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Le populisme comme modèle de “démocratie polarisée” : la théorie du populisme de Pierre Rosanvallon à l’aune du débat contemporain Traduit du Portugais par Diogo Cunha.

Résumé

L’objectif de cet article est d’examiner la contribution de Pierre Rosanvallon à la compréhension du populisme. Pour ce faire, nous adoptons deux approches : la première, internaliste, consiste à analyser Le Siècle du populisme et l’articuler à sa théorie des mutations de la démocratie contemporaine (2006-2015) ; la seconde consiste à confronter ce même livre avec des œuvres d’autres auteurs sur le sujet. Dans une première partie, nous analysons Le Siècle du populisme en privilégiant les deux aspects qui nous semblent les plus originaux: la typologie des « démocraties limites », ses formes de dégradation et sa critique du populisme. Dans la seconde partie, nous articulons ce travail à sa théorie des mutations contemporaines de la démocratie. Dans la troisième, nous examinons comment cet auteur pense le populisme en interaction avec la démocratie et en parallèle avec trois des principales lectures contemporaines sur le sujet : celle de Nadia Urbinati, dans le champ de la théorie démocratique, et celles d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, deux des principaux théoriciens du « populisme de gauche », objet de la critique de Rosanvallon. Nous concluons que ce qui différencie sa contribution à l’étude du populisme c’est la portée de sa théorie, qui est en mesure d’incorporer tensions et complexités, et qui offre une issue par rapport aux ambigüités théoriques des études précédentes sur le populisme.

Mots-clés
Pierre Rosanvallon; populisme; théorie politique contemporaine; Nadia Urbinati; Chantal Mouffe; Ernesto Laclau

Resumo

O objetivo deste artigo é examinar a contribuição de Pierre Rosanvallon para a compreensão do populismo. Para tanto, adotamos duas abordagens: a primeira, internalista, consiste numa análise rigorosa da obra Le Siècle du populisme (2020), assim como na articulação desta com sua teoria das mutações da democracia contemporânea (2006-2015); a segunda consiste no cotejamento de Le Siècle du populisme com obras de outros autores sobre o tema. O artigo está dividido em três segmentos. No primeiro, analisamos Le Siècle du populisme focando os dois aspectos que consideramos mais originais: a tipologia das “democracias-limite” e suas formas de degradação, e sua crítica ao populismo. No segundo, articulamos essa obra à sua teoria das mutações da democracia contemporânea. No terceiro, inserimos a obra de Rosanvallon no interior da bibliografia sobre o tema do populismo, explorando como o autor pensa o populismo em interação com a democracia e comparando-o com três das principais leituras contemporâneas sobre o tema: a de Nadia Urbinati, no campo da teoria democrática, e a de Ernesto Laclau e Chantal Mouffe, dois dos principais teóricos do “populismo de esquerda”, objeto da crítica de Rosanvallon. Concluímos que o que diferencia sua contribuição para a pesquisa sobre o populismo é o alcance de sua teoria, capaz de incorporar tensões e complexidades ao estudo da democracia, e que oferece uma saída para as ambiguidades teóricas das análises precedentes sobre o populismo.

Palavras-chave
Pierre Rosanvallon; populismo; teoria política contemporânea; Nadia Urbinati; Chantal Mouffe; Ernesto Laclau

Abstract

This paper examines Pierre Rosanvallon’s contribution to understanding populism by adopting two approaches: the first one is the internalist approach, comprising an analysis of his book Le Siècle du populisme (2020) and its comparison with his theory of changes in contemporary democracy (2006-2015). The second approach consists of comparing Le Siècle du populisme with the works of other authors on the subject. The paper is divided into three parts. First, we analyze Le Siècle du populisme, focusing on the two aspects that we consider the most original: the typology of “limit forms of democracy” and its ways of degradation and his critique of populism. In the second part, we contrast this work with his theory of changes in contemporary democracy. In the third part, we contextualize Rosanvallon’s work within the literature on populism, exploring the author’s idea of populism vis-à-vis democracy. We also compare his interpretation with three of the main contemporary works on the subject: that of Nadia Urbinati involving theory of democracy, and that of Ernesto Laclau and Chantal Mouffe, leading theorists of “leftist populism”, targets of Rosanvallon’s criticism. Then, we argue that what distinguishes his contribution to populism research is the scope of his theory, able to encompass tensions and complexities in the study of democracy and that offers a way out of the theoretical ambiguities of previous studies on populism.

Keywords
Pierre Rosanvallon; populism; contemporary political theory; Nadia Urbinati; Chantal Mouffe; Ernesto Laclau

Introduction

“Le populisme révolutionne la politique du XXIe siècle. Mais nous n’avons pas encore pris la juste mesure du bouleversement qu’il induit” (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 9). C’est par ces mots que Pierre Rosanvallon ouvre Le Siècle du populisme, son dernier travail, dans lequel il se charge de l’ambitieuse mission de développer une théorie du populisme. Partant du constat que les grandes idéologies de la modernité ont été associées à des œuvres fondatrices qui liaient l’analyse critique à des visions du futur, Rosanvallon annonce que son objectif est de permettre une « confrontation radicale » de sa théorie avec « l’idée populiste [...], l’idéologie ascendante du XXIe siècle » (p. 14).

L’objectif de cet article est d’examiner la théorie du populisme de Rosanvallon et, ce faisant, sa contribution à la compréhension de ce phénomène politique. Pour ce faire, il y a deux approches possibles. La première, que nous pouvons qualifier d’« internaliste », consiste en une analyse du Siècle du populisme. Cela est en soi pertinent, mais insuffisant. Cette approche doit être élargie par son articulation à la réflexion plus large de l’auteur sur la démocratie. Nous faisons référence ici aux nombreux volumes publiés sur le sujet au cours des trente dernières années, notamment la trilogie sur l’histoire intellectuelle de la démocratie (Rosanvallon, 1992ROSANVALLON, Pierre. Le sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France. Paris: Éditions Gallimard, 1992., 1998ROSANVALLON, Pierre. Le peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France. Paris: Éditions Gallimard, 1998., 2000BUTLER, Judith; LACLAU, Ernesto; ZIZEK, Slajov. Contingency, hegemony, universality: contemporary dialogues on the left. Londres: Verso, 2000.) et la tétralogie sur les mutations de la démocratie contemporaine (Rosanvallon, 2006ROSANVALLON, Pierre. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris: Éditions du Seuil, 2006. , 2009ROSANVALLON, Pierre. La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France. Paris: Éditions Gallimard, 2000. , 2011ROSANVALLON, Pierre. La société des égaux. Paris: Éditions du Seuil, 2011. , 2015ROSANVALLON, Pierre. Le bon gouvernement. Paris: Éditions du Seuil, 2015b.). Cette articulation est incontournable : nous soutenons que la pleine compréhension de la théorie du populisme élaborée dans Le Siècle du populisme est indissociable des études précédentes de l’auteur sur la démocratie, dans la mesure où le populisme n’est qu’une forme de “démocratie limite” parmi d’autres, résultat d’une simplification de l’idéal démocratique. La deuxième approche, “externaliste”, consiste à confronter Le Siècle du populisme avec d’autres études sur le sujet publiées par des contemporains et interlocuteurs de Rosanvallon.

Au cours des dernières années, historiens et théoriciens du politique se sont penchés sur l’œuvre de Rosanvallon. En témoignent deux recueils parus récemment. Le premier, La Démocratie à l’œuvre, autour de Pierre Rosanvallon (Al-Matary; Guénard, 2015AL-MATARY, Sarah; GUÉNARD, Florent (ed.). La Démocratie à l’œuvre. Autour de Pierre Rosanvallon. Paris: Éditions du Seuil, 2015.), réunit des études sur divers aspects de ses travaux. Cependant, ce recueil a été publié avant Le Siècle du populisme et la même année que Le Bon gouvernement (Rosanvallon, 2015bROSANVALLON, Pierre. Le bon gouvernement. Paris: Éditions du Seuil, 2015b.), deux travaux, en plus de Notre Histoire intellectuelle et politique (Rosanvallon, 2018ROSANVALLON, Pierre. La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité. Paris: Éditions du Seuil, 2008.), qui sont restés en dehors des analyses. Le second est Pierre Rosanvallon’s political thought : interdisciplinary approaches ((Flügel-Martinsen et al., 2019FLÜGEL-MARTINSEN, Olivier; MARTISEN, Franziska; SAWYER, Stephen W.; SCHULZ, Daniel (ed). Pierre Rosanvallon’s political thought. Interdisciplinary approaches. Bielefeld: Bielefeld University Press, 2019.), ouvrage collectif dans lequel la méthode rosanvallonienne, ainsi que ses études sur la démocratie, occupe une place centrale. Les analyses y vont jusqu’au Bon Gouvernement, comme on peut le constater avec la contribution d’Anna Hollendung sur l’action démocratique. Parmi les auteurs, Wim Weymans et Paula Diehl étudient l’œuvre de Rosanvallon depuis un moment, notamment le problème de la représentation. Le premier avait déjà étudié l’idée de « crise de la représentation » en comparant la pensée de Rosanvallon à celle de Quentin Skinner, l’accent étant mis sur le rôle de l’histoire dans la compréhension du présent (Weymans, 2007WEYMANS, Wim. Understanding the present through the past? Quentin Skinner and Pierre Rosanvallon on the crisis of political representation. Redescriptions: Political Thought, Conceptual History and Feminist Theory, v. 11, n. 1, p. 45-60, 2007. http://doi.org/10.7227/R.11.1.4
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), alors que dans Pierre Rosanvallon’s Political Thought, il examine comment ce concept offre une solution à la tension entre les principes abstraits qui doivent guider une collectivité et la réalité concrète. Diehl (2019)DIEHL, Paula. Political Theory through History. Pierre Rosanvallon’s concepts of representation and the people and their importance for understanding populism. In: FLÜGEL-MARTINSEN, O. et al. (ed.). Pierre Rosanvallon’s political thought. Interdisciplinary approaches. Bielefeld: Bielefeld University Press, 2019. p. 39-60. a aussi privilégié le concept de « représentation », ainsi bien que celui de « peuple », pour analyser comment ils peuvent aider à expliquer le populisme. Elle étudie la conception du populisme de Rosanvallon avant la publication du Siècle du populisme et propose une approche différente de celle que Rosanvallon (2001)ROSANVALLON, Pierre. La démocratie inachevée. Histoire de la souveraineté du peuple en France. Paris: Éditions Gallimard, 2000. lui-même a entreprise dans « Penser le populisme » ; elle soutient que le populisme déplace l’idée de représentation démocratique en la plaçant à la frontière entre les dynamiques démocratique et antidémocratique. Pour Diehl, la dynamique antidémocratique se différencie de celle du totalitarisme avec laquelle Rosanvallon a établi un parallèle avec le populisme dans son article de 2011. Pour elle, le populisme est toujours un phénomène ambigu. Malgré l’importance de cette étude, force est de constater qu’elle fonde sa critique sur un texte de Rosanvallon qu’il a lui-même considérablement revu dans Le Siècle du populisme.

