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Saint-John Perse: Sécheresse (1974)

TRANSLATION

Saint-John Perse - Sécheresse (1974)

Tradução, introdução e notas de Bruno Palma* * Tradutor de Saint-John Perse desde 1959. Entre outras traduções publicadas: Poemas de Saint John Perse, Rio de Janeiro, Grifo edições, 1971 eAnábase, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1979.

SÉCHERESSE

QUAND la sécheresse sur la terre aura tendu sa peau d'ânesse et cimenté l'argile blanche aux abords de la source, le sel rose des salines annoncera les rouges fins d'empires, et la femelle grise du taon, spectre aux yeux de phosphore, se jettera en nymphomane sur les hommes dévêtus des plages... Fange écarlate du langage, assez de ton infatuation!

Quand la sécheresse sur la terre aura pris ses assises, nous connaîtrons un temps meilleur aux affrontements de l'homme: temps d'allégresse et d'insolence pour le grandes offensives de l'esprit. La terre a dépouillé ses graisses et nous lègue sa concision. À nous de prendre le relais! Recours à l'homme et libre course!

Sécheresse, ô faveur! honneur et luxe d'une élite! dis-nous le choix de tes élus... Sistre de Dieu, sois-nous complice. La chair ici nous fut plus près de l'os: chair de locuste ou d'exocet! La mer elle-même nous rejette ses navettes d'os de seiche et ses rubans d'algues flétries: éclipse et manque en toute chair, ô temps venu des grandes hérésies!

Quand la sécheresse sur la terre aura tendu son arc, nous en serons la corde brève et la vibration lointaine. Sécheresse, notre appel et notre abréviation... "Et moi, dit l'Appelé, j'ai pris mes armes entre les mains: torches levées à tous les antres, et que s'éclaire en moi toute l'aire du possible! Je tiens pour consonance de base ce cri lointain de ma naissance. "

Et la terre émaciée criait son très grand cri de veuve bafouée. Et ce fut un long cri d'usure et de fébrilité. Et ce fut pour nous temps de croître et de créer... Sur la terre insolite aux confins désertiques, où l'éclair vire au noir, l'esprit de Dieu tenait son haie de clarté, et la terre vénéneuse s'enfiévrait comme un massif de corail tropical... N'était-il plus couleur au monde que ce jaune d'orpiment?

"Genévriers de Phénicie", plus crêpelés que têtes de Maures ou de Nubiennes, et vous, grands Ifs incorruptibles, gardiens de places fortes et d'îles cimentées pour prisonniers d'État masqués de fer, serez-vous seuls, tout ce temps-là, à consumer ici le sel noir de la terre? Plantes à griffes et ronciers regagnent les garrigues; le ciste et le nerprun sont pèlerins du maquis... Ah! qu'on nous laisse seulement ce brin de paille entre les dents!

Ô Maia, douce et sage et Mère de tous songes, conciliatrice et médiatrice entre toutes factions terrestres, ne crains point l'anathème et la malédiction sur terre. Les temps vont revenir, qui ramèneront le rythme des saisons; les nuits vont ramener l'eau vive aux tétines de la terre. Les heures cheminent devant nous au pas de l'espadrille, et, rétive, la vie remontera de ses abris sous terre avec son peuple de fidèles: ses "Lucilies" ou mouches d'or de la viande, ses psoques, ses mites, ses réduves; et ses "Talitres", ou puces de mer, sous le varech des plages aux senteurs d'officine. La Cantharide verte et le Lycène bleu nous ramèneront l'accent et la couleur; et la terre tatouée de rouge recouvrera ses grandes roses mécréantes, comme tissu de toile peinte pour femmes de Sénégambie. Les dartres pourpres du lézard virent déjà sous terre au noir d'opium et de sépia... Nous reviendront aussi les belles couleuvres visiteuses, qui semblent descendre de litière avec leurs ondulations de hanches à la Sanseverina. Guêpiers d'Afrique et Bondrées apivores arraisonneront la guêpe aux terriers des falaises. Et la Huppe messagère cherchera encore sur terre l'épaule princière où se poser...

