au projet pour écrire ce livre, dans la langue des « blancs », même si le monde de ses ancêtres yanomamis lui manque.

Nos anciens aimaient leurs propres paroles. Ils étaient vraiment heureux ainsi. Leur esprit n´était pas fixé ailleurs. Les propos des blancs ne s´était pas introduits parmi eux. Ils travaillent avec droiture et parlaient de ce qu´ils faisaient. Ils possédaient leurs propres pensées, tournées vers leurs proches. Ils ne se disaient pas sans cesse : « un avion va se poser demain ! Des visiteurs blancs vont arriver ! Je vais aller demander des machetes et des vêtements ! » (…) Aujourd´hui , tous ces discours sur les blancs font obstacles à nos pensées. La forêt a perdu son silence. Beaucoup trop de paroles nous viennent des villes. (Kopenawa; Albert, 2010, p. 278-279KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel. Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.).

Les anciens ne pensaient pas du tout à ces choses de Blancs. Aujourd´hui, nos yeux et nos oreilles se fixent trop souvent loin de la forêt, ailleurs que sur nos proches. Les paroles sur les Blancs font obstacle aux nôtres et les embrouillent de fumé. (…) Mais nous savons aussi que les paroles des Blancs ne pourraient vraiment disparaître de notre esprit que s´ils cessaient de se rapprocher de nous en détruisant la forêt. Tout serait alors silencieux comme autrefois et nous y serions de nouveau seuls. Notre esprit s´apaiserait et reviendrait aussi tranquille que celui de nos ancêtres au premier temps. Mais, sans doute, cela n´arrivera plus!) (Kopenawa; Albert, 2010, p. 280KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel. Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.).

La constitution linguistique représente um des aspects intéressants du livre. Comme nous l’avons déjà dit, il est le fruit de la traduction en français d’enregistrements faits en yanomami, par Bruce Albert. Comme nous connaissons déjà le cadre historique limpide expliquant comment les colons considéraient les langues amérindiennes comme inférieures ou déficitaires6 6 Cf. MARIANI, Bethania. A colonização linguística e outros escritos. New York : Peter Lang, 2019. , Kopenawa innove en nous présentant une vision amérindienne concernant la langue de l’autre. Voyons ce qu’il en est.

La langue des fantômes

Selon le récit de Kopenawa, Remori, l’ancêtre d’un bourdon, a donné aux « blancs » sa langue emmêlée, qui sort d’une gorge différente de celle des yanomamis :

Leur parler ne ressembe-t-il pas au vrombissement de ces bourdons ? Il a placé en eux une gorge différente de la nôtre. Remori vivait aux côtés d´Omama, en aval des rivières, là où elles deviennent très larges, bordées de vastes étendues de sable. C´est Omama qui, voulant redonner vie a l´écume des gens de Hayowari, l´a exhorté a insuffler une autre langue aux étrangers qu´il venait de créer. C´est pourquoi nos anciens ne comprennaient rien à ce que leur disaient les premiers Blancs qu´ils ont rencontrés. Leur parler inarticulé était pour eux vraiment effrayant à entendre ! Lorsque ceux-ci leur adressaient la parole, ils se contentaient de tendre l´oreille en pensant avec perplexité : « Que peuvent-t-ils bien vouloir dire ? Est-ce vraimente tout ce qu´ils sont capables de prononcer ? Qu´elle effrayante manière de parler ! Cette langue n´est-elle pas celle des spectres ? Non, ce doit être un autre parler, celui que Remori a donné aux étrangers ! ») (Kopenawa; Albert, 2010, p. 289-290KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel. Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.)

Il est intéressant de rappeler que ces attributions négatives à la langue de l’autre sont comparables aux attributions faites par les occidentaux sur les langues rencontrées dans les territoires colonisés. Et, comme je l’ai déjà démontré (Jobim, 2020JOBIM, José Luís. Literatura Comparada e Literatura Brasileira: circulações e representações. Rio de Janeiro; Boa Vista: Makunaima; Editora da Universidade Federal de Roraima, 2020.), la déqualification de la langue de l’autre par le colonisateur occidental est un phénomène qui se produit depuis plusieurs siècles. Ici, la nouveauté résiderait dans la déqualification d’une langue occidentale par un amérindien. Selon Kopenawa, initialement, les yanomamis ne comprenaient pas la langue de l’autre, mais essayèrent de l’imiter, en vain :

Ils avaient beau essayer de les imiter, cela ne donnait jamais rien de compréhensible ! Ils ne parvenaient qu´à proférer des paroles aussi laides que tordues ! Nos paroles d´habitants de la forêt sont bien différentes ! Ce sont celles qu´Omama nous a enseignées et les Blancs ne peuvent pas nous comprendre non plus. (Kopenawa; Albert, 2010, p. 290KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel. Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.).

