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Neuropsychiatrie, neuropsychologie et neurolinguistique: L' inéluctable destin d'une rencontre historique

EDITORIAL* * Editorial a convite (Arq Neuropsiquiatr I996;54.1:176).

Neuropsychiatrie, neuropsychologie et neurolinguistique

L' inéluctable destin d'une rencontre historique

Yves Joanette** ** Ph.D., Professeur Titulaire, Faculte de médecine, Université de Montreal & Centre de recherche Centre hospitalier Côte-des-Neiges, Montreal (Quebec), Canada.

Lorsque le neuropsychiatre d'origine bourguignonne Théophile Alajouanine, le psychologue belge André Ombredane1 et la linguiste française Marguerite Durand ont, pour la premiere fois dans 1'historie, uni leurs efforts à propôs d'une manifestation de l'aphasie - le syndrome de désintegration phonétique (Alajouanine, Ombredane et Durand, 1939)2 -, ils ne se doutaient probablement pas qu'ils venaient ainsi de jeter les bases d'une approche interdisciplinaire qui constitue le passage oblige de quiconque souhaite élucider le mystère des rapports entre cerveau et comportements. Cette premiere union entre la neuropsychiatrie, la psychologie et la linguistique coincide avec une époque d'enthousiasme de la part des cliniciens et théoriciens du début du siècle pour l'aphasie, l'une des manifestations les plus éclatantes d'une lésion acquise à 1'encéphale. C'est en effet l'etude des troubles du langage faisant suite à une lésion acquise au cerveau, qui a permis les premieres descriptions systématiques et théoriquement fondées des troubles de la cognition (e.g., langage, mémoire, attention) pouvant découler des atteintes cérébrales.

Depuis, la neurologie et la psychiatrie font cavaliers seuls et suivent des chemins qui ne convergent pas toujours. La pychologie et la linguistique ont, quant à elles, évolué chacune de leur côté et ont donné naissance, respectivement à la neuropsychologic et à la neurolinguistique. La neurologie elle-même a introduit une sous-spécialité, celle de la neurologie du comportement, alors que le concept de neurosciences cognitives permet aux fondamentalistes du cerveau de participer à la recherche des fondements neurobiologiques de la cognition. Cet éclatement des domaines s'est opéré à partir de la grande diversité des outils conceptuels et théoriques de chacun des domaines-mères. Par exemple, 1'évolution importante de la neuropsychologic et en particulier de la neuropsychologic cognitive, s'est essentiellement faite indépendamment de 1'avancement des connaissances neurobiologiques. Ainsi, jusqu'a récemment, certains neuropsychologues cognitivistes défendaient 1'idée selon laquelle le seul objectif valable est de décrire les composantes fonctionnelles de la cognition et ce, indépendamment de toute reference precise au substrat neurobiologique qui la sous-tend. Pour les tenants de cette approche, 1'étude des troubles de la cognition chez les individus avec lésion cérébrale se limite à la localisation de la "lésion fonctionnelle" par reference à une architecture fonctionelle censée représenter le mode normal de fonctionnement pour une habileté cognitive donnée.

Par ailleurs, plusieurs des propositions actuelles de Ia neurologie du comportement se font, elles aussi, indépendamment des concepts dont la neuropsychologic cognitive et la neurolinguistique disposent pour décrire les différentes composantes fonctionnelles de la cognition. Par example, plusieurs travaux en neurologie du comportement font appel à des examens brefs de la cognition (e.g., MMMSE) qui, en dépit d'une certaine utilité clinique, n'ont pas été développés dans le but de permettre une appreciation de différentes composantes de la cognition (Bassett, 1992, communication personnelle). De tel examens brefs ne s'adressent qu'à certains aspects limites de la cognition, habituellement três biaisés en faveur de sous-composantes spécifiques du langage ou de la mémoire. On peut done se questionner sur la pertinence d'utiliser de tels examens brefs dans des études cliniques destinées à évaluer les effets possiblement bénéfiques de certaines molecules sur des maladies affectant la cognition (e.g., maladie d'Alzheimer), par example. En fait, ces examens brefs de la cognition sont tout aussi fragmentaires que le serait un examen bref des reflexes ostéotendineux, limite à quelques articulations, mais dont le but serait de permettre 1'appreciation du fonctionnement neuromusculaire sur l'ensemble du corps!