Nous ne pouvons pas ne pas mentionner, enfin, les études de William Selinger qui, en plus d’examiner le problème de la représentation dans un article écrit avec Gregory Conti, a aussi examiné la contribution de Rosanvallon à la compréhension du populisme avant la publication du Siècle du populisme. Dans « The Other side of representation : the history and theory of representative government in Pierre Rosanvallon » (Selinger ; Conti , 2016SELINGER, William; CONTI, Gregory. The other side of representation: the History and Theory of representative government in Pierre Rosanvallon. Constellations, v. 23, n. 4, p. 548-562, 2016. http://dx.doi.org/10.1111/1467-8675.12220
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), les auteurs contestent la perspective « constructiviste » attribuée à Rosanvallon par des théoriciens comme Nadia Urbinati, Lisa Disch et Wim Weymans, en démontrant que la théorie descriptive adoptée dans ses premiers écrits n’a pas disparu dans sa principale œuvre sur le sujet, Le Peuple introuvable. Pour cela, les auteurs reconstruisent la théorie de la représentation rosanvallonienne à partir de l’identification de la perspective descriptive de ses premiers travaux, analysant ensuite sa persistance dans des écrits plus récents et, finalement, en considérant dans quelle mesure les perspectives descriptives et constructivistes sont susceptibles d’être réconciliées. Dans « Populism, parties, and representation : Rosanvallon on the crisis of parliamentary democracy », Selinger (2020)SELINGER, William. Populism, parties, and representation: Rosanvallon on the crisis of parliamentary democracy. Constellations, v. 27, n. 2, p. 231-243, 2020. https://doi.org/10.1111/1467-8675.12497
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adopte une approche similaire, à savoir la reconstitution de la pensée rosanvallonienne à partir d’un thème spécifique : le déclin des syndicats et des partis politiques, les uns et les autres incontournables pour le bon fonctionnement d’une démocratie parlementaire. Le populisme, dans ce sens, est le résultat d’une crise profonde et de longue durée du parlementarisme lui-même.

Malgré leur originalité et leur pertinence, ces études précèdent toutes Le Siècle du populisme. Du fait que ce dernier est une publication récente, nous n’avons pas trouvé d’études à son sujet. D’où l’idée de cet article, divisé en trois parties. Dans la première, nous examinons la « théorie démocratique du populisme » élaborée dans Le Siècle du populisme. Dans la seconde, nous élargissons l’analyse en proposant des points d’articulation entre la théorie du populisme et la théorie démocratique développée par Rosanvallon dans ses œuvres précédentes. Dans la troisième, enfin, nous confrontons la réflexion rosanvallonienne à d’autres travaux sur le sujet, en cherchant à identifier comment la perspective de l’histoire conceptuelle du politique permet une compréhension plus profonde du populisme. La perspective rosanvallonienne permet en effet de fuir l’ambiguïté présente dans une partie des études sur le sujet, notamment celles qui présentent le populisme en tant que « retour » à un des pôles « authentiques » de la démocratie, celui de la manifestation de la volonté du peuple, au détriment de sa contrepartie instrumentale, celle des institutions politiques libérales.

Une théorie démocratique du populisme : Le Siècle du populisme

L’ambition de Rosanvallon dans Le Siècle du populisme est de produire une théorie étendue du populisme. Pour ce faire, il articule les dimensions sociologique, historique et critique qui lui permettent de saisir le phénomène dans la totalité. Dans la première dimension, il propose une anatomie du populisme à partir de cinq éléments constitutifs : (1) une conception du peuple ayant la prétention d’être plus juste, mobilisatrice et en mesure de refonder la démocratie ; (2) une théorie de la démocratie censée être « directe, polarisée et immédiate » ; (3) une modalité de la représentation – sous les espèces de l’exaltation du leader ; (4) une politique et une philosophie de l’économie – comprenant une conception de la souveraineté et de la volonté politique, ainsi qu’une philosophie de l’égalité et une vision de la sécurité (p. 57) ; et (5) le rôle des passions et des émotions – « émotions de position, émotions d’intellection et les émotions d’action » (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 42, 57).

Dans la seconde dimension, Rosanvallon retrace l’histoire du populisme sous trois angles. En étudiant les usages du mot populisme d’abord1 1 Trata-se de uma abordagem que Rosanvallon reconhece ser de pouca utilidade para a compreensão do fenômeno na contemporaneidade. Por essa razão, ele coloca sua reflexão sobre a história da palavra “populismo” nos apêndices. ; en identifiant au long de l’histoire les moments et/ou régimes qui ont exprimé les éléments constitutifs de son idéaltype ; et, enfin, à partir d’une approche globale et compréhensive du phénomène.

La troisième dimension de l’ouvrage est la critique du populisme, conduite à la fois au niveau de la théorie et de l’expérience concrète. Rosanvallon fait une critique du référendum, en montrant comment est projeté dans cette institution un ensemble d’expectatives qu’elle ne satisfait pas – plus grande intervention citoyenne dans des questions publiques, reformulation de l’expression électorale ou correction du déficit de représentation. La critique théorique est aussi faite à la dimension unanimiste et à l’absolutisation de la légitimité par les urnes. Quant à la critique de l’expérience concrète, elle s’adresse à l’idée d’homogénéité et des conditions à partir desquelles un gouvernement populiste transforme une démocratie en « démocrature ». Notre analyse en privilégie deux aspects : la typologie de ce que Rosanvallon appelle « démocraties limites » et de leurs formes de dégradation ; et la « critique démocratique » qu’il définit comme « une critique approfondie de la théorie démocratique qui structure l’idéologie populiste » (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 21).

Histoire conceptuelle : le populisme comme forme démocratique

Pour Rosanvallon (2020)ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., l’examen des expériences populistes n’a de valeur explicative que s’il est étendu à une approche conceptuelle. C’est cette dernière qui permet la compréhension de l’essence des populismes (p. 145). L’auteur propose une typologie de ce qu’il appelle des « démocraties limites », ayant pour objectif d’éviter les amalgames, mais aussi de permettre de caractériser les forces d’attraction que ces types limites peuvent avoir, ainsi que les parallèles susceptibles d’être établis. La terminologie « démocraties limites » est justifiée par le fait que ses défenseurs en exacerbent certains traits au détriment des autres, créant ainsi le risque d’un « retournement de la démocratie contre elle-même » (p. 161).

La première forme de « démocratie limite » ce sont les démocraties minimalistes dont les théoriciens les plus célèbres ont été Karl Popper et Joseph Schumpeter. Depuis le XIXe siècle, ses défenseurs ont été guidés par la peur du nombre. Sa forme de dégénération est sa transformation en une « oligarchie démocratique ». Les « démocraties essentialistes » forment le second type de « démocraties limites » et peuvent être définies comme celles qui se fondent sur la dénonciation des mensonges du formalisme démocratique et identifient l’idéal démocratique à la réalisation d’un ordre social communautaire dans lequel la distinction entre société politique et société civile est abolie (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 163). Ces deux formes de démocratie limite ont cherché à en finir avec les indéterminations démocratiques, soit par un rétrécissement réaliste de leur définition procédurale, dans premier cas, soit par le moyen de la dissolution de l’indétermination dans une vision utopique du social, dans le second cas (p. 164). Le troisième modèle de « démocratie limite », enfin, sont les « démocraties polarisées », dont font partie les populismes qui, à leur tour, cherchent à simplifier les apories structurantes de la démocratie au moyen des éléments constitutifs de l’idéaltype populiste décrits précédemment (p. 165). La forme de dégénération des « démocraties polarisées » est leur transformation en démocrature, définie comme « un type de régime fondamentalement illibéral conservant formellement les habits d’une démocratie » (p. 227).

La critique rosanvallonienne

La critique du « populisme réel » met en exergue deux axes d’analyse : le premier, théorique, a affaire à la conception du fonctionnement démocratique, ce qui comprend la critique du référendum et de la polarisation démocratique ; le second, celui de l’expérience, renvoie à l’idée d’une société homogène et aux conditions par lesquelles une démocratie devient une démocrature. Le référendum est un des instruments le plus revendiqués par les gouvernements populistes. Ses leaders l’exaltent comme un moyen de revigorer la démocratie dans la mesure où il est censé rendre au peuple le pouvoir de décider. Cependant, comme le montre Rosanvallon, il est indéniablement problématique car il présente plusieurs effets négatifs du point de vue de l’approfondissement du projet démocratique (2020, p. 175 suiv.). Le référendum conduit à une dissolution de la responsabilité ; à la simplification de la notion de « volonté politique » ; à l’élimination des procédures de délibération ; à l’irréversibilité de la décision ; aux graves problèmes que pose la séquence du vote en raison de la non-spécification des conditions de la mise en place de l’option choisie ; à la dévaluation du pouvoir législatif et à l’instauration d’un régime hyperprésidentialiste.

Le second axe critique renvoie à l’idée de possibilité de l’accomplissement d’une supposée « volonté générale ». Cette vision unanimiste a accompagné l’idée même de communauté politique depuis l’Antiquité jusqu’au XIXe siècle, quand la société s’est structurée en classes avec le développement d’un capitalisme générateur d’une fracture sociale majeure (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 204). La volonté générale a pris ensuite de nouvelles voies d’expression, une réflexion que Rosanvallon a développée dans La Légitimité démocratique (2008). Ces voies sont celles du « pouvoir de n’importe qui » et du « pouvoir de personne ». Le pouvoir de n’importe qui renvoie à l’idée selon laquelle n’importe quel individu doit avoir une totale capacité de représentation et selon laquelle on reconnaît à chacun la même importance dans la communauté politique. Cette reconnaissance prolonge et accomplit le statut de l’électeur : c’est « en tant que titulaire de droits qu’il peut se mettre en opposition à l’autre et participer ainsi à la souveraineté » (2020, p. 205). Les cours constitutionnelles sont les gardiennes de ce droit et c’est en veillant à ce que tous les citoyens soient également importants dans la communauté qu’elles participent à la volonté générale. Le pouvoir de personne renvoie quant à lui à l’impartialité des institutions qui doivent être au service de tous et protégées des possibles tentatives d’appropriation privée. Dans ce sens, c’est la distance par rapport aux intérêts particuliers qui garantissent la quête de l’intérêt général, c’est le cas des autorités indépendantes de contrôle et de régulation.