Rappelons que le récit de Kopenawa expliquant les différences entre les langues prend une direction opposée à celui de la Tour de Babel. Comme nous le savons, le récit de la Tour de Babel (Genèse 11 : 1-9) élabore une explication pour nous éclairer sur les raisons pour lesquelles les êtres humains parlent des langues différentes : juste après le Déluge, les hommes auraient parlé une langue unique et migré vers l’Est, jusqu’à atteindre un lieu dans lequel ils décidèrent de construire une ville et une tour si haute qu’elle pourrait atteindre le ciel. Dieu aurait alors mélangé sa parole afin qu’ils ne puissent plus se comprendre. Dans la version yanomami, les entités Omama et Remori décidèrent que leurs créations humaines ne devraient pas parler la même langue :

Ils ont pensé que l´usage d´une seule langue provoquerait des conflits incessants entre eux, car les mauvaises paroles des uns pourraient être entendues sans obstacle par tous les autres. C´est pourquoi ils ont attribué d´autres modes de parler aux étrangers puis les ont séparées sur des terres différentes. Alors, tout en faisant éclore toutes ces langues en eux, ils leur dirent : « Vous n´entendrez pas les paroles des autres. Vous ne comprendrez que les vôtres et, de cette manière, vous ne vous querellerez qu´entre vous. Il en sera le même pour eux. » (Kopenawa; Albert, 2010, p. 290KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel. Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.).

Lorsqu’on compare la version de la Tour de Babel à celle des Remori/Omama, on peut émettre l’hypothèse selon laquelle la version biblique contient une certaine teneur punitive (Dieu va rendre impossible une intercompréhension qui se baserait sur l’usage d’une langue unique), alors que la version amérindienne possède un côté protecteur ou de contention de possibles conflits, qui surgiraient si tout le monde pouvait parler la même langue et comprendre les agressions verbales mutuelles.

L’incompréhension de la langue des « blancs » aurait un autre effet : les chamanes du passé ne pouvaient pas comprendre ce que disaient les esprits qui la parlaient, et ne pouvaient ainsi pas transmettre à leur tribu le sens de ce qu’ils écoutaient dans leurs transes chamaniques. C’est ce que Kopenawa peut faire, étant donné qu’il a appris la langue des « blancs ».

Avant de nous pencher sur l’analyse du livre de Menchú-Burgos, il est important de signaler que, au-delà de la présence de thématiques communes entre le projet du livre de Kopenawa-Albert et celui du livre de Menchú-Burgos, que nous avons déjà signalées au début de ce texte, nous pourrions dire que, bien que le deuxième livre se destine également à un public non-indigène et dérive des éléments de la culture amérindienne, il est possiblement moins enraciné dans sa supposée condition d´ être produit par un auteur autentiquement amerindien que celui de Kopenawa-Albert. Alors que celui-ci a été structuré à partir de la transcription d’enregistrements faits en langue yanomami, durant de nombreuses années, par un médiateur « blanc » ayant longuement cohabité avec un « auteur » indigène et son peuple, l’ayant ensuite traduit en français, ce n’est pas le cas du deuxième. C’est ce que nous analyserons par la suite.

Me llamo Rigoberta Menchú i así me nació la conciencia

Elizabeth Burgos a déclaré que sa rencontre avec l’ « auteure » indigène n’a eu lieu que début janvier 1982, lorsque Menchú séjourna chez elle, à Paris, pour faire l’enregistrement des sources qui seraient à l’origine du livre. Comme nous l’avons vu précédemment, la complicité entre Albert et Kopenawa est le fruit d’une relation de plusieurs années, ayant permis à Bruce Albert une connaissance plus extensive et intensive du contexte yanomami. Néanmoins, Burgos s’est seulement basée sur la courte période lors de laquelle elle fréquenta Menchú : « Je considère, cependant, que ce qui a rendu cette relation si privilégiée a été le fait de vivre pendant huit jours sous le même toit, cela a énormément contribué à notre rapprochement »”. (Burgos, 1993, p. 13BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)