Éclate, ô sève non sevrée! L'amour fuse de partout, jusque sous l'os et sous la corne. La terre elle-même change d'écorce. Vienne le rut, vienne le brame! et l'homme encore, tout abîme, se penche sans grief sur la nuit de son coeur. Écoute, ô coeur fidèle, ce battement sous terre d'une aile inexorable... Le son s'éveille et sauve l'essaim sonore de sa ruche; et le temps mis en cage nous fait entendre au loin son martèlement d'épeiche... Les oies sauvages s'agrainentelles aux rives mortes des rizières, et les greniers publics céderont-ils un soir à la poussée des houles populaires?... Ô terre du sacre et du prodige - terre prodigue encore à l'homme jusqu'en ses sources sous-marines honorées des Césars, que de merveilles encore montent vers nous de l'abîme de tes nuits! Ainsi par temps de couvaison d'orage - le savions-nous vraiment? -les petites pieuvres de grand fond remontent avec la nuit vers la face tuméfiée des eaux...

Les nuits vont ramener sur terre la fraîcheur et la danse: sur la terre ossifiée aux affleurements d'ivoire retentiront encore sardanes et chaconnes, et leur basse obstinée nous tient déjà l'oreille à l'écoute des chambres souterraines. Au claquement des crotales et du talon de bois se fait encore entendre, à travers siècles, la danseuse gaditane qui dissipait en Hispanie l'ennui des Proconsuls romains... Les pluies nomades, venues de l'Est, tinteront encore au tambourin tzigane; et les belles averses de fin d'été, descendues de haute mer en toilettes de soirée, promèneront encore sur terre leur bas de jupes pailletés...

O mouvement vers l'Être et renaissance à l'Être! Nomades tous les sables!... et le temps siffle au ras du sol... Le vent qui déplace pour nous l'inclinaison des dunes nous montrera peutêtre au jour la place où fut moulée de nuit la face du dieu qui couchait là...

Oui, tout cela sera. Oui, les temps reviendront, qui lèvent l'interdit sur la face de la terre. Mais pour un temps encore c'est ïanathème, et l'heure encore est au blasphème: la terre sous bandelettes, la source sous scellés... Arrête, ô songe, d'enseigner, et toi, mémoire, d'engendrer.

Avides et mordantes soient nos heures nouvelles! et perdues aussi bien soient-elles au champ de la mémoire, où nulle jamais ne fit office de glaneuse. Brève la vie, brève la course, et la mort nous rançonne! L'offrande au temps n'est plus la même. Ô temps de Dieu, sois-nous comptable.

Nos actes nous devancent, et l'effronterie nous mène: dieux et faquins sous même étrille, emmêlés à jamais à la même famille. Et nos voies sont communes, et nos goûts sont les mêmes - ah! tout ce feu d'une âme sans arôme qui porte l'homme à son plus vif: au plus lucide, au plus bref de lui-même!

Agressions de l'esprit, pirateries du coeur -ô temps venu de grande convoitise. Nulle oraison sur terre n'égale notre soif; nulle affluence en nous n'étanche la source du désir. La sécheresse nous incite et la soif nous aiguise. Nos actes sont partiels, nos oeuvres parcellaires! Ô temps de Dieu, nous seras-tu enfin complice?

Dieu s'use contre l'homme, l'homme s'use contre Dieu. Et les mots au langage refusent leur tribut: mots sans office et sans alliance, et qui dévorent, à même, la feuille vaste du langage comme feuille verte de mûrier, avec une voracité d'insectes, de chenilles... Sécheresse, ô faveur, dis-nous le choix de tes élus.