La seconde partie de la critique est relative à l’expérience concrète du phénomène. Rosanvallon admet que le « Peuple-Un », dans certains moments spécifiques, peut émerger avec force. La question qui se pose, toutefois, est comment inscrire ce « peuple-évènement » dans la durée du régime démocratique, puisqu’il n’engendre pas forcément un peuple démocratique réel. Telle est la préoccupation de Rosanvallon, qui était déjà celle de Proudhon au XIXe siècle. Le marxisme avait essayé, avec un succès relatif, d’absorber les deux peuples – le « peuple-évènement » et le « peuple-électoral » – en un seul avec la notion de « prolétariat ». Cependant, à partir du milieu du XXe siècle, les classes auraient perdu le rôle structurant qui leur était propre, ayant été remplacées, au début du XXIe siècle, par une supposée opposition entre les « 99 % » et le « 1 % ». Rosanvallon argumente que cette opposition est floue et ne rend pas compte des tensions, divisions et solidarités qui existent dans toute communauté. Ce qu’il défend c’est la nécessité de considérer le peuple dans ses multiples dimensions : peuple-électoral, peuple-évènement, peuple-juge, peuple-aléatoire (2020, p. 221). Ce « peuple démultiplié » – dont les situations particulières sont prises en considération par l’exécutif – est le fondement d’une société démocratique fondée sur les principes de justices distributive et redistributive, ce qui équivaudrait à une société des égaux (p. 225).

La pertinence du terme démocrature est d’éclairer la justification démocratique des pratiques autoritaires, d’un côté, et le passage progressif des pays vers des régimes autoritaires à partir d’un cadre institutionnel démocratique, de l’autre (2020, p. 228). Le dernier élément de la critique rosanvallonienne réside dans cet aspect. L’auteur distingue ainsi trois facteurs en vue d’analyser les conditions à partir desquelles un gouvernement populiste peut transformer une démocratie en démocrature : l’instauration d’une philosophie et d’une politique de l’irréversibilité, une dynamique de polarisation institutionnelle et de radicalisation politique et une épistémologie et une morale de la radicalisation.

Une philosophie et une politique de l’irréversibilité sont liées à la croyance selon laquelle la victoire dans les urnes ne signale pas une simple alternance, mais l’entrée dans un nouvel âge politique (2020, p. 229 suiv.). La notion de majorité change de perspective et acquiert une dimension « substantielle », caractérisée par le triomphe du « peuple » contre ses « ennemis ». En se croyant choisis pour mettre en place le nouvel âge, les gouvernants populistes organisent l’irréversibilité à partir de deux instruments : le recours aux assemblées constituantes ayant comme objectif de remodeler les institutions et la possibilité de réélections indéfinies. Dans la rhétorique populiste, il n’y a pas d’autonomie du droit par rapport à la politique et « la Constitution est la simple expression momentanée d’un rapport de forces » (p. 231).

La polarisation et la politisation des institutions sont le second point de la critique du « populisme réel ». La polarisation est un processus qui peut suivre deux modalités : la « brutalisation directe des institutions » et les « stratégies de dévitalisation progressive » (p. 235). De son côté, la politisation se fait par la contrainte et l’évincement des fonctionnaires qui entraine une « privatisation de l’État », une fois que celui-ci est vidé de sa fonction de service public (p 236). Il y a encore un autre aspect à prendre en compte, à savoir l’ascendant des gouvernants populistes sur les médias.2 2 O termo “desmultiplicar”, tanto em francês como no português falado em Portugal, tem dois sentidos: “reduzir a velocidade de rotação” ou “desdobrar-se ou esforçar-se em várias ações ou atividades”. Este segundo sentido é exatamente o que Pierre Rosanvallon dá ao termo. O sinônimo mais próximo no português falado no Brasil seria “desdobrar”. Pelo fato de o termo “democracia desdobrada” soar estranho, optamos pela tradução literal: “povo desmultiplicado”. Dans les démocratures qui réussirent à contrôler les médias, ceux qui sont au service du pouvoir finissent par « coloniser » l’espace public et à peser de manière décisive sur l’opinion (p. 237).

Le troisième aspect de la critique du « populisme réel », enfin, c’est ce que Rosanvallon a appelé « l’épistémologie et la morale de la politisation généralisée ». Les populistes ne défendent pas de projets, mais s’attribuent le rôle de porteurs de la vérité et de la morale entourés par des ennemis méchants et immoraux. Il y a un effacement des faits et des arguments et, par conséquence, de l’échange rationnel. En mentant de façon délibérée, les leaders populistes finissent par dissoudre les problèmes publics, à déstructurer le débat public. Il se produit alors ce que Rosanvallon appelle une « corruption cognitive » du débat démocratique : « il n’y a pas de vie démocratique possible sans qu’existent des éléments de langage communs et l’idée que puissent s’opposer des arguments fondés sur une description partageable des faits » (p. 240).

Les études sur le populisme et sur l’expérience concrète des mouvements et des gouvernements populistes renvoient souvent à un grand nombre d’ambigüités et d’imprécisions. Imprécisions sociologiques, concernant la base électorale populiste ; imprécisions politiques, qui se traduisent par l’incapacité de bien distinguer entre populisme de gauche et populisme de droite ; imprécisions historiques, issues de la difficulté d’identifier des mouvements populistes dans l’histoire, ainsi que la façon dont ils sont liés ; imprécisions conceptuelles, en fonction de la difficulté à définir précisément le concept de « populisme »3 3 Essa ascendência não se dá necessariamente através de uma censura oficial. Os governos populistas utilizam meios diversos como a redução da publicidade oficial ou privada em jornais opositores, minando consideravelmente sua autonomia financeira. . La théorie du populisme de Rosanvallon entend régler ces problèmes et offrir les outils pour saisir le phénomène à partir des diverses manières dont il se rapporte à la démocratie. Cependant, nous estimons que cette théorie n’est appréhendée dans toute sa force que si elle est articulée aux réflexions précédentes de l’auteur sur les mutations de la démocratie contemporaine. C’est à cette articulation que nous consacrons la partie suivante.

Élargir l’approche internaliste : la théorie du populisme rosanvallonienne à l’aune de sa théorie démocratique

La théorie de la démocratie de Rosanvallon, formulée dans plusieurs travaux, a cherché à saisir les mutations qui caractérisent les démocraties contemporaines. La première est la mutation dans l’activité citoyenne avec l’ascension d’une forme de participation, à côté de l’électorale, qui se traduit par des pratiques diffuses de vigilance, d’empêchement et de jugement. La seconde mutation est celle de la conception de la volonté générale qui, à son tour, a entraîné un changement de la légitimité démocratique. Rosanvallon a montré comment le système de la double légitimité issu des révolutions américaine et française à la fin du XVIIIe siècle et de la croissance du rôle de l’État à partir du début du XXe – la « légitimité d’établissement » et la « légitimité d’identification à la généralité sociale » – est entré en déclin à partir des années 1980, résultat de la perte de confiance des citoyens dans leurs dirigeants et du déclin des capacités de l’État. Ainsi, la volonté générale a cessé d’être considérée comme l’expression de la majorité et pleinement démocratique à moins d’être soumise à des contrôles et à des validations. Trois formes de légitimité ont émergé : la légitimité d’impartialité, la légitimité de réflexivité et la légitimité de proximité. La troisième mutation est celle de la démocratie comme forme de société, menacée par l’explosion des inégalités depuis les dernières décennies du XXe siècle. La quatrième mutation, enfin, a été le renforcement du pouvoir exécutif à partir du milieu du XXe siècle, processus que Rosanvallon a nommé de « présidentialisation des démocraties ».

Comment donc articuler ces mutations de la démocratie contemporaine avec le problème du populisme, e comment l’appréhension des premières contribue à la compréhension du deuxième ? Le point de départ est l’idée de « indétermination démocratique » que, chez Rosanvallon, se distingue autant de la conception de Claude Lefort (1991)LEFORT, Claude. Pensando o político: ensaios sobre democracia, revolução e liberdade. Rio de Janeiro: Paz e Terra, 1991. – qui associe l’indétermination démocratique à l’idée du pouvoir comme lieu vide et pas susceptible de réappropriation – que de celle de Hans Kelsen (2000)KELSEN, Hans. A democracia. São Paulo: Martins Fontes, 2000. – qui l’associe à l’idée d’une qualité d’ordre épistémologique traduite dans un scepticisme philosophique. Rosanvallon situe l’indétermination démocratique sur un plan plus fonctionnel, liée à des tensions, des ambiguïtés, des paradoxes et des apories qui font sa définition problématique ; par conséquence, elles sont aussi sources de multiples formes de désenchantement (Rosanvallon, 2015aROSANVALLON, Pierre. Bref retour sur mon travail. In: AL-MATARY, S.; GUÉNARD, F. (ed.). La Démocratie à l’œuvre. Autour de Pierre Rosanvallon. Paris: Éditions du Seuil, 2015a., p. 399-400). Ce que Rosanvallon appelait « pathologie de la démocratie » peut être appréhendé comme des formes de réduction de la complexité, de la polarisation ou de l’oubli des tensions structurantes de ses différentes figures. Comme il l’a écrit, « ce sont des pathologies de la réalisation ou de la limitation appuyées sur l’illusion d’une simplification » (Rosanvallon, 2013ROSANVALLON, Pierre. Histoire moderne et contemporaine du politique. L’Annuaire du Collège de France, n. 112, p. 681-696, 2013. Disponível em: https://journals.openedition.org/annuaire-cdf/752.
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).4 4 Rosanvallon cita o exemplo de um número temático da revista Éléments (no 177, abril-maio de 2019), intitulado “Les 36 familles du populisme”. Segundo ele, tal exercício é o exato oposto de um trabalho de conceitualização e só faz mascarar uma incapacidade de apreender a essência das coisas (Rosanvallon, 2020).

Nous proposons ici trois points d’articulation entre les mutations de la démocratie contemporaine et les populismes : (1) le problème de « l’impolitique » et la conséquente nécessité d’un « travail du politique » ; (2) l’idée de réalisation de la volonté en démocratie, ce qui renvoie à sa dimension réflexive ; et (3) l’actuelle « corruption cognitive » de la sphère publique qui renvoie à l’importance du langage et, en particulier, à la notion de « parler vrai », créée par Rosanvallon dans Le Bon Gouvernement.

Le problème de l’impolitique

Jusqu’au Siècle du populisme, le populisme n’avait pas occupé une place importante dans les réflexions rosanvalloniennes sur la démocratie et ses évolutions. Un court chapitre lui est consacré dans La Contre-démocratie (Rosanvallon, 2006ROSANVALLON, Pierre. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris: Éditions du Seuil, 2006.), en plus d’un article publié en 2011 dans La Vie des idées. Ainsi, ce qui nous intéresse dans La Contre-démocratie va au-delà du problème spécifique du populisme, étant donné que ce dernier n’est qu’une conséquence d’un problème plus large et plus profond que Rosanvallon définit comme « l’impolitique ». Il convient d’approfondir ce point.