Alors qu’Albert se définit lui-même comme un anthropologue engagé dans les problématiques yanomamis, Burgos se qualifie comme une ethnologue et cherche à justifier son ignorance autour du contexte socio-culturel dont est issue Menchú comme un avantage supposé pour l’élaboration du livre :

Je me dois avant tout d’alerter le lecteur : malgré ma formation d’ethnologue, je n’ai jamais étudié la culture maia-quiché et je n’ai jamais fait de travail de terrain au Guatemala. Ce manque de connaissance de la culture de Rigoberta, qui initialement m’avait semblé être un handicap, se révéla rapidement très positif. J’ai été contrainte d’adopter une posture d’élève. Rigoberta l’a tout de suite compris ; c’est pour cette raison que le récit des scènes de cérémonies et de rituels est si détaillé. C’est également pour cela que si nous nous étions rencontrées dans sa maison à El Quiché, la description du paysage n’aurait pas été aussi réaliste. (Burgos, 1993, p. 16BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)7 7 Pero ante todo debo hacer una advertencia al lector: si bien poseo una formación de etnóloga, jamás he estudiado la cultura maya-quiché, y no he trabajado nunca sobre el terreno en Guatemala. Esta falta de conocimiento de la cultura de Rigoberta, que al principio me parecía una desventaja, se reveló pronto como muy positiva. He tenido que adoptar la postura del alumno. Rigoberta lo comprendió en seguida; por ello el relato de las ceremonias y de los rituales es tan detallado. Del mismo modo, si nos hubiéramos encontrado en su casa, en El Quiché, la descripción del paisaje no hubiese sido tan realista.

Burgos entretient une certaine attitude à l’égard de Paris, qui n’est sans rappeler celle de Pascale Casanova, dans l’ouvrage La république mondiale des Lettres, dans la mesure où elle continue à travailler l’idée d’une certaine centralité de la capitale française : « (…) les mouvements indigènes devraient également être connus à Paris. Paris leur sert de caisse de résonance. Tout ce qui se fait à Paris a un impact mondial, ce qui inclut l’Amérique latine. » (Burgos, 1993, p. 15BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].; Traduction libre)8 8 los movimientos indigenistas necesitan también dar a conocer su lucha em París. París les sirve da caja de resonancia. Todo lo que se hace em París alcanza una repercusión mundial, incluida América Latina.

Dans les éditions françaises et espagnoles le livre présente Burgos sur la couverture comme en étant l’ « auteure ». Sur la couverture de la traduction anglaise, on note une mention « Edited and introduced by Elizabeth Burgos-Debray » (« Édité et présenté par Elizabeth Burgos-Debray »). Dans le prologue de la première édition, Burgos explique clairement son rôle de collectrice et organisatrice des sources fournies par Menchú, à commencer par le passage de l’oral à l’écrit, s’attribuant simultanément un rôle d’indigène, mais également d’instrument pour la transposition de l’oralité à l’écrit9 9 Situarme em el lugar que me correspondía: primero escuchando y dejando hablar a Rigoberta, y luego convirtiéndome en una especie de doble suyo, en el instrumento que operaria el paso de lo oral a lo escrito. (Burgos, 1993, p. 18) .

Si Bruce Albert a dû transcrire les cassettes en yanomami, pour ensuite les traduire en français, Burgos a enregistré les récits de Menchú en espagnol, ce qui a facilité sa tâche, éliminant l’étape de la traduction. Cependant, cela a amené d’autres problèmes, comme les capacités (avérées ou pas) de Rigoberta Menchú dans cette langue. Dans le prologue de la deuxième édition, parue après l’obtention du Prix Nobel de la Paix par Menchú, Burgos déclare que le livre : « prend à nouveau vie dans la langue dans laquelle il a été écrit et pensé. » (Burgos, 1993, p. 5BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)10 10 (…) recobra vida en la lengua en la que fue escrito y pensado. . Dans le prologue original, de 1982, Burgos dit que Menchú « s’est exprimée en espagnol, langue qu’elle maîtrise depuis seulement trois ans » (Burgos, 1993, p. 9BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)11 11 (…) se expresó en español, lengua que domina desde hace sólo tres años. , semant ainsi le doute chez le lecteur à propos des réelles capacités d’expression de l’indigène dans cette langue qui est la langue maternelle de l’ethnologue. Si on fait abstraction des problèmes que l’on pourrait noter au sujet de la langue, Burgos produit un discours affirmatif :