La multiplication des domaines susceptibles de contribuer à la comprehension des maladies du cerveau et de la cognition s'est done réalisée sur fond de divergence plutôt que de convergence. Chacun des ces domaines ne semble pas pleinement profíter des outils conceptuels et méthodologiques des autres. Toutefois, cet éclatement a probablement atteint aujourd'hui son apogée. En effet, si notre comprehension des liens mutueis entre cerveau et comportement devait progresser significativement à l'occasion du prochain tournant siècle, e'est probablement par le biais de demarches qui permettront un partage de connaissances entre ces domaines. La neurologie du comportement devra incorporer dans sa demarche les apports.de la neuropsychologie cognitive, de la neurolinguistique et des neurosciences cognitives tout autant que de Ia psychiatrie moderne. À l'inverse, le futur de la neuropsychologie cognitive passe nécessairement par une integration du savoir neurobiologique qui emane de la neurologie du comportement comme celui des neurosciences fondamentales. En fait, le succès qu'auront chacun de ces domaines à relever le défi qui les attend, procede de leur capacite à incorporer dans leur propre demarche les propositions et constatations des domaines connexes.

Les changements de strategic qui devront s'operer dans chacun des domaines qui pretend contribuer à la comprehension des liens mutueis entre cerveau et comportement sont comparables à ceux qui ont frappé de plein fouet l'homme de la renaissance. En effect, l'accroissement des connaissances et la multiplication des outils conceptuels et méthodologiques ont fait en sorte que les aspirations scientifiques universelles de l'homme de la renaissance n'ont pas su résister à 1'éclatement des domaines de la science. Le même phenomène frappe aujourd'hui les domaines de la science eux-mêmes. Ni la neuropsychiatrie, ni la neurologie ou la psychiatrie prises isolément, ne peuvent, à elles seules, prétendre pouvoir appréhender l'ensemble des connaissances nécessaires pour une telle entreprise. L'ampleur et l'incroyable complexité des affections de la cognition commandent une approche véritablement interdisciplinaire, non seulement pour la mise en evidence des connaissances elles-mêmes, mais également pour la prise en charge clinique de celles et ceux chez qui la maladie du cerveau affecte la cognition.

En somme, le XXe siècle aura été un moment de preparation privilegie pour chacun des domaines qui s'interessent aux relations entre cerveau et cognition. Le prochain siècle devra être celui de la mise en commun des expertises développées par chacun dans le creuset de 1'interdisciplinarité. Manifestement, une rencontre historique qui reste à venir...

Prof. Yves Joanette

Montreal, le 14 février 1996

1. Je remercie mon col legue et ami Prof. André Roch Lecours de me rappeler que André Ombredane a passe plusieurs années de sa vie (circum 1939-1946) au Brésil oú sa pensée a influence l'oeuvre du Prof. Antonio Branco Lefèvre qui, le premier, a pratique la neurologie du comportement avant la lettre.

2. Alajouanine Th, Ombredane A, Durand M. Le syndrome de désintégration phonétique dans l'aphasie. Paris: Masson, 1939.

Recebido: 15-fevereiro-1996.

Pr. Yves Joanette - Centre de recherche du Centre hospitalier Côte-des-Neiges - 4565, chemin de la Reine-Marie - Montreal (Quebec) H3W 1W5 Canada. FAX 1514 340 3548.

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    Editorial a convite (Arq Neuropsiquiatr I996;54.1:176).
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    Ph.D., Professeur Titulaire, Faculte de médecine, Université de Montreal & Centre de recherche Centre hospitalier Côte-des-Neiges, Montreal (Quebec), Canada.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      06 Dec 2010
    • Date of issue
      June 1996
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