Ce concept est défini par Rosanvallon (2006, p. 27-28)ROSANVALLON, Pierre. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris: Éditions du Seuil, 2006. comme « le manque d’appréhension des problèmes liés à l’organisation d’un monde commun ». Tel est le problème contemporain – et non celui de la passivité. Cette dissolution du politique – c’est-à-dire de l’expression de l’appartenance à un monde commun – se manifeste de deux manières. À partir de l’approfondissement de la séparation entre la société civile et les institutions, d’une part, et à partir de la constitution d’une contre-politique qui déprécie les pouvoirs au lieu d’essayer de les conquérir, d’autre part. Ainsi, dans un même mouvement, le champ politique est mis dans une position d’extériorité par rapport à la société, délégitimant le pouvoir, et les qualités essentielles du politique sont perdues dans un processus de perte de visibilité et de légitimité. L’âge de la démocratie impolitique, dans lequel nous vivons, implique un type d’action gouvernementale dont les modalités ont été profondément modifiées par un mouvement simultané de croissance de la démocratie sous des formes essentiellement indirectes et de déclin du politique.

Tel est l’arrière-plan de la montée en puissance des formes de participation contre-démocratiques, ainsi que de ses dérives. La contre-démocratie est tout un « enchevêtrement de pratiques, de mises à l’épreuve, de contre-pouvoirs sociaux informels, mais également d’institutions, destinés à compenser l’érosion de la confiance par une organisation de la défiance » (Rosanvallon, 2006ROSANVALLON, Pierre. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris: Éditions du Seuil, 2006., p. 11). Dans La Contre-démocratie, le populisme est compris comme une pathologie de la démocratie et, surtout, de la contre-démocratie. Comme pathologie de la démocratie électorale-représentative, il est étroitement lié aux tensions structurantes de la représentation, faisant référence à l’idée d’un peuple sain et homogène que doit s’opposer ou se protéger de ce qui lui est extérieur, étranger. Ce facteur n’étant pas suffisant pour appréhender les causes et à exprimer les particularités du phénomène, l’auteur creuse son analyse à partir de l’idée de pathologie de la contre-démocratie. Comme pathologie de la vigilance, le populisme transforme la préoccupation active et positive de contrôler l’action des pouvoirs, de les soumettre à la critique et à l’évaluation, dans une stigmatisation compulsive et permanente de l’exécutif, au point de le transformer en ennemi extérieur, étranger à la société (p. 272) ; comme pathologie de l’empêchement, il se transforme en une vision négative du politique repliée sur soi ; enfin, comme pathologie du jugement, il est l’« exacerbation destructive de l’idée de peuple-juge » (p. 275), où la scène du tribunal se dégrade en faveur d’un processus de criminalisation ou de ridiculisation du pouvoir. Le populisme comme pathologie de la contre-démocratie peut être considéré comme une forme d’expression politique dans laquelle le projet démocratique se laisse totalement aspirer par la contre-démocratie, se transformant en antipolitique (p. 276).

Rosanvallon lui-même reconnait dans Le Siècle du populisme que l’analyse du populisme faite dans La Contre-Démocratie est réductrice (il ne s’agit pas que d’une pathologie de la contre-démocratie), mais le diagnostic de l’impolitique comme arrière-fond des problèmes de la démocratie contemporaine reste un sujet essentiel de sa réflexion. Penser « l’impolitique » et ses possibles solutions jette aussi la lumière sur le problème du populisme. Ce qui passe par ce que Rosanvallon (2006)ROSANVALLON, Pierre. La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris: Éditions du Seuil, 2006. a appelé le « travail du politique », qui est l’activité réflexive et délibérative au moyen de laquelle les règles de constitution d’un monde commun sont élaborées : détermination des principes de justice ; arbitrage entre différentes situations et intérêts des différents groupes ; modes d’articulation entre public et privé (2006, p. 298). La solution, pour faire face à l’impolitique, passe par la reconstruction de la vision d’un monde commun traduit dans un « travail de la société sur elle-même » (p. 312).

La dimension réflexive de la démocratie : démultiplication du peuple et volonté politique en tant que construction historique

Les transformations dans la conception de la volonté générale offrent un angle d’analyse privilégié pour approcher la question de la réflexivité et mesurer un des principaux contrastes entre une conception de démocratie « complexifiée » et celle « simplifiée » de la rhétorique populiste – directe, polarisée et immédiate. Il s’agit d’un des points de la critique de Rosanvallon du Siècle du populisme qu’il convient d’élargir. On l’a dit, trois nouvelles formes de légitimité ont émergé à partir des années 1980 : (1) l’impartialité, (2) la réflexivité et (3) la proximité5 5 Da Revolução de 1789 ao século 20, Rosanvallon identificou algumas “patologias internas à democracia” analisadas em La Démocratie inachevée (2000): elas assumiram três formas no século 19 – a “democracia constitucional”, a “cultura da insurreição” e uma concepção de “governo direto”, encarnada por Napoleão III, duas no século 20 – os totalitarismos comunista e nazista – e uma no século 21– o populismo. Compreender a democracia, para Rosanvallon, é compreender o sistema que forma essa indeterminação e esse desencantamento. Esse, portanto, é um primeiro ponto a enfatizar: o populismo é mais um resultado perverso, entre outros, de uma tentativa de simplificação do ideal democrático. . La réflexivité entend combattre les dangers d’une démocratie immédiate, directe et polarisée par la pluralisation des modalités et la temporisation de la souveraineté du peuple. Condorcet est, sur ce point, une référence incontournable. C’est à lui que Rosanvallon fait appel pour affirmer que la volonté générale est le résultat d’un processus continu d’interaction entre le peuple et les représentants et d’une construction historique à partir de l’articulation de temporalités distinctes. Le « peuple » de la démocratie, à son tour, se manifeste sous différentes espèces, aucune d’entre elles ne pouvant monopoliser le sujet de la démocratie. Ces « formes du peuple » sont le peuple-électoral, le peuple-social et le peuple-principe. Les principales institutions de la réflexivité sont les cours constitutionnelles qui incarnent le peuple-principe dans le temps long de la mémoire collective et du droit. Il s’agit d’une logique qui n’est pas celle du plus grand nombre.

D’autre part, si elle dérive d’une interaction de type institutionnel, la souveraineté du peuple est également une « construction historique » dans la mesure où elle articule plusieurs temporalités : temps court du référendum ; rythme institutionnel des élections ; temps long de la Constitution (Rosanvallon, 2008ROSANVALLON, Pierre. La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité. Paris: Éditions du Seuil, 2008., p. 204). Dans chaque cas, l’expression du peuple instaure une volonté qui est en même temps complétée, surveillée et contrôlée par d’autres procédures. Ce sont des expressions différentes de soi-même qui sont en jeu. Condorcet ouvre de cette façon la voie à un profond renouvellement de la question de la séparation des pouvoirs, non plus appréhendée sous les espèces d’une balance ou d’une division équilibrée des prérogatives, mais conçue comme une condition de l’approfondissement démocratique en vue de donner consistance au peuple réel qui est toujours complexe et pluriel. Autrement dit, le peuple est multiple et pour cette raison aucune de ses manifestations ne peut le résumer et le représenter convenablement.

Le temps construit la réflexivité ; par conséquent, il construit la volonté générale dans un mouvement continu de réflexion. Comme Rosanvallon l’écrit (2008, p. 210), vouloir ensemble ne se limite pas à choisir ou décider ensemble, comme lors d’une élection. Choisir et décider supposent un avant et un après. La volonté du peuple n’est pas plus efficace avec le référendum, bien au contraire. Elle inscrit un choix momentané – concernant des personnes et des programmes – dans la perspective plus large de la réalisation des valeurs, de la recherche d’objectifs plus généraux concernant une forme de société désirée. La volonté c’est la disposition complexe qui lie ces divers éléments et, pour cette raison, elle est structurellement une construction du temps, le fruit de l’expérience, l’expression d’une projection de l’être. La volonté est par définition liée à la construction d’un récit et pas, comme dans la rhétorique populiste, la réponse à une question spécifique posée de façon dichotomique.

La bataille du « parler vrai » contre la corruption cognitive

Le travail du politique et la manifestation de la volonté ne se réalisent que par le langage. C’est le troisième aspect qui nous paraît particulièrement pertinent pour penser le rapport entre les mutations de la démocratie contemporaine et le populisme. Bien que l’importance du langage soit sous-jacente à toutes les dimensions de la réflexion de Rosanvallon, elle reçoit un traitement spécial dans Le Bon Gouvernement avec la notion de parler vrai. La place incontournable du langage est clairement énoncée lorsque l’auteur affirme que « gouverner c’est parler » (Rosanvallon, 2015bROSANVALLON, Pierre. Le bon gouvernement. Paris: Éditions du Seuil, 2015b., p. 327). Selon lui, les politiciens parlent pour s’expliquer, mais également pour montrer une direction, dessiner un horizon et rendre compte de leurs actions. Une politique démocratique implique de rendre la vie des gens et de l’action publique intelligibles par le langage. C’est le « parler vrai » qui améliore le contrôle des citoyens sur leur existence et leur permet d’établir une relation positive avec la vie politique. En contrepartie, l’absence de parler vrai signifie l’éloignement des citoyens des questions concernant la collectivité. Le langage politique est crucial pour l’établissement d’un lien de confiance (p. 328).

Le parler vrai n’a pas de définition simple et n’existe que sous les espèces d’un travail permanent de réflexion critique sur le langage politique, travail qui est une des dimensions vitales de l’activité démocratique. Il est, selon les mots de Rosanvallon, « une forme radicale d’implication dans la communauté, le lien entre une existence personnelle et un destin collectif » (Rosanvallon, 2015bROSANVALLON, Pierre. Le bon gouvernement. Paris: Éditions du Seuil, 2015b., p. 342). Le « parler faux », en contrepartie, a un effet destructeur de la vie démocratique. Cela parce que si, d’une part, le langage a le pouvoir de donner du sens aux choses et de dessiner un horizon, il a également une fonction de séduction et de dissimulation en plus du pouvoir de créer un monde artificiel qui exclut la possibilité de s’interroger sur la conduite des choses publiques. Le même langage créateur de liens de confiance, vecteur d’intercompréhension et de moyens d’exploitation de la réalité crée donc aussi les conditions de l’autoritarisme. Les régimes totalitaires en ont été l’illustration parfaite. Ce n’a pas été que par la terreur que ces régimes ont pu créer un monde fictif ; ç’a été aussi par le langage, créateur de l’univers fictif de l’idéologie.