Les mots sont sa seule arme [à Menchú] : et c’est pour cette raison qu’elle décide d’apprendre l’espagnol, sortant ainsi du confinement linguistique dans lequel les amérindiens se sont volontairement engagés pour préserver leur culture.12 12 La palabra es su [de Menchú] única arma: por eso se decide a aprender español, saliendo así del enclaustramiento lingüístico en el que los indios se han parapetado voluntariamente para preservar su cultura.

Rigoberta a appris la langue de l’oppresseur pour la retourner contre lui-même. Pour elle, apprendre la langue espagnole possède le sens d’un acte, ans la mesure où un acte doit changer le cours de l’histoire, car il est le fruit d’une décision : l’espagnol, la langue qu’on leur a imposé autrefois par la force, est devenu pour elle un instrument de lutte : elle décide de parler pour dénoncer l’oppression vécue par son peuple depuis presque cinq siècles, afin que le sacrifice de sa communauté et de sa famille n’ait pas été vain. (Burgos, 1993, p. 9-10BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)13 13 Rigoberta aprendió la lengua del opresor para utilizarla contra él. Para ella, apoderarse del idioma español tiene el sentido de un acto, en la medida en que un acto debe cambiar el curso de la historia, al ser fruto de una decisión: el español, la lengua que antaño le imponían por la fuerza, se ha convertido para ella en un instrumento de lucha: Se decide a hablar para dar cuenta de la opresión que padece su pueblo desde hace casi cinco siglos, para que el sacrificio de su comunidad y de su familia no haya sido en vano.

Kopenawa considère que son témoignage est non seulement personnel, mais également collectif. Menchú suit la même ligne de pensée, en déclarant que, bien qu’il lui soit très pénible de se remémorer toute sa vie, qui inclut des moments de joie mais aussi de tristesse, décide tout de même de le faire, car son histoire va au-delà du récit individuel : « l’important est que je ne suis pas la seule […] Ma situation personnelle englobe également la réalité de tout un peuple » (Burgos, 1993, p. 21BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].). 14 14 (... lo importante es que no soy la única [...] Mi situación personal engloba toda la realidad de un pueblo). En effet, la situation de Menchú est bien différente de celle de Kopenawa, car dans son pays à elle la majorité de la population est indigène, et est donc plus éparpillée sur le territoire guatémaltèque que les yanomamis du Brésil, relégués dans une réserve qui les ségrégue et les place sous la menace permanente des envahisseurs.

En ce qui concerne la langue, Menchú est tout autant ambiguë. Elle accuse simultanément les “blancs” d’avoir installé une division là où régnait auparavant une unité, tout en affirmant qu’il existait déjà une division linguistique parmi les indigènes guatémaltèques :

Auparavant, nous n’étions pas séparés en communautés et encore moins en langues. Tout le monde se comprenait. De qui est-ce la faute ? Ce sont les blancs, ceux qui sont venus ici. 15 15 Antes no estábamos divididos em comunidades ni em lenguas. Nos entendíamos todos. ¿Y quién es el culpable? Los blancos son, los que vinieron aquí. (Burgos, 1993, p. 94).

Ce qui se produit au Guatemala c’est que la langue Quiché est dominante. Les langues principales sont le quiché, le cakchiquel et le mam. De ces trois langues-mères naissent toutes les variétés de langues existantes. Cependant, on ne peut pas dire que la même langue soit toujours parlée dans un groupe ethnique. Par exemple, les ixils sont quiché mais ne parlent pas le Quiché et leurs coutumes sont différentes de celles des quiché. Il s’agit donc d’une conjonction de groupes ethniques ou de langues et de coutumes et de cultures etc. C’est-à-dire que, ce n’est pas parce qu’il existe trois langues maternelles que nous nous comprenons tous. Nous ne nous comprenons pas. (Burgos, 1993, p. 169BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)16 16 Lo que pasa es que en Guatemala la lengua quiché domina mucho. Las principales lenguas son la quiché, la cakchiquel y la mam. De las tres madres desprenden todas las series de lenguas que existen. Sin embargo, no es que siempre en una etnia se hable la misma lengua. Por ejemplo, los ixiles, son quichés pero no hablan lo quiché y sus costumbres son diferentes a las del quiché. Entonces, es una conjunción de etnias u de lenguas y de costumbres y de culturas, etcétera. O sea, que existen tres lenguas madres no quiere decir que todos nos entendamos. No nos entendemos.