Vous qui parlez l'ossète sur quelque pente caucasienne, par temps de grande sécheresse et d'effritement rocheux, savez combien proche du sol, au fil de l'herbe et de la brise, se fait sentir à l'homme l'haleine du divin. Sécheresse, ô faveur! Midi l'aveugle nous éclaire: fascination au sol du signe et de l'objet.

Quand la sécheresse sur la terre aura desserré son étreinte, nous retiendrons de ses méfaits les dons les plus précieux: maigreur et soif et faveur d'être. "Et moi, dit l'Appelé, je m'enfiévrais de cette fièvre. Et l'avanie du ciel fut notre chance". Sécheresse, ô passion! délice et fête d'une élite.

Et nous voici maintenant sur les routes d'exode. La terre au loin brûle ses aromates. La chair grésille jusqu'à l'os. Des contrées derrière nous s'éteignent en plein feu du jour. Et la terre mise à nu montre ses clavicules jaunes gravées de signes inconnus. Ou furent les seigles, le sorgho, fume l'argile blanche, couleur de fèces torréfiées.

Les chiens descendent avec nous les pistes mensongères. Et Midi l'Aboyeur cherche ses morts dans les tranchées comblées d'insectes migrateurs. Mais nos routes sont ailleurs, nos heures démentielles, et, rongés de lucidité, ivres d'intempérie, voici, nous avançons un soir en terre de Dieu comme un peuple d'affamés qui a dévoré ses semences...

Transgression! transgression! Tranchante notre marche, impudente notre quête. Et devant nous lèvent d'elles-mêmes nos oeuvres à venir, plus incisives et brèves, et comme corrosives.

De l'aigre et de l'acerbe nous connaissons les lois. Plus que denrées d'Afrique ou qu'épices latines, nos mets abondent en acides, et nos sources sont furtives.

Ô temps de Dieu, sois-nous propice. Et d'une brûlure d'ail naîtra peut-être un soir l'étincelle du génie. Où courait-elle hier, où courra-t-elle demain?

Nous serons là, et des plus prompts, pour en cerner sur terre l'amorce fulgurante. L'aventure est immense et nous y pourvoirons. C'est là ce soir le fait de l'homme.

Par les sept os soudés du front et de la face, que l'homme en Dieu s'entête et s'use jusqu'à l'os, ah! jusqu'à l'éclatement de l'os!... Songe de Dieu sois-nous complice...

"Singe de Dieu, trêve à tes ruses!"

1974.

  • 2- Octávio Paz, "Un Hymne moderne", in Honneur à Saint-John Perse, Paris, Gallimard, 1965, p. 254.
  • 3- "André Gide 'Face aux Lettres Françaises, 1909'", in Oeuvres Complètes de Saint-John Perse, Paris, Gallimard, 1972, p. 473.
  • 8- Roger Caillois, Poétique de Saint-John Perse, Paris, Gallimard, (1972). (Esta continua a ser a melhor obra sobre a poética persiana).
  • 9- Madeleine Frédéric, La répétition et ses structures dans l'oeuvre de SJP, Paris, Gallimard, 1984, p. 11.
  • 20- André Claverie, "Une poésie de la célébration". Cahiers Saint-John Perse, 4(1981), p. 90-91.
  • *
    Tradutor de Saint-John Perse desde 1959. Entre outras traduções publicadas:
    Poemas de Saint John Perse, Rio de Janeiro, Grifo edições, 1971
    eAnábase, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1979.
  • Honneur à Saint-John Perse,

    2- Octávio Paz, "Un Hymne moderne", in Paris, Gallimard, 1965, p. 254.
  • Oeuvres Complètes de Saint-John Perse,

    3- "André Gide 'Face aux Lettres Françaises, 1909'", in Paris, Gallimard, 1972, p. 473.
  • Cahiers du XXe. siècle,