Rosanvallon (2015b)ROSANVALLON, Pierre. Le bon gouvernement. Paris: Éditions du Seuil, 2015b. identifie trois batailles du « parler vrai ». La première est de lutter contre le mensonge pur et simple. Il s’agit de chasser les mensonges, approximations, altérations sémantiques.6 6 A legitimidade de imparcialidade é característica das autoridades administrativas independentes. Estas reduzem o campo do poder executivo e administrativo, impactando a tradicional divisão dos poderes. Espera-se delas que sejam independentes com relação ao executivo, aos políticos em geral e aos lobbies, mas também que sejam coerentes. Elas devem atingir a generalidade de forma negativa, ou seja, não concedendo a ninguém vantagens ou privilégios e manifestando uma forma de desapego constitutiva do desinteresse. A legitimidade de proximidade se refere a uma nova expectativa dos cidadãos que estão cada vez mais sensíveis ao próprio comportamento dos governantes. Eles querem ser escutados, levados em consideração, expor seus pontos de vista; esperam que o poder esteja atento ao cotidiano das pessoas ordinárias. Além do mais, cada pessoa gostaria que a especificidade de sua situação fosse levada em conta e não apenas submetida a regras abstratas (Rosanvallon, 2008, p. 267). A palavra de ordem, nesse caso, é a “proximidade”. Il faut démonter les mensonges, par tous les moyens possibles, pour ne plus laisser le monde politique imposer son langage sans contestation. La seconde bataille doit être une critique du « monologue », un type de langage que ne permet pas l’échange d’arguments, puisqu’il ne prend pas de risque, n’est jamais testé, protégé derrière la « forteresse » de ses pures affirmations (p. 349). La conséquence de ce type de langage est le maintien des citoyens dans une position de spectateurs passifs. Finalement, la troisième bataille est contre ce que Rosanvallon appelle le « langage des intentions ». Relativement neuf, il renvoie à l’idée d’impuissance du politique (« There is no alternative ») face aux puissances impersonnelles, notamment celles du marché. Ce langage restaure le sentiment de la suprématie de l’ordre moral sur les choses, ordre coupé de l’action politique, lié à la perception d’un monde gouverné par des intentions d’où pourrait surgir un monde nouveau. Il est coupé des réalités, se lie structurellement à une aversion à l’égard des compromis et des arrangements pratiques, puisque le monde des intentions est le monde dichotomique du Bien et du Mal.

Les considérations autour de l’impolitique, de la réflexivité et du langage permettent d’élargir la compréhension de la théorie du populisme selon Rosanvallon. En ce sens, Le Siècle du populisme ne saurait être dissocié de sa théorie des mutations de la démocratie contemporaine. Les points d’articulation que nous avons cherché à mettre en œuvre démontrent qu’au-delà de la construction d’un idéaltype du populisme, de l’identification de son émergence à différents moments historiques et de la critique qu’on peut lui adresser, le populisme est une forme de démocratie limite propre à un âge menacé par l’impolitique et l’exaspération des formes contre-démocratiques, par une conception réductionniste de la volonté générale et par un processus de corruption cognitive croissante du débat public. Ce sont fondamentalement ces aspects qui ont permis l’émergence du souhait d’une démocratie directe, polarisée et immédiate, conception attirante pour de très nombreuses personnes. Le problème est que cette conception de la démocratie ne règle pas les problèmes que les leaders populistes ont promis de régler. Au contraire, elle les aggrave en ouvrant la voie à une démocrature et, à la limite, à un régime ouvertement autoritaire. Limiter l’étude de la théorie du populisme de Rosanvallon à une approche purement internaliste – même élargie à ses autres travaux –, n’offre qu’une vision partielle de l’objet en question. C’est pour cette raison qu’il est incontournable de confronter sa théorie avec d’autres études, particulièrement celles qui procèdent à une défense théorique du populisme.

Rosanvallon et le débat contemporain sur le populisme

Le populisme a suscité un nombre croissant de contributions dans le débat sur la crise politique contemporaine. Cependant, malgré le volume grandissant des textes, la littérature est loin de dégager un consensus sur ce qu’est le populisme, comment il se différencie d’autres types de mouvements politiques et même s’il existe en tant que phénomène saisissable et que concept efficace.7 7 Rosanvallon (2015b) exemplifica essas alterações semânticas a partir de um texto de George Orwell intitulado “La politique et la langue anglaise”, no qual ele nota como, em países totalitários, execuções sumárias passaram a ser chamadas de “eliminação de suspeitos” ou deslocamentos massivos de população reduzidos a “retificação de fronteiras”. Dans le célèbre recueil d’articles sur le populisme organisé par Ghita Ionescu et Ernst Gellner à la fin des années 1960, les auteurs insistent déjà sur l’importance du concept, au même temps qu’ils reconnaissent sa nature élusive : « il n’est pas possible, à présent, de douter de l’importance du populisme. Mais personne ne sait clairement ce qu’il est », et ils ajoutent plus loin qu’« il apparaît partout, mais dans des formes diverses et contradictoires. Aurait-il une unité, ou ne serait-il qu’un nom qui couvre des tendances dispersées ? » (Gellner ; Ionescu, 1969IONESCU, Ghita; GELLNER, Ernest (ed.). Populism. Its meanings and national characteristics. Nova York: Macmillan, 1969., p. I).

La diversité des approches répond évidemment à des perspectives théoriques différentes : nous trouvons dans la littérature des interprétations historiques qui mettent en exergue les continuités idéologiques entre les populismes de l’après-guerre et le fascisme (Finchelstein, 2017FINCHELSTEIN, Federico. From fascism to populism in History. Berkeley: University of California Press, 2017.), la relation du populisme avec la crise de la représentation libérale (Taggart, 2004TAGGART, Paul. Populism and representative politics in Contemporary Europe. Journal of Political Ideologies, v. 9, n. 3, p. 269-288, 2004. https://doi.org/10.1080/1356931042000263528
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; Urbinati, 2019URBINATI, Nadia. Me the people. How populism transforms democracy. Cambridge: Harvard University Press, 2019.), le populisme comme manifestation d’une action politique visant à remplacer le régime démocratique par une « démocratie illibérale » (Müller, 2016MÜLLER, Jan-Werner. What is Populism? Philadelphia: University of Pennsylvania Press, 2016.), le populisme en tant que style de performance politique (Moffit, 2016MOFFIT, Benjamin. The global rise of Populism: performance, political style and representation. Stanford: Stanford University Press, 2016.) ou encore les études empiriques qui cherchent à comprendre les aspects spécifiques du phénomène ainsi que les caractéristiques générationnelles du vote favorable aux leaders populistes (Norris ; Inglehart, 2019). Cela nous mène à nous interroger sur la contribution de l’œuvre de Rosanvallon à la littérature sur le populisme et à nous demander si son apport théorique le rapproche ou l’éloigne des principales interprétations antérieures. Comme nous avons cherché à le démontrer, l’interprétation rosanvallonienne du populisme est indissociable de sa théorie de l’indétermination démocratique et du diagnostic du populisme en tant que signe d’un « renfermement » de l’horizon démocratique. Nous chercherons maintenant à montrer comment l’interprétation de Rosanvallon se différencie de celle qui a privilégié le rapport entre populisme et représentation politique, avec une attention particulière aux écrits de Nadia Urbinati, critique reconnue des travaux précédents de notre auteur. Nous chercherons ensuite à confronter l’approche de Rosanvallon avec une des principales élaborations théoriques qui a fait objet de critique dans son livre sur le populisme, celle d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe.

Populisme et représentation politique

Depuis le recueil de Gellner et Ionescu de 1969 en passant par Margaret Canovan (1981CANOVAN, Margaret. Populism. Nova York: Harcourt Brace Janovitz, 1981., 1999CANOVAN, Margaret. Trust the people! Populism and the two faces of democracy. Political Studies, v. XLVII, p. 2-16, 1999., 2002)CANOVAN, Margaret. Taking politics to the people: populism as the ideology of democracy. In: MÉNY, Yves; SUREL, Yves (ed.). Democracies and the populist challenge. Nova York: Palgrave, 2002., une des interprétations les plus influentes perçoit le populisme comme le syndrome d’une ambigüité démocratique fondamentale : le paradoxe entre l’idée de souveraineté du peuple et les pratiques institutionnelles ou « pragmatiques » de la démocratie (Canovan, 1999CANOVAN, Margaret. Trust the people! Populism and the two faces of democracy. Political Studies, v. XLVII, p. 2-16, 1999.) et la nature contraignante résultant des demandes populaires. Pas très éloignés de cette interprétation, les travaux de Cas Mudde et Rovira Kaltwasser (2012MUDDE, Cass; KALTWASSER, Cristóbal R. (ed.). Populism in Europe and the Americas: threat or corrective for democracy? Cambridge: Cambridge University Press, 2012., 2017)MUDDE, Cass; KALTWASSER, Cristóbal R. Populism. A very short introduction. Nova York: Oxford University Press, 2017. définissent le populisme comme une « idéologie peu substantielle » ou « vide » (thin-centered ideology), identifiée par la revendication d’un lien au peuple en opposition à l’establishment politique. Cette « idéologie peu substantielle » ne saurait exister toute seule, mais se manifesterait plutôt à l’intérieur d’autres idéologies « substantielles » – le socialisme, le nationalisme, le libéralisme. Le populisme, pour eux, s’opposerait à deux autres fondements de la démocratie : le pluralisme et l’élitisme (Mudde; Kaltwasser, 2017MUDDE, Cass; KALTWASSER, Cristóbal R. Populism. A very short introduction. Nova York: Oxford University Press, 2017., p. 7).

Les critiques à ces approches sont centrées surtout sur leurs problèmes de mise en œuvre analytique. Il est censé y avoir, à croire à l’existence d’une idéologie populiste, peu d’éléments capables de la différencier d’autres caractéristiques idéologiques déjà présentes dans des idéologies politiques bien définies (le socialisme, le nationalisme d’extrême droite, le libéralisme, etc.). Ou, comme le signale Benjamin Moffit (2016, p. 19)MOFFIT, Benjamin. The global rise of Populism: performance, political style and representation. Stanford: Stanford University Press, 2016., « une idéologie peu substantielle peut devenir tellement vide qu’elle perd sa validité et son utilité conceptuelle ».

Dans le cadre de la critique de l’imprécision du concept de « populisme » en tant qu’idéologie et en cherchant à le saisir à partir de ses interactions avec l’élitisme et le pluralisme démocratique, Nadia Urbinati développe une tentative pour l’interpréter partir d’une théorie de la représentation démocratique. Selon elle,

On peut dire qu’on voit mieux les choses si on cesse de s’engager dans un débat sur ce que le populisme est réellement – s’il est une « idéologie peu substantielle », une mentalité, une stratégie ou un style – et qu’on se tourne vers l’analyse de ce qui fait le populisme : en particulier, pour s’interroger sur comment il change ou reconfigure les procédures et les institutions de la démocratie représentative

(Urbinati, 2019URBINATI, Nadia. Me the people. How populism transforms democracy. Cambridge: Harvard University Press, 2019., p. 7, notre traduction).