Pour conclure, il est important de souligner le fait que Menchú, même dans sa révolte contre le système oppresseur « blanc », représente une insertion dans ce système contre lequel mais aussi dans lequel elle s’insurge. Elle affirme vivre dans un monde sanguinaire, où elle peut mourir à tout moment, mais qu’elle continuera à participer à l’organisation des gens pour la lutte :

Comme nous devons nous défendre contre un ennemi, tout en défendant notre foi en tant que chrétiens, dans le processus révolutionnaire, et, en même temps, nous pensons que, après le triomphe, de grandes taches nous seront attribuées en tant que chrétiens dans le changement. (Burgos, 1993, p. 270BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].) 17 17 Porque tenemos que defendernos en contra de un enemigo, pero al mismo tiempo, defender nuestra fe como cristianos, en el proceso revolucionario y, al mismo tiempo estamos pensando que después del triunfo nos tocarán grandes tareas como cristianos en el cambio.

Le christianisme et le marxisme, inclus dans le testimonio de Menchú, ne font pas partie de la culture originelle amérindienne, et pourraient certainement être vus comme des éléments d’une transculturation opérée localement. Peut-être s’agit-il de la conjonction de groupes ethniques ou de langues et de coutumes et de cultures dont nous parle Menchú, que l’on pourrait concevoir à une échelle plus ample, de façon à pouvoir mieux appréhender ce qui est en jeu dans la circulation littéraire et culturelle, sur une planète où les destins de plusieurs populations humaines s’ont toujours et à chaque fois plus liés et interconnectés.

Le cas des populations autochtones des Amériques soulève aussi des questions intéressantes sur la vie en commun. Après la consolidation des États nationaux et de leurs appareils juridico-administratifs, l'attribution de territoires exclusifs aux groupes ethniques s'est généralisée, selon des règles variables et également modifiées, pour satisfaire des intérêts contextuels. Les éventuelles clauses d'exclusivité de permanence et d'usufruit dans les territoires amérindiens ont cependant été et continuent d'être bafouées sous les prétextes les plus variés. L'exemple récent de l'invasion des territoires Yanomami et Yekwana par des mineurs, encouragés par le gouvernement de l'ancien président Jair Bolsonaro, a eu des conséquences désastreuses, qui auraient été aggravées si cet homme politique d'extrême droite avait réussi à se maintenir au pouvoir. Là, il y a eu une conjonction d'actions gouvernementales directes et indirectes, qui expliquent pourquoi Bolsonaro a été qualifié de génocidaire dans la campagne présidentielle : l'inertie ou l'immobilisme des agents publics, qui devraient veiller au respect de la législation en vigueur ; une fausse campagne d'information, niant la déforestation, la pollution des rivières, la situation vulnérable de la population amérindienne ; le refus des actions d'enlèvement d'une population de mineurs illégaux, en nombre correspondant presque à l'ensemble de la population indigène, mais avec une logistique qui comprenait le transport par avion, la présence d'engins lourds, d'armes et de fournitures nécessaires à l'alimentation et au maintien des activités prédatrices, etc.

On voit que, dans le cas des Yanomami, ils ont déjà un territoire exclusif. D'une certaine manière, le livre de Kopenawa-Albert indiquait déjà ce qui est en jeu aujourd'hui, d'une manière encore plus dramatique qu'au moment de la publication du volume. Kopenawa prétend avoir sur « son » territoire le droit d'être titulaire du pouvoir d'établir qui, et sous quelles conditions, peut y circuler ou y vivre, et ce qui peut ou non s'y faire - il interdirait certainement l'entrée de prospecteurs, la destruction de la forêt ou la pollution et la contamination des rivières par le mercure. Cependant, le pouvoir de coercition est exclusif à l'État, ce qui disqualifie l'aspiration indigène à être maître de "leur" territoire - la police ou l'armée, qui ne sont pas sous le contrôle des Yanomami, ont le pouvoir légal d'enlever la réserve qui ne devrait pas être là. En fait, la délimitation même de ce qui serait « leur » territoire a été élaborée dans un système politico-juridique-institutionnel qui ne faisait pas partie du monde des peuples originaires. Ainsi, l'aspiration même à être maître de « leur » territoire rend déjà hommage à une situation dans laquelle la maîtrise est en quelque sorte accordée, dans une circonstance déjà dérivée de la coexistence entre les Yanomami et la société au sens large. Les conditions de concession sont inscrites dans la loi des « blancs ». En d'autres termes, les « blancs » ne se situent pas dans une extériorité territoriale, située en dehors du territoire yanomami, mais sont présents dans la structure même de ce territoire, selon des règles qui ont été élaborées dans l'appareil juridique (« blanc ») de la juridiction nationale.