    4- "A propos de 'Sécheresse'", 7 (1976), p. 123.
  • Amers",

    5- Emile Noulet (em "L'octossilabe dans in
    Honneur..., Paris, Gallimard, 1965, p. 316 e s.) mostrou que há na obra poética de SJP uma notável freqüência de metros pares: alexandrinos, decassílabos, mas sobretudo octossílabos, ora isolados, ora em insólitas combinações com outros metros, como o hexassílabo, alongado para quatorze sílabas, ora duplicados, estirando-se ainda mais, para dezesseis. Para um estudo mais aprofundado da métrica persiana, leia-se: Bateman, Jacqueline, "Questions de métrique persienne",
    Cahiers du XXe. Siècle, 7 (1976), m p. 27 ss. Favre, Yves-Alain,
    SJP. Le Langage et le sacré, Paris, Corti, 1977. Little, Roger,
    SJP, London, Athlone Press, 1973. Rutten, Pierre van. Le
    Langage poétique de SJP, Paris/La Haie, Mouton, 1975.
  • OC
    6- ... de 12.12.1955, p. 922.
  • verset

    7- A unidade de base da métrica persiana é o (versículo), verso poético de comprimento variável. O agrupamento de um certo número de
    versets (indicado por espaços, ou entrelinhas,
    interlignes, mais importantes) dá uma
    laisse. Evita-se o termo "estrofe", pois isso se prestaria a confusão.
  • Poétique de Saint-John Perse,

    8- Roger Caillois, Paris, Gallimard, (1972). (Esta continua a ser a melhor obra sobre a poética persiana).
  • La répétition et ses structures dans l'oeuvre de SJP,

    9- Madeleine Frédéric, Paris, Gallimard, 1984, p. 11.
  • Carta a Katherine Biddle,

    10- de 12.12.1955, OC 922.
  • Discours de Stockholm,

    11- Poésie. OC 444.
  • 12-
    "Pelo pensamento analógico e simbólico, pela iluminação da imagem mediadora e pelo jogo de suas correspondências, sobre mil cadeias de reações e de associações estranhas, enfim pela graça de uma linguagem em que se transmite o movimento mesmo do Ser, o poeta investe-se de uma super realidade que não pode ser a da ciência". Id. Ibid. p. 444.
  • 13-
    Id. ibid., p. 446.
  • (Le Rituel poétique de SJP,

    14- Sobre a função profética do poeta, diz Henriette Levillain: "O desenrolar do ato poético de SJP corresponde (...) muito exatamente às fases sucessivas definidas por Heidegger: 'O dizer do poeta consiste em surpreender os sinais (signes) para fazer sinal (faire signe) a seu povo; depois a profetizar o Ainda-não-realizado (Non-encore-accompli)'. (...) Desde a origem, o poeta deve inclinar-se diante da sua função de profeta: o poema não proveio de um desejo pessoal ou de uma circunstância exterior, mas de uma eleição por um Poder (Puissance) superior". Paris, Gallimard, 1977, p. 302-303).
  • (Honneur...,

    15- Em "L'Empire des choses vraies" p. 190), André Rousseau escreve: "A poesia de SJP é a celebração do intercâmbio entre esses dois segredos vitais: a verdade do homem e a verdade das coisas. Sobre o amontoado das escórias conservadas e conservadoras, ela proclama que o gênio do homem, sem ser, literalmente falando, criador, é o da invenção reveladora. Diante do império das coisas verdadeiras, o rei da terra tem a honra, não de lhes trazer e de lhes impor uma verdade que viria dele só, mas de extrair da profundeza delas para a luz universal a verdade de que as coisas vivem".
  • Vents,

    16- III, 4, OC 224.
  • Cahiers du XXe. Siècle,.

    17- "Pour une lecture de SJP", 7 (1976), p. 14.
  • 18-
    O grifo é meu.
  • Honneur...,

    19- Gaëtan Picon, "Le plus hautainement libre", in p. 58.
  • Cahiers Saint-John Perse,

    20- André Claverie, "Une poésie de la célébration". 4(1981), p. 90-91.
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      12 Dec 2011
    • Date of issue
      Jan 1987
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