Il ne s’agirait donc pas tant de renvoyer le populisme à une des expressions du fondement de la démocratie, à la recherche des modes d’expression de la souveraineté et de la volonté populaire, mais plutôt de l’interpréter comme partie de la dynamique de compétition et de circulation des élites politiques du régime représentatif. Urbinati (2019)URBINATI, Nadia. Me the people. How populism transforms democracy. Cambridge: Harvard University Press, 2019. propose, comme point de départ, d’éloigner la « mythologie » du paradoxe ontologique de la démocratie – et, ce faisant, du populisme comme expression du pôle proprement démocratique de l’ontologie dualiste – et d’assumer que la compréhension du populisme doit partir d’une interprétation de ses effets dans la pratique de la démocratie représentative, qui quant à elle ne saurait être comprise en dehors du cadre de son rapport aux valeurs libérales et républicaines en tant que garanties individuelles, et les exercices de la représentation, et des mécanismes institutionnels de l’exercice du pouvoir. Il s’agit de comprendre à quel genre de changement institutionnel le populisme procède dans la pratique et, surtout, avec quelles conséquences dans les institutions démocratiques fondamentales comme le pluralisme, la compétition politique, le fonctionnement des mécanismes contre-majoritaires, etc.

Le point de départ de la critique adressée par Urbinati à la littérature sur le populisme et de sa proposition interprétative et théorique nous paraît, dans un premier temps, se rapprocher de ce que nous avons présenté en ce qui concerne la théorie de Rosanvallon : ce que tous deux se proposent de démontrer c’est que le populisme revendiquerait la représentation comme une modalité de confirmation qui annule la complexité de la démocratie, étant donné que l’exercice du pouvoir résultant de la représentation n’est plus en rapport avec son adéquation à des normes sociales objectives – qui supposent l’exercice du peuple souverain en tant que peuple institutionnalisé par l’État de droit –, mais plutôt avec une réponse du peuple souverain censée être directe et avec la possibilité d’interpréter et d’incarner sa volonté. En termes pratiques, cette distinction renvoie au problème posé au départ par le populisme en tant que phénomène de nature antipluraliste : si la compétition politique en vue de la représentation populaire est ce qui engendre le pluralisme démocratique, l’idée d’une démocratie qui serait en mesure de se passer du pluralisme ouvrirait la voie à la construction d’une « démocratie autoritaire, immédiate et polarisée, qu’on appellerait aujourd’hui ‘démocratie illibérale’ » (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 18).

Toutefois, il faut signaler une différence majeure entre l’interprétation de Rosanvallon et celle d’Urbinati sur le populisme qui atteste des désaccords de longue date entre les deux auteurs. L’analyse d’Urbinati est construite pour démontrer que le populisme est surtout une façon de transformer la démocratie sans la remplacer par un régime autoritaire ; c’est la principale différence que l’auteure identifie entre le populisme et le fascisme, ce dernier étant inséparable de la mise en place d’une « tyrannie ». Il nous semble cependant que la nécessité de distinguer le populisme de régimes ouvertement autoritaires l’a amenée à confondre, dans la même catégorie de « populisme », des formes potentiellement antidémocratiques de mobilisation avec des formes de revendication alternatives de participation politique.

Urbinati affirme que « nous devrions parler d’une transformation populiste de la démocratie – ou, mieux encore, d’une transformation dans la forme dont la démocratie représentative se prépare à entrer dans l’âge de la souveraineté d’audience » (Urbinati, 2019URBINATI, Nadia. Me the people. How populism transforms democracy. Cambridge: Harvard University Press, 2019., p. 176, notre traduction). Pour montrer cette transformation populiste dans le cadre des démocraties représentatives, elle prend le cas de Podemos, en Espagne, et le Movimento 5 Stelle, en Italie, comme exemples de revendications de « pouvoir populaire direct » et de « démocratie participative » comme alternative de combat contre le pouvoir des élites qui parasitent le système de partis traditionnel. Selon elle, Podemos et Movimento 5 Stelle seraient les « cas les plus expressifs et les plus spectaculaires de montée en puissance populiste qui ont défié les partis mainstream au cours des dernières années » (p. 181). Or s’il est vrai que ces partis ont obtenu une croissance électorale expressive à partir de la critique à l’establishment politique et en revendiquant de nouvelles formes de participation et de contrôle de la représentation électorale, le fait que les deux mouvements aient récemment participé à des coalitions avec l’establishment de centre-gauche montre qu’il n’y a pas de distinction efficace entre les taxer de populistes ou les regarder comme des manifestations des nouvelles formes de conflit et de transformation des partis dans les systèmes démocratiques. Urbinati finit par qualifier de « populiste » n’importe quel type de revendication en faveur de nouvelles formes de participation, de délibération et de critique du système de partis établi, et ne les différencie pas des exemples qui mettent en risque les structures de la démocratie représentative et de l’État de droit, comme le cas de régression démocratique de la Hongrie, qui s’encadrerait parfaitement dans son « concept de populisme comme transition de mouvement à régime » (Cassimiro, 2021CASSIMIRO, Paulo H. P. Os usos do conceito de populismo no debate contemporâneo e suas implicações sobre a interpretação da democracia. Revista Brasileira de Ciência Política, n. 35, p. 1-52, 2021. https://doi.org/10.1590/0103-3352.2021.35.242084
https://doi.org/10.1590/0103-3352.2021.3...
, p. 41).

Ce problème de l’analyse d’Urbinati renvoie à ses propres critiques adressées à Rosanvallon dans son livre de 2014, Democracy Desfigured, où l’auteure soutient qu’il y aurait, dans la théorie politique contemporaine, une tendance à défier les définitions procédurales de la démocratie dans le sens d’attribuer à certaines institutions des contenus substantifs qui ne seraient pas forcément le résultat des procédures électorales. Dans le cas de Rosanvallon, Urbinati reconnaît cette « défiguration » de la démocratie dans sa défense du locus institutionnel où se développeraient des instruments d’« impartialité et de réflexivité », en particulier le judiciaire et les autorités indépendantes (Urbinati, 2014URBINATI, Nadia. Democracy desfigured. Opinion, truth and the people. Cambridge: Harvard University Press, 2014., p. 111-112). La critique d’Urbinati révèle, dans plusieurs sens, le problème théorique de fond qui distingue les deux auteurs : pour elle, la centralité d’une certaine conception minimaliste de démocratie, qu’elle appelle « procédurale » dans son livre de 2014, dote sa conception de la démocratie d’un contenu bien déterminé et considérablement éloigné de l’idée d’« indétermination » rosanvallonienne : la démocratie peut ne pas être dotée d’un contenu « perfectionniste », mais il s’agit pour Urbinati de quelque chose de bien défini, d’« une méthode pour réguler la distribution de gouvernement entre citoyens » (Urbinati, 2014URBINATI, Nadia. Democracy desfigured. Opinion, truth and the people. Cambridge: Harvard University Press, 2014., p. 234). C’est justement pour cette raison que des phénomènes politiques tellement distincts comme celui de Viktor Orbán, Trump ou Podemos peuvent être inclus selon elle dans la même catégorie de « populisme » : dans ces cas, il s’agit d’un type de politique qui cherche à s’exercer au-delà des mécanismes procéduraux du « jeu démocratique », en le « défigurant ». Toutefois, comme nous l’avons signalé, cette indistinction ne permet pas de comprendre si cette défiguration comporte ou non une dérive autoritaire.

C’est justement cette tentative de se réfugier dans la défense des procédures que la théorie de l’indétermination démocratique cherche à dépasser, en même temps que l’auteur s’éloigne de la théorie du « paradoxe » démocratique ou de l’idée des potentialités émancipatoires du populisme. Comme nous l’avons souligné, pour Rosanvallon, le populisme est une « forme limite du projet démocratique », à côté de deux autres : les démocraties minimalistes et les démocraties essentialistes. L’idée minimaliste de la démocratie de Schumpeter – qu’Urbinati cherche à critiquer dans le sens d’une défense de l’action politique démocratique, en même temps qu’elle l’utilise comme fondement pour sa critique des formes « perfectionnistes » de la démocratie – n’est qu’une forme des manifestations possibles de l’indétermination démocratique, dans la mesure où elle révèle la dimension institutionnelle associée à la méthode de sélection des élites politiques, mais n’épuise ni n’achève les possibilités de la démocratie. S’il est évident que, pour Rosanvallon (2020, p. 115), le pouvoir ne peut « prendre forme que médiatisé et instrumentalisé par les procédures représentatives », on ne peut pas oublier que « la démocratie ne désigne pas qu’un seul type de régime, mais qualifie aussi une forme de société » (p. 158). Et c’est précisément le conflit entre les promesses non accomplies par l’institutionnalisé démocratique telle qu’il existe et sa tension avec les promesses de réalisation d’une « société des égaux » en ce qui concerne la démocratie comme forme de société, qui nourrit des processus symptomatiques de « désenchantement démocratique contemporain » (p. 19). C’est cette ambigüité, créée par l’étiquette « populiste » applicable à des processus politiques très distincts – de Podemos à Viktor Orbán – que, de notre point de vue, Rosanvallon vise à dépasser en proposant l’idée de « formes limites » de la démocratie. En fait, on peut dire que l’originalité de sa théorie n’est pas tant de proposer une « nouvelle définition » de populisme que de comprendre théoriquement le populisme dans le cadre de ses formes limites. Rosanvallon identifie ces horizons réducteurs de la complexité démocratique autant dans la défense minimaliste de la démocratie libérale que dans l’apologie normative des potentialités démocratisantes du populisme, comme nous allons le voir maintenant.

Les limitations du « moment populiste »

Parmi les théoriciens qui évaluent positivement le populisme, celui qui a développé l’argument le plus élaboré, et avec des conséquences normatives pour l’action politique, est le philosophe argentin Ernesto Laclau dont l’œuvre a été développée et, après son décès, continuée – non sans différences – par Chantal Mouffe. Sa perspective, qu’on pourrait appeler « ontologique », identifie le populisme comme la manifestation d’un type de conflit antagonique constitutif du « politique » : la capacité d’établir des différences entre le dedans et le dehors, entre le « nous » et les « autres ». Le populisme serait l’acte de dépasser l’idée de la politique en tant qu’« ensemble purement différentiel » de demandes, identifiée par la démocratie libérale, en faveur d’un type d’identité en mesure de rassembler des demandes subalternes dans un concept de totalité différentielle, en reconstruisant la politique en tant que conflit antagonique (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. XI). Laclau s’éloigne des efforts de classement des variétés de populisme car, d’après lui, le phénomène ne saurait être appréhendé par la synthèse de ses manifestations historiques, tentative qui offrirait, tout au plus, « une carte de dispersion linguistique » (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. 7) du phénomène populiste. En ce sens, la nature élusive du populisme ne serait pas un échec conceptuel, mais plutôt une conséquence de la réalité sociale à laquelle il renvoie : le populisme, plutôt qu’une opération idéologique et politique, est un acte performatif en mesure de construire des identités autour de demandes politiques spécifiques.