Références

  • ARIAS, Arturo (ed.) The Rigoberta Menchú Controversy Minneapolis: The University of Minnesota Press, 2001.
  • BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].
  • BURGOS, Elizabeth (ed.) Moi, Rigoberta Menchú, une vie et une voix, la revolution en Guatemala Paris: Gallimard, 1983.
  • BURGOS, Elizabeth (ed.) I… Rigoberta Menchú. An Indian Woman in Guatemala Translated by Ann Wright. London : Verso, 1984.
  • JOBIM, José Luís. Literatura Comparada e Literatura Brasileira: circulações e representações. Rio de Janeiro; Boa Vista: Makunaima; Editora da Universidade Federal de Roraima, 2020.
  • KRENAK, Ailton. Ideias para adiar o fim do mundo São Paulo: Cia. das Letras, 2019.
  • KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. La chute du ciel Paroles d´un chaman yanomani. Paris: Terre Humaine, 2010.
  • KOPENAWA, Davi; ALBERT, Bruce. A queda do céu: Palavras de um xamã yanomami. Tradução de Beatriz Perrone-Moisés. São Paulo: Cia. das Letras , 2019. [e-book Kindle] .
  • PRATT, Mary Louise. Rigoberta Menchú and the Cultural Wars. In: ARIAS, Arturo (ed.) The Rigoberta Menchú Controversy Minneapolis: The University of Minnesota Press , 2001. p. 29-48
  • THE RIGOBERTA MENCHÚ TUM FOUNDATION. Rigoberta Menchú Tum: The truth that challenges the future. In: ARIAS, Arturo (ed.). The Rigoberta Menchú Controversy Minneapolis: The University of Minnesota Press , 2001. p. 103-106.
  • VIVEIROS DE CASTRO, Eduardo . Metafísicas canibais São Paulo: Cosac Naify, 2015.
  • *
    Conférence à l´Université de Rennes 2 (2023), dans le cadre du projet CAPES - Print/UFF. Je remercie Mireille Garcia et Pauline Champagnat pour la version française.
  • 1
    Cf. Viveiros de Castro (2015, p. 42VIVEIROS DE CASTRO, Eduardo . Metafísicas canibais. São Paulo: Cosac Naify, 2015. ): “Como diversos etnógrafos já o haviam notado, mas quase todos muito de passagem, numerosos povos (talvez todos) do Novo Mundo compartilham de uma concepção segundo a qual o mundo é composto por uma multiplicidade de pontos de vista: todos os existentes são centros potenciais de intencionalidade, que apreendem os demais existentes segundo suas próprias e respectivas características ou potências. Os pressupostos e consequências dessa ideia são irredutíveis ao conceito corrente de relativismo que eles parecem, à primeira vista, evocar. (…) Tal resistência do perspectivismo ameríndio aos termos de nossos debates epistemológicos ameaça seriamente a transportabilidade das partições ontológicas que os alimentam.”
  • 2
    Quando foi encontrá-la, ela estava parada perto de uma rocha. O pesquisador ficou esperando, até que falou: “Ela não vai conversar comigo, não?”. Ao que seu facilitador respondeu: “Ela está conversando com a irmã dela”. “Mas é uma pedra.” E o camarada disse: “Qual é o problema?”
  • 3
    ... los indios tienen también sus corresponsales europeos, entre los quales figuran sobre todo antropólogos.
  • 4
    The claim is that the coproducers of testimonio locate themselves in a process of transculturation in which they seek to align Western concepts of life, experience, subjectivity, and the person with the experiential and verbal repertory of the non-Western or subaltern subject. What binds the two together is an ethical commitment to the project of communicating the subaltern´s individual and collective reality to metropolitan audiences who are ignorant of it, in a discourse these audiences can decipher and with which they will identify.
  • 5
    The testimony of Rigoberta Menchú has the value of representing not just the story of a witness, but rather the personal experience of a protagonist and the interpretation of that which her own eyes saw and wept over, that which her own ears heard, and that which they were told. No testimony can be viewed as journalistic reporting, nor as a neutral description of the reality of others. The testimony of Rigoberta Menchú has the bias and the courage of a victim who, in addition to what she personally suffered, had the right to assume as her own personal story the atrocities that her people lived through.
  • 6
    Cf. MARIANI, Bethania. A colonização linguística e outros escritos. New York : Peter Lang, 2019.
  • 7
    Pero ante todo debo hacer una advertencia al lector: si bien poseo una formación de etnóloga, jamás he estudiado la cultura maya-quiché, y no he trabajado nunca sobre el terreno en Guatemala. Esta falta de conocimiento de la cultura de Rigoberta, que al principio me parecía una desventaja, se reveló pronto como muy positiva. He tenido que adoptar la postura del alumno. Rigoberta lo comprendió en seguida; por ello el relato de las ceremonias y de los rituales es tan detallado. Del mismo modo, si nos hubiéramos encontrado en su casa, en El Quiché, la descripción del paisaje no hubiese sido tan realista.
  • 8
    los movimientos indigenistas necesitan también dar a conocer su lucha em París. París les sirve da caja de resonancia. Todo lo que se hace em París alcanza una repercusión mundial, incluida América Latina.
  • 9
    Situarme em el lugar que me correspondía: primero escuchando y dejando hablar a Rigoberta, y luego convirtiéndome en una especie de doble suyo, en el instrumento que operaria el paso de lo oral a lo escrito. (Burgos, 1993, p. 18BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].)
  • 10
    (…) recobra vida en la lengua en la que fue escrito y pensado.
  • 11
    (…) se expresó en español, lengua que domina desde hace sólo tres años.
  • 12
    La palabra es su [de Menchú] única arma: por eso se decide a aprender español, saliendo así del enclaustramiento lingüístico en el que los indios se han parapetado voluntariamente para preservar su cultura.
  • 13
    Rigoberta aprendió la lengua del opresor para utilizarla contra él. Para ella, apoderarse del idioma español tiene el sentido de un acto, en la medida en que un acto debe cambiar el curso de la historia, al ser fruto de una decisión: el español, la lengua que antaño le imponían por la fuerza, se ha convertido para ella en un instrumento de lucha: Se decide a hablar para dar cuenta de la opresión que padece su pueblo desde hace casi cinco siglos, para que el sacrificio de su comunidad y de su familia no haya sido en vano.
  • 14
    (... lo importante es que no soy la única [...] Mi situación personal engloba toda la realidad de un pueblo).
  • 15
    Antes no estábamos divididos em comunidades ni em lenguas. Nos entendíamos todos. ¿Y quién es el culpable? Los blancos son, los que vinieron aquí. (Burgos, 1993, p. 94BURGOS, Elizabeth (ed.) Me llamo Rigoberta Menchú y así me nació la conciencia. Barcelona: Seix Barral, 1993 [1983].).
  • 16
    Lo que pasa es que en Guatemala la lengua quiché domina mucho. Las principales lenguas son la quiché, la cakchiquel y la mam. De las tres madres desprenden todas las series de lenguas que existen. Sin embargo, no es que siempre en una etnia se hable la misma lengua. Por ejemplo, los ixiles, son quichés pero no hablan lo quiché y sus costumbres son diferentes a las del quiché. Entonces, es una conjunción de etnias u de lenguas y de costumbres y de culturas, etcétera. O sea, que existen tres lenguas madres no quiere decir que todos nos entendamos. No nos entendemos.
  • 17
    Porque tenemos que defendernos en contra de un enemigo, pero al mismo tiempo, defender nuestra fe como cristianos, en el proceso revolucionario y, al mismo tiempo estamos pensando que después del triunfo nos tocarán grandes tareas como cristianos en el cambio.

Edited by

Editor-chefe dos Estudos de Literatura: Silvio Renato Jorge

Publication Dates

  • Publication in this collection
    08 Apr 2024
  • Date of issue
    2024

History

  • Received
    22 Aug 2023
  • Accepted
    21 Feb 2024
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