La sortie du Siècle du populisme a reçu une attention immédiate dans le débat intellectuel sur le populisme et la crise de la démocratie. Une des réactions critiques qu’il a suscitées, un article de Chantal Mouffe paru dans Le Monde diplomatique (2020) et intitulé « Ce que Pierre Rosanvallon ne comprend pas », nous permet de creuser certaines implications de l’interprétation de Rosanvallon en la comparant à d’autres théories qui revendiquent le populisme en tant qu’horizon normatif de l’action politique. Dans sa critique, Mouffe affirme que la lecture par Rosanvallon de ses propres travaux et de ceux de Laclau reprend le « lieu commun » de définir le populisme comme une opposition entre le « peuple pur » et les « élites corrompues » et échoue à comprendre que la variété des populismes répondrait à des stratégies spécifiques de « construction de la frontière politique, établie sur la base d’une opposition entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, les dominants et les dominés » (Mouffe, 2020MOUFFE, Chantal. Ce que Pierre Rosanvallon ne comprend pas. Le Monde Diplomatique, maio 2020, p. 3. Disponível em: https://www.monde-diplomatique.fr/2020/05/MOUFFE/61778.
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), en essayant de réduire le phénomène à une définition idéologique univoque. Ce point structure la conception de populisme en tant que performance du conflit politique de Laclau, pour qui le populisme utilise la catégorie de « peuple » comme un signifiant vide qui permet d’établir une chaîne d’équivalence entre demandes apparemment désagrégées des groupes subalternes de la population (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. 74). Cette chaîne, fondée sur une logique identitaire, construit la frontière entre le « peuple » et son « autre », les élites, établissant la dichotomie nécessaire pour la reconstruction du conflit politique fondamental caché sous le masque de la « totalité différentielle » représentée par la démocratie libérale.

Toutefois, à la différence de Laclau, qui identifie démocratie libérale bourgeoise et revendique donc l’action populiste en vue de construire un projet émancipatoire, le projet populiste de Mouffe procède comme une « radicalisation de la démocratie libérale », qui consiste précisément à réaffirmer la « nature partisane de la politique » (Mouffe, 2018MOUFFE, Chantal. For a Left Populism. Londres: Verso, 2018., p. 10). Le moment actuel, que l’auteure définit comme « moment populiste », ouvre la possibilité d’un « retour au politique » ; cependant, il convient de le rappeler, ce retour n’a pas forcément un contenu essentiellement démocratique, mais peut aussi conduire à des alternatives autoritaires ; pour cette raison, le conflit politique fondamental du monde contemporain est défini par elle comme une dispute entre un populisme de gauche et un populisme de droite, rendu possible grâce à l’« interrègne » résultant de la crise de l’hégémonie néolibérale (p. 13). En ce sens, la rencontre entre populisme et agonisme apparaît dans les travaux récents de Mouffe comme le résultat d’une radicalisation possible de l’imaginaire politique des démocratie modernes : « Il est crucial à mon sens d’inscrire la stratégie populiste de gauche dans la tradition démocratique parce que cela permet de la rattacher aux valeurs politiques qui sont au cœur des aspirations populaires » (Mouffe, 2018MOUFFE, Chantal. For a Left Populism. Londres: Verso, 2018., p. 26). Or l’action politique ne sera donc pas une reconstruction complète d’un signifiant vide, mais plutôt une reconnexion avec les « valeurs politiques » du projet démocratique représenté, entre autres expériences, par la Déclaration des droits de l’Homme.

La critique agoniste présuppose à la limite une inscription distincte dans le projet émancipatoire de la démocratie ou, selon les mots de Mouffe (2018, p. 25)MOUFFE, Chantal. For a Left Populism. Londres: Verso, 2018., « la radicalisation des principes éthico-politiques du régime libéral-démocratique ». C’est cette dimension du rapport entre le constructivisme de la stratégie populiste et sa liaison à la radicalisation de l’idéal émancipatoire de la démocratie que Mouffe accuse Rosanvallon de n’avoir pas compris, restant lié à une conception consensuelle de la démocratie, « une version sophistiquée de la doctrine dominante des partis sociaux-démocrates sous l’hégémonie néolibérale » (Mouffe, 2020MOUFFE, Chantal. Ce que Pierre Rosanvallon ne comprend pas. Le Monde Diplomatique, maio 2020, p. 3. Disponível em: https://www.monde-diplomatique.fr/2020/05/MOUFFE/61778.
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), pour qui le « déficit démocratique » contemporain pourrait être réglé moyennant un système politique en mesure d’ouvrir l’espace à la diversité des demandes individuelles dans une société dans laquelle les classes sociales et leurs effets sur les identités de gauche et de droite ont perdu leur pertinence.

Or sans prendre en compte le jugement de Mouffe sur les implications normatives de la théorie démocratique de Rosanvallon, nous pensons que ce dernier, plutôt que de se tromper sur le statut théorique du « moment populiste » de gauche, le prend comme un exemple théoriquement précis du populisme en tant que manifestation d’une des apories structurantes de la démocratie, qui n’indique pas un accomplissement des « promesses » de la démocratie, mais plutôt sa limitation dans le cadre d’un horizon démocratique restreint. Reprenons les travaux de Laclau pour développer cette question.

Laclau formule une distinction entre le potentiel émancipatoire du populisme et sa possible manifestation dans un signifiant vide dont la nature est contraignante, et même régressive en termes de conquêtes démocratiques. Étant donné que l’identité du peuple nécessite le dépassement des aspects purement artificiels de l’institutionnalité démocratique-bourgeoise, l’appel à n’importe quel aspect de la médiation institutionnelle comme une façon de limiter la possible conversion antidémocratique de la représentation populiste doit être éloigné par principe. La solution pour échapper au risque que le populisme se manifeste dans des formes antidémocratiques est de revendiquer l’identité de l’universalisme et de l’émancipation, laquelle serait absente dans les formes autoritaires du populisme. « La plèbe, dont les demandes partielles sont inscrites dans un horizon de totalité – une société juste qui n’existe qu’idéalement – peut aspirer à constituer le peuple réellement universel que la situation actuelle empêche » (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. 94). C’est par un pari dans l’horizon normatif d’une identité entre les demandes de la plèbe et leur contenu universel – articulés dans une action populiste de contenu émancipatoire – qui permet à Laclau distinguer le populisme en tant que potentiel émancipatoire de sa perversion autoritaire (Cassimiro, 2021CASSIMIRO, Paulo H. P. Os usos do conceito de populismo no debate contemporâneo e suas implicações sobre a interpretação da democracia. Revista Brasileira de Ciência Política, n. 35, p. 1-52, 2021. https://doi.org/10.1590/0103-3352.2021.35.242084
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, p. 21).8 8 Dado que a finalidade do artigo é a interpretação da concepção de populismo de Rosanvallon à luz do debate contemporâneo, deixaremos de lado a discussão sobre as variações históricas do populismo, tanto no caso russo, em que a palavra “populismo” encontra sua origem, quanto o desenvolvimento do populismo agrário norte-americano e, sobretudo, a longa e complexa discussão sobre o populismo na América Latina. Para fontes sobre esse debate, ver, respectivamente: Berlin (1968), Kazin (1995) e Ferreira (2001).

L’argument de Laclau se fonde sur la défense de la démocratie comme exercice d’une action politique émancipatoire (dont la manifestation est le populisme) et dans le refus des formes institutionnelles du droit et de la représentation qui caractérisent les modes de médiation de la démocratie libérale. Ce refus est fondé sur une distinction faite par Mouffe entre la démocratie comme forme de gouvernement, fondée sur le principe de la souveraineté du peuple, et la structure institutionnelle libérale dans le cadre de laquelle la démocratie est exercée (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. 167). Pour Mouffe, la démocratie moderne est le résultat de la conjonction circonstancielle de deux traditions : la revendication libérale de la « rule of law », « la défense des droits de l’Homme et le respect de la liberté individuelle », et la tradition démocratique, fondée sur les idées « d’égalité et de souveraineté populaire ». « Il n’y a pas de rapport nécessaire entre ces deux traditions, mais uniquement une articulation historique contingente » (Mouffe, 2000MOUFFE, Chantal. The democratic paradox. Londres: Verso, 2000., p. 3) qui, à la limite, s’exprimerait par un paradoxe, comme elle entend le démontrer dans son livre The democratic paradox (2000).

En première lecture, cette interprétation semble se rapprocher de l’idée d’indétermination démocratique, ce qui présupposerait que la démocratie est un champ de disputes entre les représentations fondamentales qui organisent la vie politique, refusant les définitions purement procédurales de la démocratie ou sa limitation à une forme institutionnelle finale. Cependant, les interprétations du populisme en tant qu’ontologie du politique sont loin de l’idée d’indétermination démocratique qui trouve son origine dans la réflexion de Claude Lefort, et que Rosanvallon entend développer et élargir. Pour Laclau, par exemple, la théorie de Lefort ne rendrait pas compte de la compréhension de la dimension performative de la construction des sujets populaires et démocratiques précisément parce qu’il n’aurait pris en compte que les « régimes libéraux-démocratiques » (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. 166).

Le problème de cette critique, pourtant, c’est qu’elle trouve son origine dans une lecture trop partielle de l’œuvre de Lefort : pour ce dernier, la centralité des droits de l’Homme et des libertés individuelles ne se confond pas avec une défense du libéralisme, mais dérive plutôt de la reconnaissance de ce que la conception moderne de la démocratie suppose une relation entre l’idée d’un « lieu vide du pouvoir » et la « nouvelle constitution symbolique du social ».9 9 Para mais sobre a relação entre populismo, universalismo e a questão das classes sociais, ver Butler et al. (2000). Cette nouvelle constitution symbolique du social est marquée justement par le fait que c’est par des formes politiques – le droit, les libertés, la publicité, les modes de représentation – que l’expérience démocratique s’est manifestée dans la modernité. En ce sens, Lefort ne refuse pas la critique selon laquelle les institutions libérales-démocratiques ont été aussi des façons de « limiter à une minorité les moyens d’accès au pouvoir, à la connaissance et à la jouissance des droits » (Lefort, 1991LEFORT, Claude. Pensando o político: ensaios sobre democracia, revolução e liberdade. Rio de Janeiro: Paz e Terra, 1991., p. 34). Mais il refuse en revanche la réduction de la sphère des médiations formelles – surtout les droits de l’Homme – comme de pures manifestations de l’aliénation (p. 33). C’est cet argument lefortien que Rosanvallon cherche à déployer quand il affirme que le populisme est un mode spécifique de résolution de l’indétermination fondamentale qui caractérise l’expérience démocratique, à partir de l’absorption de la démocratie par une seule de ses dimensions, dont l’exemple majeur est précisément une conception univoque et totalisante de la représentation : « l’impératif de la représentation est accompli dans le mécanisme de l’identification au leader (…) en même temps que la vision de la société est rapportée à une dichotomie élémentaire » (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 165).

C’est justement la critique de cette conception restreinte du politique, qui présuppose l’attachement de la légitimité démocratique à seulement une des manifestations de son indétermination, que Rosanvallon entend faire dans son travail.

Le problème de cette dimension de la médiation des formes institutionnelles et du droit dans la théorie populiste, c’est qu’elle n’est pas censée être une partie inextricable de l’expérience démocratique moderne, mais plutôt le résultat de la contribution libérale à la démocratie, à la fin un élément extérieur à l’« essence » démocratique, l’identité ontologique entre pouvoir et peuple. Le problème de la dimension de la médiation pour Laclau c’est qu’elle reste une « totalité différentielle/institutionnelle » (Laclau, 2005LACLAU, Ernesto. On populist reason. Londres: Verso, 2005., p. 77), et la nécessité de son dépassement par la mobilisation populiste obéirait à la fidélité à une ontologie du politique qui présuppose une polarité sans médiations

(Cassimiro, 2021CASSIMIRO, Paulo H. P. Os usos do conceito de populismo no debate contemporâneo e suas implicações sobre a interpretação da democracia. Revista Brasileira de Ciência Política, n. 35, p. 1-52, 2021. https://doi.org/10.1590/0103-3352.2021.35.242084
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, p. 23).

À la limite, cette équation est le pari d’une forme univoque de représentation : comme le montre Rosanvallon, même si la théorie de Laclau entend préserver une idée de pluralisme dans le cadre des identités subalternes, la construction de l’identité collective présuppose l’« articulation verticale autour d’un signifiant hégémonique qui, dans la majorité de cas, porte le nom du leader (Laclau apud Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 51).10 10 Como mostra Mark Ingram (2006), as interpretações da obra de Lefort costumam pender ora para ressaltar as afinidades com o liberalismo e ora por afirmar sua vinculação a uma ideia de democracia radical.

C’est justement sur les implications de ce type de théorie politique, exprimée dans l’idée de la démocratie en tant que paradoxe, que Rosanvallon (2020, p. 19)ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020. attire l’attention en définissant le populisme comme une « forme limite du projet démocratique ». Sa proposition de « compliquer la démocratie » n’est qu’une manifestation normative de sa conception de démocratie comme une forme inachevée et qui, en même temps, s’exprime dans ses diverses mutations – en tant que régime, activité citoyenne, forme de société et action politique – comme nous l’avons montré dans la première partie de cet article. À la limite, l’argumentation de Laclau et Mouffe souligne la continuité de ce qu’est l’essence de la critique rosanvallonienne faite au populisme comme « forme limite » de la représentation démocratique : si pour le populisme le politique doit être compris comme la manifestation de la représentation en tant qu’unité (construite à partir de l’intégration des identités subalternes, comme le veut le populisme de gauche, ou de la révélation de l’authenticité nationale d’un peuple, comme le veut le populisme de droite), cette conception du politique est en flagrante contradiction avec l’idée de démocratie comme pluralité complexe de temporalités, modes d’expressions et formalisations institutionnelles susceptibles d’être élargies et transformées.

Considérations finales : l’alternative

Rosanvallon n’a jamais hésité à prendre part au débat public et à proposer des solutions aux problèmes de la cité. Il clôt Le Siècle du populisme sur l’ébauche d’une alternative qu’il avait d’ailleurs déjà avancée dans ses travaux précédents, particulièrement dans Le Bon Gouvernement, alternative qui prend le contrepied des « démocraties limites » : la solution n’est pas de simplifier la démocratie, de dépasser ses apories structurantes ou d’achever ses indéterminations. Ce qu’il suggère au contraire c’est de la compliquer. D’abord avec l’idée de « peuple », en le considérant dans ses multiples dimensions – électorale, sociale, principe – pour que personne ne puisse le « posséder », ou parler en son nom, puisque le « peuple » n’existe que dans des formes de manifestations partielles. Outre ce processus de « démultiplication » du peuple, Rosanvallon insiste sur la nécessité d’une « action » démocratique, au-delà d’un régime démocratique ou d’une société démocratique. Il faut pour cela passer de ce qu’il appelle une « démocratie d’autorisation » à une « démocratie d’exercice ». Cette dernière doit maintenir un rapport entre gouvernants et gouvernés régi par les principes de lisibilité, de responsabilité et de réactivité. Les gouvernants, quant à eux, doivent avoir des qualités d’intégrité et de « parler vrai ». Les deux dimensions de la démocratie d’exercice ont pour piliers la lisibilité, la responsabilité, la réactivité, l’intégrité et le parler vrai. Son renforcement, au moyen des institutions appropriées, est la voie pour un bon gouvernement démocratique.

  • 1
    Il s’agit d’une approche que Rosanvallon reconnaît n’être pas trop utile à la compréhension du phénomène. C’est pour cette raison qu’il place cette réflexion sur l’histoire du mot populisme dans les annexes du livre.
  • 2
    Cet ascendant ne se fait pas forcément par le biais de la censure officielle. Les gouvernements populistes utilisent des moyens divers comme la réduction de la publicité oficielle ou privée dans les journaux d’opposition, minant considérablement leur autonomie financière.
  • 3
    Rosanvallon cite l’exemple d’un dossier publié dans la revue Éléments (no 177, avril-mai 2019), intitulé « Les 36 familles du populisme » – selon lui l’exact opposé d’un travail de conceptualisation et qui ne fait que masquer l’incapacité à saisir l’essence des choses (Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 13).
  • 4
    De la Révolution française au XXe siècle, Rosanvallon identifie des « pathologies internes à la démocratie » analysées dans La Démocratie inachevée (2000) : elles ont pris trois formes au XIXe siècle – la « démocratie constitutionnelle », la « culture de l’insurrection » et une conception du « gouvernement direct » incarnée par Napoléon III –, deux au XXe siècle, les totalitarismes nazi et communiste – et une au XXIe siècle – le populisme. Comprendre la démocratie, selon Rosanvallon, c’est comprendre le système qui forme cette indétermination et ce désenchantement. Le populisme est donc un résultat pervers, entre autres, d’une tentative de simplification de l’idéal démocratique.
  • 5
    La légitimité d’impartialité est le propre des autorités administratives indépendantes. Celles-ci réduisent le champ du pouvoir exécutif et administratif et bouleversent la traditionnelle division des pouvoirs. On attend qu’elles soient indépendantes vis-à-vis de l’exécutif, de la classe politique en général et des lobbies, mais aussi qu’elles soient cohérentes. Elles doivent atteindre la généralité d’une façon négative, c’est-à-dire en n’accordant à personne les avantages et les privilèges, tout en manifestant une forme de détachement constitutive du désintéressement. La légitimité de proximité renvoie à une nouvelle attente des citoyens qui sont chaque fois plus sensibles au comportement même des gouvernants. Ils veulent être écoutés, pris en compte, faire valoir leurs points de vue ; ils espèrent que le pouvoir sera attentif au quotidien des personnes ordinaires. En outre, chacun aimerait que la spécificité de sa situation soit prise en compte au lieu d’être soumise à des règles abstraites (Rosanvallon, 2008ROSANVALLON, Pierre. La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité. Paris: Éditions du Seuil, 2008., p. 267).
  • 6
    Rosanvallon (2015b, p. 345)ROSANVALLON, Pierre. Le bon gouvernement. Paris: Éditions du Seuil, 2015b. illustre ces altérations sémantiques à partir d’un texte de George Orwell intitulé « La politique et la langue anglaise » où ce dernier rappelle comment, dans des pays totalitaires, des exécutions sommaires ont commencé à être appelées « élimination de suspects » ou les déplacements massifs de populations des « rectifications de frontières ».
  • 7
    Étant donné que la finalité de l’article est l’interprétation du populisme par Rosanvallon, nous laisserons de côté la discussion sur les variations historiques du populisme, autant pour le cas russe, où le mot populisme trouve son origine, que pour le développement du populisme agraire étasunien et, surtout, la longue et complexe discussion sur le populisme en Amérique latine. Pour ces débats, nous renvoyons respectivement à Berlin (1968)BERLIN, Isaiah. To define Populism. Government and Opposition, v. 3, n. 2, p. 127-179, 1968., Kazin (1995)KAZIN, Michael. The Populist persuasion: an American History. Nova York: Basic Books, 1995. et Ferreira (2001)FERREIRA, Jorge (org.). O Populismo e sua história. Debate e crítica. Rio de Janeiro: Civilização Brasileira, 2001..
  • 8
    Sur le rapport entre populisme, universalisme et la question des classes sociales, voir Butler et al. (2000)BUTLER, Judith; LACLAU, Ernesto; ZIZEK, Slajov. Contingency, hegemony, universality: contemporary dialogues on the left. Londres: Verso, 2000..
  • 9
    Comme le montre Mark Ingram (2006)INGRAM, James. The politics of Claude Lefort’s political: between liberalism and radical democracy. Thesis Eleven, v. 87, n. 1, p. 33-50, 2006. https://doi.org/10.1177/0725513606068774
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    , les interprétations de l’œuvre de Lefort ont tendance à s’incliner soit vers la mise en exergue de ses affinités avec le libéralisme, soit vers l’affirmation de son lien à une idée de démocratie radicale.
  • 10
    Un défi historique important est d’examiner les affinités entre l’argumentation de Laclau et Mouffe et de l’idéologue d’extrême-droite français Alain de Benoist. Il n’y a pas que Rosanvallon qui attire l’attention sur ces convergences en soulignant, par exemple, les affinités de Mouffe et de Benoist avec Carl Schmitt, mais elles sont reconnues par Benoist lui-même dans ses travaux (voir la note 2 dans Rosanvallon, 2020ROSANVALLON, Pierre. Le siècle du populisme. Histoire, théorie, critique. Paris: Seuil, 2020., p. 31). Les convergences théoriques – qui, il convient de le dire, ne cachent pas de profonds désaccords politiques – peuvent aussi être relevées dans le débat télévisé entre Mouffe et Besnoit, disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=9E_9c8B1cPg.

Remerciements

L’auteur Paulo Henrique Paschoeto Cassimiro remercie la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo (FAPESP) dont le programme de Post-Doctorat (projet nº 2019/09549-1) a financé la recherche présentée dans cet article.

  • Traduit du Portugais par Diogo Cunha.

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Publication Dates

  • Publication in this collection
    22 Apr 2022
  • Date of issue
    Jan-Apr 2022

History

  • Received
    24 Aug 2020
  • Accepted
    15 June 2021
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